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Le récit de voyage est un genre littéraire généralement basé sur le réel dans lequel l’auteur rapporte ses observations et ses propres expériences lors de son ou ses voyages. Tout récit de voyage est capable d’éclairer l’histoire politique, culturelle et sociale des régions décrites par le voyageur/écrivain.
L’Iran est depuis longtemps une destination de voyage prisée par un bon nombre de voyageurs, d’aventuriers et de chercheurs étrangers épris de la culture et de la civilisation orientales. De ce fait, on peut voir l’apparition d’un grand nombre de carnets de voyage rapportant la vie et la culture persanes. Certains de ces ouvrages ont été traduits et sont de nos jours accessibles pour les lecteurs d’expression persane. Les Anglais sont le peuple d’Europe ayant voyagé le plus en Orient, ce qui fait d’eux les voyageurs les plus actifs à avoir visité l’Iran.
Depuis la dynastie safavide jusqu’à l’époque pahlavi, près de soixante carnets de voyage ont été rédigés par soixante-quatre voyageurs anglais. Ces ouvrages, dont la version persane est accessible aux Iraniens, portent sur la vie et la culture iraniennes et forment une source d’informations précieuses pour les études historique et sociale des époques concernées. Un classement thématique de ces ouvrages permet de mettre en lumière les grands thèmes abordés : la description des villes et villages traversés, le système social du pays, les monuments historiques, les attractions naturelles, les personnalités célèbres, les tribus et les ethnies, les us et coutumes traditionnels, le commerce, l’industrie et la politique.
Les données historiques attestent que plus de la moitié des voyageurs britanniques ont visité la Perse pour des motifs professionnels, notamment des raisons diplomatiques, des activités commerciales, des recherches scientifiques, etc. Et effectivement, ces récits de voyage sont l’œuvre de diplomates britanniques en poste en Iran, de marchands, d’écrivains et poètes voyageurs, de scientifiques en séjour de recherche, de chercheurs épris de la civilisation persane, etc.
Téhéran (comme capitale de l’Iran depuis le début de l’ère qâdjâre), Ispahan, Qazvin, Shirâz, la province du Khouzestân (en raison de la proximité du pétrole et du golfe Persique), la province de Kermânshâh, le Guilân et les deux provinces d’Azerbaïdjan (de l’est et de l’ouest) sont parmi les régions et villes iraniennes les plus visitées. Voici un bref retour sur quelques-uns des récits de voyage représentatifs de cette période :
1. Le récit de voyage des frères Shirley en Perse
C’est l’ouvrage le plus connu et le plus lu parmi les récits de voyage couvrant l’époque safavide. Ce récit de voyage rend compte de l’histoire des voyages et séjours des frères Shirley (Anthony et Robert) en Perse durant le règne de Shâh Abbâs Ier (1588-1629).
Grands voyageurs et diplomates anglais, Anthony et Robert Shirley voyagent à plusieurs reprises en Iran, où ils sont aimablement accueillis par le roi safavide. Ces frères sont des émissaires de la couronne britannique venus en Iran pour négocier une alliance irano-britannique contre l’Empire ottoman qui constitue à l’époque une vraie menace pour les intérêts de l’Etat britannique. Shâh Abbâs Ier, lui, a l’ambition de développer les relations étrangères de la Perse, notamment avec l’Europe. Dès la conclusion de cet accord, les frères Shirley sont chargés de réformer l’armée safavide, mission pour laquelle ils reçoivent des financements généreux.
En outre, Robert Shirley, le frère cadet d’Anthony, est chargé d’établir des relations amicales entre le gouvernement de Perse et les souverains européens. Shâh Abbâs accorde une grande importance aux relations étrangères pour assurer le développement économique de l’Iran. En 1608, Robert, envoyé spécial du roi de Perse, se rend auprès des rois d’Ecosse, d’Irlande et d’Espagne avec lesquels il mène des négociations constructives.
L’histoire des voyages des frères Shirley en Perse fut à l’époque rapportée par William Parry qui les accompagnait régulièrement dans leurs voyages. Dans cet ouvrage, qui fut publié en 1607 en Angleterre, l’auteur décrit d’une manière très détaillée l’aventure des voyages, les villes traversées, les lieux visités, les peuples rencontrés et les informations rassemblées concernant les us et coutumes iraniens, etc.
A l’époque qâdjâre, Avance Ma’essiân [1] découvrit, à la Bibliothèque du British Museum, la version manuscrite de l’ouvrage dont il ramena une copie pour le traduire en persan. A l’époque d’Ahmad Shâh [2], une deuxième traduction de l’ouvrage fut préparée grâce à l’aide financière de Sardâr As’ad [3] ; cette version fut rééditée en 1979 grâce aux efforts d’Ali Dehbâshi [4] . Ce récit de voyage est considéré comme l’une des sources historiques les plus précieuses concernant l’époque safavide. Il illustre bien la situation sociale et politique de l’Iran à l’époque de Shâh Abbâs Ier. Cet ouvrage comprend également d’intéressantes informations sur la vie privée du roi.
2. La Perse et la question persane
Cet ouvrage est le carnet des voyages de George Nathaniel Curzon en Orient et plus particulièrement en Perse. Curzon fut député du parti conservateur britannique à partir de 1886 et gouverneur général des Indes de 1899 à 1905. En 1889, il voyage en Iran en tant que correspondant officiel du Journal The Times. Il est chargé d’établir un rapport détaillé concernant la situation politique à la cour qâdjâre. A son retour en Angleterre, Curzon se sert des données collectées pour rédiger en 1892 son récit de voyage intitulé Persia and the Persian question. Outre ses propres acquis, l’auteur y rapporte de nombreuses informations glanées au fil de ses lectures de récits de voyage aussi bien que de manuscrits historiques concernant l’Iran. Cet ouvrage, compilé en deux volumes, finit sur un inventaire très détaillé de tous les ouvrages anglais d’iranologie jusqu’à l’époque de sa première publication. Les sujets abordés dans les trente chapitres du livre sont la géographie, les us et coutumes iraniens, l’économie et le commerce, les vêtements iraniens, l’artisanat pratiqué dans les différentes régions, les ressources naturelles et minérales, etc.
En 1894, le livre fut traduit en persan par un certain Mirzâ Mohammad. De nos jours, on n’a accès qu’à un manuscrit de cette traduction, conservé à la Bibliothèque de l’Assemblée nationale iranienne (Madjles-e shourâ-ye eslâmi).
3. La voyageuse de Téhéran
Née en 1892, Vita Sackville-West était une poétesse, traductrice et essayiste anglaise. Son mariage avec Harold Nickelons, consul britannique à Téhéran, lui fournit l’occasion de voyager en Iran à plusieurs reprises. Elle relate l’histoire de sa présence en Iran dans son récit de voyage intitulé Passenger to Tehran. C’est un ouvrage de qualité littéraire comprenant les observations sociologiques et ethnographiques de son auteure sur la population iranienne, en particulier sur la dimension folklorique de la culture persane. Sackville-West est avant tout une ethnographe qui tente son talent en littérature et plus particulièrement en poésie. De ce fait, dans son récit de voyage, les descriptions prennent une teinte esthétique. Il faut souligner que Sackville-West n’est pas une voyageuse, ni une orientaliste, mais une femme de lettres et une chercheuse qui accompagne son mari dans ses missions diplomatiques en Iran. Son premier voyage se fit à l’époque du couronnement de Rezâ Shâh, le fondateur de la dynastie pahlavie en 1926. Durant ce séjour, elle arrive à visiter quelques villes et provinces iraniennes dont le Kurdistan, Hamedân et Qazvin. Son récit de voyage ne porte pas sur la politique, ni même la vie sociale des Iraniens mais s’inscrit plutôt dans une vision anthropologique généraliste et suivant cette perspective, l’auteure apporte dans son livre un ensemble des proverbes et expressions populaires persanes.
Parmi d’autres ouvrages du genre, on peut citer le nom d’un récit de voyage intitulé A year among the Persians du grand iranologue anglais Edward Brown (1865-1926). Le livre décrit les événements politiques de l’époque qâdjâre et plus particulièrement la Révolution constitutionnelle persane (1905-1912).
Pour finir, nous apportons la bibliographie détaillée de certains autres livres qui pourraient être inclus dans notre étude ; les ouvrages sont listés selon leur date de parution.
- (1831) Isabelle Lucie Bird Pishop, Kudistan and Persia in journeys, traduit en persan par Mehrâb Amiri, Téhéran, Sahand, 1996.
- (1834) Alexander Burnes, Travels into Bukhara, Being an account of a journey from India to Kabul, Tartary and Persia, traduit en persan par Hassan Soltânifar, Mashhad, Ghods-e Razavi, 1987.
- (1848) Charles Francis Mackenzie, Astar Abâd, traduit en persan par Mansoureh Etehâdieh, Téheran, Gostareh, 1980.
- (1851) Henry Rowlinson Crewicke, The Cuneiform inscription at Behistun, traduit en persan par Eskanadar Amânollâhi, Téhéran, Agâh, 1983.
- (1856) George Passman Tate, Sistân : A Memoir on the history, topography and people on the country, traduit en persan par Gholâm Ali Zâkerin, Téhéran, Ershâd, 1983.
- (1875) Charles Metcalfe Macgregor, Narrative of a journey through the province of Khorasan, traduit en persan par Madjid Mehdizâd, Mashhad, Ghods-e Razavi, 1987.
- (1893) Edward Brown, A Year among the Persians, traduit en persan par Zabihollâh Mansouri, Téhéran, Saffâr, 1996.
- (1887) Austen Henry Layard, Early adventures in Persia, Susiana and Babylonia, traduit en persan par Mehrâb Amiri, Téhéran, Vahid, 1989.
- (1894) Charles Darlymple Belgrave, The pirate coast, traduit en persan par Hossein Zolghadr, Téhéran, Anâhitâ, 1990.
- (1900) Charles Edward Yate, Khorasan and Sistan, traduit en persan par Ghodratollâh Roshani, Téhéran, Yazdân, 1987.
- (1902) E. R. Durand, An autumn tour in western Persia, traduit en persan par Ali Mohammad Sâki, Khorram Abâd, Mohammadi, 1967.
- (1905) Hyaninth Louis Robino, Mazandaran, traduit en persan par Gholâm Ali Vahid Mâzandarâni, Téhéran, Elmi Farhangui, 1981.
- (1914) Arnold Wilson Talbot, Persia : letters and diary of a young political officer, traduit en persan par Sa’âdat Nouri, Téhéran, Vahid, 1984.
- (1920) Frederick Charles Richards, A Persian journey, traduit en persan par Mohsen Sabâ, Téhéran, 1964.
- (1921) Elisabeth Macbeau Ross, A lady doctor in bakhtiâri land, traduit en persan par Mehrâb Amiri, Téhéran, Anzân, 1964.
- (1925) Edward Denison Ross, The Persians, traduit en persan par Shâygân Malâyeri, Téhéran, Ferdowsi, 1930.
- (1929) Hermann Norden, Under Persian skies, traduit en persan par Simin Sami’i, Téhéran, Université de Téhéran, 1977.
- (1929) Spring Rice Cicel, The letters and friendship of Sir Cicel R., a Record, traduit en persan par Djavâd Sheikholeslâmi, Téhéran, Ettelâ’ât, 1976.
- (1931) William Frederick Travers O’Connor, On the frontier and beyond : a record of thirty year’s service, traduit en persan par Hassan Zanganeh, Téhéran, Shirâzeh, 1997.
- (1933) Robert Byron, The road to Oxiana, traduit en persan par Leila Sâzegâr, Téhéran, Sokahn, 2002.
- (1934) Stark Freya Madeleine, The valley of the assassin and other Persian travels, traduit en persan par Ali Mohammad Sâki, Téhéran, Elmi, 1979.
- (1941) Cynthia Helms, An ambassador’s wife in Iran, traduit en persan par Esmâ’il Zand, Téhéran, Alborz, 1992.
- (1942) Gertrude Lowthian Bell, Persian pictures, a book of travel, traduit en persan par Bozorgmehr Riâhi, Téhéran, Khârazmi, 1984.
- (1950) Smith Anthony John Francis, Travels to Iran, traduit en persan par Mahmoud Nabi Zâdeh, Téhéran, Gostareh, 1990.
- (1976) William Hollingbery,A journal of observations mode during the British embassy to the court of Persia in the years 1799,1800 and 1801, traduit en persan par Houshang Amini, Téhéran, Ketâbsarâ : 1984.
- (1981) Paul Hunt, Inside Iran, traduit en persan par Hossein Aboutorâbiân, Téhéran, Ettelâ’ât, 1985.
Sources :
Bani Eghbâl N., Heydari A., « Tahlil-e safarnâmeh-hâye sayyâhân-e englissi darbâreh-ye Irân » (Etude sur les récits des voyages des Anglais en Iran), in la Revue Dânesh Shenâssi, n° 6, automne 2009.
Khal’atbari, Mostafâ, Jelveh-hâye farhang-e Irân dar safarnâmeh-hâ (Image de la culture persane dans les récits de voyage), Téhéran, Elshan, 2008.
[1] Membre de la minorité arménienne d’Iran, Ma’essiân (1862-1931) fut le traducteur de la cour qâdjâre à l’époque de Nâssereddin Shâh.
[2] Le dernier roi qâdjâr, qui régna de 1909 à 1925.
[3] Ali Gholi Khân Sardâr As’ad (1857-1917) est un révolutionnaire et homme politique, chef de la tribu Haft Lang Bakhtiâri. Pour en savoir plus voir notre article « Bibi Maryam », publié in n° 112, mars 2015, consultable sur : http://www.teheran.ir/spip.php?article2043
[4] Journaliste et auteur contemporain.