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Les premiers contacts entre la Grande-Bretagne et la Perse remontent au XIIIe siècle. Leur discontinuité empêcha cependant la mise en place d’une véritable interaction jusqu’à l’époque safavide. Le premier contact officiel établi entre le roi de Perse et la cour d’Henri III date de 1238 et avait pour objectif de mettre en place une coalition contre les envahisseurs mongols ; tentative qui s’avéra infructueuse. On ne trouve aucun autre signe de contact entre les deux pays jusqu’à la période safavide, période durant laquelle les marchands anglais, envoyés par les entreprises nouvellement fondées, cherchaient à développer le commerce avec la Perse.
En 1562, Sir Anthony Jenkinson, émissaire anglais, effectua le voyage Londres-Qazvin via Moscou pour le compte de la Compagnie Moscovite. Son but était d’obtenir la garantie d’un commerce fondé sur des relations privilégiées auprès de Shâh Tahmâsb ; tentative qui échoua. La Compagnie Moscovite dépêcha cinq autres missions en Perse, mais malgré les avantages proposés à la Perse par ces derniers en vue de faciliter les transactions commerciales, ils n’eurent d’autres choix que d’abandonner, en 1581, tout espoir d’établir des relations commerciales sérieuses avec la Perse. D’autres tentatives infructueuses eurent lieu sous le règne de Nâder Shâh, notamment avec la venue de John Elton et Jonas Hanway dans l’espoir d’améliorer le commerce anglo-iranien en passant surtout par la mer Caspienne. Ces derniers échouèrent cependant, principalement à cause de l’opposition radicale de la Russie. Ultérieurement, la Compagnie du Levant, dont le siège était à Alep, tenta à plusieurs reprises de promouvoir le commerce anglo-iranien en passant par la Turquie, sans parvenir non plus à atteindre ses objectifs en raison des guerres récurrentes entre la Turquie et la Perse.
La Compagnie des Indes Orientales, avec l’acquisition du statut royal en 1600, était assurément en meilleure position pour devenir le fer de lance du commerce avec la Perse. En 1615, ils dépêchèrent Richard Steel et John Crowther qui, partis de leur base indienne à Surat, arrivèrent en Perse dans le but d’étudier les différentes possibilités d’établir des relations plus étroites avec la Perse. Le marché qu’ils ciblaient était plus particulièrement celui de l’importation de draps fins et l’exportation de la soie. Grâce aux efforts de Robert Sherely (qui s’était auparavant, en 1598, mis à la disposition de Shâh Abbâs I), de son frère Anthony et de quelques autres parmi les plus aventuriers de leurs compagnons, un farmân (ou ordre) du roi fut décrété selon lequel certaines facilités étaient accordées en vue de développer le commerce anglo-américain. Encouragée par ce geste du roi iranien, la Compagnie des Indes Orientales expédia, sous la surveillance d’Edward Connock, une cargaison de Surat à Jâsk avec six hommes à son bord. Ce dernier se présenta devant le roi en 1617 et réussit à obtenir un deuxième farmân qui l’autorisait à séjourner de manière permanente à la cour de Perse et à prolonger le premier farmân qui avait si bien préparé la mise en place d’un commerce prometteur entre l’Orient et l’Occident.
Des comptoirs commerciaux furent ainsi établis à Jâsk, Shirâz, Ispahan et Kermân. Plus tard, en 1622, après avoir aidé le roi iranien à expulser les Portugais de l’île d’Hormoz, la Compagnie obtint le droit de s’établir en permanence à Bandar Abbâs, qui de la sorte, devint le principal port iranien du golfe Persique jusqu’en 1763 (date du transfert du siège de la Compagnie à Boushehr). Compte tenu de l’absence de relations diplomatiques, la résidence de la compagnie faisait en ce temps office de siège principal pour les rencontres et négociations entre les deux pays. Quant à la présence permanente des représentants iraniens à Londres, elle devint effective avec la mission de Mirzâ Ja’far Khân Moshir-od-Dowleh, envoyé du roi, en 1860. De nombreuses missions discontinues avaient précédemment été dépêchées à Londres, notamment celle de Mirzâ Abol-Hassan Khân Shirâzi (1809-1810), Mirzâ Sâleh Shirâzi (1822-1823), Hossein Khân Nezâm-od-Dowleh (1839), et celle de Farrokh Khân Amin-ol-Molk (1857-1858).
Avant l’arrivée de Charles Alison en 1860, ministre plénipotentiaire à Téhéran, les diplomates étaient recrutés parmi les personnes travaillant déjà à la Compagnie des Indes Orientales. Après cette date, le Bureau des Affaires Etrangères prit en charge les relations diplomatiques. Il va sans dire que la Compagnie continua à jouer un rôle de premier plan dans les relations politiques et commerciales des deux parties.
En 1800, le capitaine Sir John Malcolm fut envoyé en Inde avec pour instruction d’encourager l’Iran à attaquer l’Afghanistan et de promettre à l’Inde de l’assister dans sa résistance face à la France. Un accord fut signé entre l’Angleterre et l’Iran, mais il ne dura pas car lorsque quelques années plus tard, le gouvernement indien refusa de soutenir le roi d’Iran contre les Russes, celui-ci préféra se tourner vers les Français. L’arrivée d’une expédition française au large des côtes iraniennes, avec le général Gardane à sa tête, galvanisa les responsables anglais à Londres et à Calcutta et les incita à expédier en Perse une mission sous la supervision de Harford Jones et de Sir John Malcolm. L’objectif était clair : contrecarrer la tentative des Français. Harford Jones réussit là où Sir John Malcolm avait échoué. En effet, il parvint à signer un accord préliminaire de paix avec le roi de Perse stipulant une alliance d’amitié en 1809, et remanié plus tard en 1812 pour devenir un accord définitif de paix. En 1814, il prit le nom d’"Accord de Téhéran" et tint lieu d’accord-cadre pendant un demi-siècle pour l’ensemble des relations anglo-iraniennes. Le roi rompit avec la France et remplaça les instructeurs militaires français par autant d’officiers anglais sous la supervision d’Abbâs Mirzâ à Tabriz. Conformément au traité de paix, le roi iranien entreprit d’autoriser le passage des armées anglaises en Inde et de fournir assistance à l’Angleterre au cas où les Afghans ou d’autres nations ou pouvoirs seraient tentés de s’y installer militairement. En contrepartie, au roi iranien avait été promise une assistance militaire ou une subvention importante en cas d’hostilités et d’attaques éventuelles des pays européens.
Aux débuts des années 1830, la politique expansionniste de la Russie fut considérée par la Grande-Bretagne comme une menace pour ses possessions anglaises, mais également pour son allié persan en sa qualité d’avant-poste pour la défense de l’Inde. Jusqu’à l’année de l’indépendance de l’Inde en 1947, la Perse resta le centre d’intérêt principal de la Grande-Bretagne au Moyen-Orient. Son importance était apparente à travers la rivalité anglo-russe.
Au cours du XIXe siècle, les intérêts économiques et commerciaux de la Grande-Bretagne augmentèrent de manière considérable, en raison de la révolution industrielle et de l’acquisition de précieuses concessions de par le monde. L’accès au marché de Tabriz et d’Azerbaïdjan devint plus facile via la Turquie avec l’ouverture de la Mer Noire. En outre, l’ouverture du canal de Suez en 1869 permit de réduire considérablement l’ancienne route de Bombay-Boushehr. Poussé par les Anglais, le roi iranien fit par ailleurs ouvrir en 1888 la rivière Kâroun aux cargaisons maritimes. Les marchands anglais espéraient, de la sorte, défier la Russie sur le plan commercial.
Les frères Charles et Edward Burgess et Edward Bonham tentèrent de s’établir en Perse afin de monopoliser le commerce du pays. En 1830, ils furent à l’origine de l’augmentation des importations anglaises en Iran (notamment celles du coton), principalement à Tabriz, et cela malgré l’absence de tout nouveau traité commercial favorisant ce genre d’importations. D’autre part, les traités de Golestân et de Torkamanchaï avaient cédé à la Russie des droits capitulaires au détriment des intérêts de la Perse et du commerce qu’elle entretenait avec l’Angleterre. A la suite de la dispute d’Herat en 1841, la Grande-Bretagne s’engagea à garantir des relations commerciales avec la Perse moyennant certaines restrictions qui rendaient ces derniers vulnérables vis-à-vis de la Russie. Par exemple, ils avaient uniquement le droit d’ouvrir leurs consulats à Téhéran et à Tabriz, et nulle part ailleurs. Plus tard, au cours du même siècle, les considérations politiques et commerciales conduisirent à l’ouverture des consulats anglais partout en Perse à commencer par Rasht, puis à Astarâbâd et Mashhad en 1889. Il s’agissait pour l’Angleterre de contrer, autant que possible, l’avancée de la Russie.
Après sa défaite dans la guerre anglo-persane en 1856-1857, le roi iranien se vit obligé d’abandonner sa revendication sur Herat et de reconnaitre la rivière Hari-Roud comme frontière avec l’Afghanistan. Quelques années plus tard, entre 1870 et 1905, une série de négociations compliquées entre la Grande-Bretagne et la Perse aboutirent à une nouvelle démarcation de la frontière orientale de la Perse au Sistân et Balouchistân.
Le premier investissement important de la Grande-Bretagne en Perse date de 1862, lorsque le gouvernement anglais convint d’un accord avec un roi de Perse réticent conformément auquel l’Angleterre s’engageait à édifier le réseau des lignes télégraphiques de Kanaqin, sur la frontière perso-ottomane, de Téhéran vers Boushehr comme partie d’un projet de grande envergure de Londres jusqu’en Inde. Ainsi, Nâssereddin Shâh et son premier ministre Mirzâ Hossein Khân Moshir-od-Dowleh espéraient qu’en accordant cette faveur économique à l’Angleterre, cette dernière s’engagerait à maintenir l’indépendance de la Perse contre la pression des Russes. Ce projet n’aboutit cependant pas car il scandalisa la Russie et d’autres pays européens, au point que le roi iranien ne vit d’autre solution que son annulation pure et simple l’année suivante.
Le 28 décembre 1891, face aux nombreuses réactions négatives apparues partout dans le pays et nourries principalement par les personnalités religieuses de l’époque, le Shâh de Perse revint sur une autre de ses concessions, celle du tabac accordée antérieurement à Gerald Talbot. Deux autres concessions aboutirent en revanche grâce aux efforts de Reuter en 1889 et de William d’Arcy en 1901 qui obtinrent les concessions du pétrole et celle de la Banque Impériale de Perse. Cette dernière, ainsi que la Compagnie anglo-iranienne du pétrole, avaient leur siège principal à Londres. L’Angleterre accapara ainsi l’industrie du pétrole et l’ensemble du système bancaire iranien. Le gouvernement de la Grande-Bretagne utilisa cette emprise économique comme levier politique face à l’influence de la Russie en Perse.
Ainsi, sous les Qâdjârs, les deux nouvelles concessions, celle du pétrole et de la banque iranienne, conférèrent une dimension politique aux relations anglo-iraniennes qui étaient jusqu’alors surtout d’ordre commercial. Les sentiments contre la montée en puissance de la présence de la Grande-Bretagne en Iran ne cessèrent pas d’éveiller en Perse, toujours sous les Qâdjârs, de multiples réactions, notamment à la suite de la signature de la convention Anglo-Russe en 1907, de l’occupation de la Perse par les forces anglaises durant la Première Guerre mondiale, et de la révocation de l’entente anglo-persane en 1919. Malgré cela, les relations commerciales continuèrent à se développer entre les deux pays et les voyages des rois qâdjârs Nâssereddin Shâh, Mozaffareddin Shâh et Ahmad Shâh à Londres contribuèrent à améliorer, en apparence du moins, les relations entre les deux pays. La Grande-Bretagne continua donc à fournir le capital et l’expertise pour les lignes de télégraphe entre Londres et l’Inde via la Perse et n’abandonna pas ses industries florissantes de pétrole ni son contrôle sur le système bancaire en Perse.
Sous les Pahlavis (1925-1979), la détermination de Rezâ Shâh pour unifier le pays, déjà manifeste avant son accession au pouvoir, entraîna de sérieuses frictions entre les deux pays. Leurs relations se détériorèrent bien plus lorsque les forces de la Grande-Bretagne et de la Russie occupèrent le pays en août 1941. L’abdication et l’exil de Rezâ Shâh laissèrent à son fils, Mohammad Rezâ Shâh, son successeur, des sentiments ambigus qui ne facilitèrent pas son positionnement vis-à-vis de la Grande-Bretagne. Le différend entre les deux pays à propos de la nationalisation de l’industrie du pétrole en 1951 marqua une étape de réaction iranienne dans le bilan des relations anglo-iraniennes. Ces événements conduisirent au renversement de Mosaddeq en 1953 et le terrain devint propice à l’établissement, au grand malheur des Iraniens, d’une période de relations exceptionnellement harmonieuses entre les deux pays pendant plus de vingt ans. Une coopération rapprochée s’établit ainsi dans un grand nombre de domaines, notamment concernant les programmes politiques, économiques, militaires, culturels sans oublier l’expansion du commerce grâce aux revenus du pétrole et les projets ambitieux de Mohammad Rezâ Shâh surtout dans les domaines de l’industrie et de l’armée. Malgré quelques différends, le gouvernement anglais voyait dans le Shâh d’Iran un allié précieux et un facteur stabilisant pour les troubles survenus au Moyen-Orient.
A la suite de la Révolution de 1979, les relations anglo-iraniennes furent fondamentalement remises en question par l’établissement de la République Islamique d’Iran que les Britanniques ne pouvaient accepter en raison de la volonté d’indépendance de la jeune république par rapport à l’influence des puissances impérialistes. L’ambassadeur anglais et le personnel de l’Ambassade au grand complet quittèrent Téhéran en septembre 1980. Les choses empirèrent et les efforts subséquents des deux parties pour améliorer la situation furent voués à l’échec du fait d’une série d’incidents survenus ultérieurement. Les relations diplomatiques furent restaurées en septembre 1990 mais restèrent sous haute surveillance des deux côtés jusqu’à ce qu’en 1999, Nicola Browne soit nommé le premier ambassadeur anglais en Iran après la Révolution.
Bibliographie :
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Ferrier, Ronald W., “British-Persian relations in the 17th Century”, thèse de doctorat, Université de Cambridge, 1970.
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Mahmoud, Mahmoud, Târikh-e ravâbet-e siâsi-e Irân va Englis dar gharn-e 19 (Histoire des relations politiques entre l’Iran et la Grande Bretagne au XIXe siècle), 4e éd., Namak, 1974.