N° 125, avril 2016

Hamedân,
de l’antiquité au temps present


Afsaneh Pourmazaheri


Hamedân est l’une des villes les plus anciennes de l’histoire de l’humanité. Son nom, Hamadaneh ou Amadi, fut mentionné pour la première fois dans les inscriptions appartenant au roi assyrien Teglath-Phalasar Ier qui régna d’Assyrie à la Méditerranée et sur les rives de la mer Noire de 1114 à 1076 av. J.-C. Durant le 1er millénaire av. J.-C., elle fut la capitale de la dynastie des Mèdes qui auraient occupé tous les territoires recouvrant le Nord-Ouest de l’actuel Iran jusqu’aux monts Zagros. Elle était alors connue sous le nom d’Ecbatane. Bien que la ville ait occupé une place importance dans l’histoire du Moyen-Orient, la majorité des sources la concernant proviennent de l’extérieur, notamment des documents assyriens, babyloniens et grecs. Par ailleurs, son emplacement avantageux en faisait la capitale estivale des rois achéménides et arsacides.

Au cours de sa longue histoire, elle fut connue sous divers noms dans les inscriptions assyriennes datant de 3000 ans, comme nous l’avons noté, Amadaneh ou Amadi. Quant à celui de Hegmataneh, qui est composé de deux vocables Hang (lieu) et Mata (réunion), il laisse entendre que la ville était une sorte de lieu de réunion où étaient débattues les questions politiques ou stratégiques de haute importance. A l’époque des Séleucides, on la surnomma Epiphania en l’honneur du roi Séleucide Antiochos IV Épiphane (l’Illustre), fils d’Antiochos III le Grand qui gouverna entre 175 et 164 av. J.-C. Elle apparait également à plusieurs reprises dans la Thora comme Acmatha qui veut dire « ville de l’amitié », car les rois y passaient leurs étés à festoyer dans la joie. On retrouve enfin des traces la concernant dans les écrits Mèdes en tant qu’Aksaya, qui laisse également deviner qu’elle appartenait aux prédécesseurs des Mèdes, c’est-à-dire aux Kassites qui y habitaient bien avant et dont le nom apparait dans les sources babyloniennes dans le courant du XVIIIe siècle av. J.-C. Finalement, le nom qui est resté et qui représente le mieux cette ville est celui de Hamedân, de la racine Ham (solidarité) et Dan (capacité).

Dans les documents mèdes, on lit que cette ville fut fondée par Deioces, fondateur également de la dynastie, afin d’établir un centre politico-administratif en vue du maintien de l’équilibre intérieur du pays. En ce qui concerne l’emplacement exact de la ville, certains croient que l’actuel Hamedân n’est pas celle dont on parle sous le nom d’Amadi ou d’Amadaneh dans les inscriptions de Tiglath-Phalasar Ier, et que les précisions apportées par l’historien grec du Ve siècle av. J.-C. Hérodote ne correspondent pas à l’actuelle ville. Polybe, homme d’Etat, également historien et théoricien grec du IIe siècle av. J.-C., décrit ainsi (sans ne l’avoir jamais vue) Hegmataneh : « Au pied de la montagne Damâvand se trouve la ville de Hegmataneh avec ses forts incroyables. Le palais du roi est situé à l’intérieur. La boiserie du palais est recouverte d’or et les portes et les colonnes sont décorées de milliers de gravures et de peintures. On n’y trouve pas un seul mur sans ornementation, et même les carreaux utilisés dans les endroits les plus communs du palais sont couverts de vernis et d’or. »

Avant l’Islam

A l’époque Mède, ceux-ci y érigèrent un palais appelé Haft Hesâr, à l’instar du palais des sept merveilles de Babylone. Y régnèrent successivement les Mèdes Praortès (665- 633 av. J.-C.) fils de Déjocès (mort dans une bataille contre les Assyriens par Assurbanipal) et Cyaxar (625-585 av. J.-C.) fils de Phraortès. A cette époque, Hamedân ou Ecbatane était considérée comme étant la ville la plus riche et la plus fréquentée du monde.

Une image du palais Haft Hesâr

Nabuchodonosor II (605-562 av. J.-C.), roi de l’empire néo-babylonien et fondateur des jardins suspendus de Babylone, fit une expédition à Ecbatane au cours de laquelle il détruisit tout sur son passage y compris le palais de Haft Hesar. La ville ne fut restaurée que sous Darius Ier le Grand (522-486 av. J.-C.), roi de la Perse achéménide et petit-fils d’Arsamè. Pendant le règne de la dynastie achéménide, cette ville et ses alentours firent office de capitale estivale. C’est de plus dans cette ville qu’on frappait la monnaie achéménide de tout le royaume.

En l’an 330 av. J.-C., la ville de Hamedân ou Ecbatane fut dévastée par les troupes d’Alexandre le grand ou Alexandre III de Macédoine (356-323 av. J.-C.) et, eu égard à sa situation stratégique, elle fut convertie en centre militaire. A la suite de sa victoire contre Darius III, roi de Perse, Alexandre se rua sur Persépolis avec ses troupes et, cerise sur le gâteau, fêta son triomphe à Ecbatane. A l’époque des Séleucides, dynastie hellénistique issue de Séleucos, l’un des diadoques d’Alexandre qui fonda un empire syro-iranien en 312 av. J.-C., la ville de Hamedân devint un lieu de rencontre entre ces derniers et les Arsacides.

L’Empire parthe (247 av. J.-C.-224 ap. J.-C.) également appelé Empire arsacide, issu d’une tribu scythe d’Asie centrale et les Sassanides et ayant régné sur le Grand Iran de 224 av. J-C. jusqu’à l’invasion musulmane des Arabes en 651, fit d’Ecbatane leur capitale estivale.

Après l’Islam

Après l’avènement de l’Islam en Iran en l’an 644, le gouverneur de la ville de Hamedân signa un pacte de paix avec les Tazis, les premières tribus arabes auxquelles les Iraniens firent face ; mais cette paix ne dura pas. Suite à une bataille des plus sanglantes, les Tazis s’installèrent dans la ville.

Carte de la ville de Hamedân au XVI siècle

Hamedân est décrite au XIe siècle comme une ville prospère et reconstruite, avec quatre grands portails, des barrières impressionnantes, trois grands bazars, de vastes rues, et une mosquée construite sur un ancien temple du feu zoroastrien.

Abou al-Hajjâj Mardavij ben Ziyâr, ou Mardavij (931-935) devenu premier émir de la dynastie persane des Ziyarides dont le chef-lieu était à Gorgân, attaqua Hamedân en prétextant le meurtre de son neveu et le massacre de son peuple par les habitants de cette ville. D’origine daylamite, il ne s’est jamais converti à l’Islam, contrairement à ses successeurs qui accueillirent cette religion à bras ouverts. Il conquit les provinces caspiennes et les régions appelées Tabaristan, jusqu’à Ispahan et Hamedân. D’après le récit de Massoudi, au cours de la première attaque de Mardavij à Hamedân, près de quarante mille âmes furent massacrées. Le carnage dura trois jours et la ville fut entièrement pillée. Mardavij ordonna d’abattre tous les habitants mâles et de s’emparer des femmes et des biens. La nouvelle de cette tuerie atteignit Bagdad et incita le gouverneur à réagir en expédiant en l’an 931, une troupe de soldats pour mettre fin à cette violence à ses yeux injustifiée. Cette réaction fut vouée à l’échec car la troupe, à peine arrivée à Qazvin, fut lamentablement vaincue.

Drachme en argent du roi parthe Mithridate II (124-90 av. J.-C.), Ecbatane

A partir de la moitié du XIe siècle jusqu’à la fin du XIIe siècle, les Seldjoukides régnèrent sur l’Iran, l’Irak actuel, ainsi que sur l’Asie Mineure et presque tout le Proche-Orient. Hamedân fut leur centre politique, c’est pourquoi de nombreux chefs seldjoukides, notamment Soltân Massoud Toghrol ibn Mohammad et Soltân Mohammad ibn Mahmoud y reposent encore. Du Xe au XIIe siècle, à la suite du démantèlement de l’Empire seldjoukide, Hamedân devint la capitale de l’Irak perse et put jouir à ce titre d’une prospérité considérable sur le plan politique, culturel et économique. Une part importante des monuments actuels de Hamedân datent précisément de cette époque, surtout le fameux « Dôme des Alavides ».

A l’époque mongole, ces derniers menèrent de nombreuses invasions contre les Turcs, notamment à partir de 1239 jusqu’en 1248, à la suite desquelles Hamedân subit de nombreuses destructions. Une fois entrés à Hamedân (les agressions durèrent dix années), les Mongols en massacrèrent les habitants et détruisirent presque toute la ville, de sorte que quelques années durant, on faillit oublier jusqu’au nom même de Hamedân. Beaucoup périrent pour la défense de leur maison, en espérant protéger leur famille, et les survivants se dispersèrent dans le nord de la ville et fondèrent la nouvelle Hamedân. Sous les Ilkhanides, dynastie mongole fondée en 1256 en Iran par Houlagou Khân, petit-fils de Gengis Khân, cette ville retrouva son importance antérieure. Par les soins du ministre iranien Khâdjeh Rashidoddin Fazlolâh Hamedâni, et ce durant tout le temps où il occupa ses fonctions (jusqu’en 1318), on prit à cœur de rebâtir la ville de Hamedân qui redevint de ce fait un lieu digne d’intérêt pour la politique, le commerce et la science.

Ancienne photo du Dôme des Alavides

Avec l’installation de la dynastie safavide au XVIe siècle en Iran, les grandes villes, notamment celles qui jouissaient d’une importance stratégique et politique comme Hamedân, regagnèrent leur ancienne gloire et redevinrent prospères mais continuèrent à être exposées aux attaques des soldats Ottomans, notamment vers la fin du XVIe et tout au long du XVIIe siècle. En 1724, à la suite de la défaite de l’Etat safavide qui marqua le début du chaos dans le pays, la ville de Hamedân fut envahie par les troupes d’Ahmad Shâh Pâsha, gouverneur ottoman dont le siège du pouvoir se situait provisoirement à Bagdad. La défense de la ville assurée par les habitants entraîna un grand nombre de morts mais démontra la bravoure et la fierté du peuple de Hamedân. Huit ans plus tard, c’est-à-dire en 1732, Nader Shâh Afshâr (1688-1747), surnommé le Napoléon iranien et fondateur de la dynastie afsharide, parvint à occuper Hamedân et à débouter les Ottomans jusqu’à Bagdad.

Au cours du XVIIIe siècle, les guerriers et les hommes d’Etat de la dynastie zand issue de Karim Khân Zand, roi de Perse de 1760 à 1779, s’installèrent à Hamedân et la ville devint le centre militaire de l’époque. Alimardân Khân, neveu de Karim Khân Zand et gouverneur de Hamedân, ayant été informé de la mort de ce dernier, s’émancipa du reste du pays, proclama son indépendance et alla même jusqu’à frapper sa propre monnaie. Il parvint à maintenir la paix à Hamedân jusqu’à l’arrivée des Qâdjârs et résista même durant six ans face à leur armée.

Shir-e sangui (lion en pierre), époque qâdjâre

Aghâ Mohammad Khân Qâdjâr (1742-1797), chef eunuque de la tribu qâdjâre, fit assassiner et crever les yeux du dernier shâh de la dynastie zand pour s’emparer du trône et fonder la dynastie qâdjâre en 1794. Lorsqu’il parvint à entrer dans Hamedân, ville qui lui avait résisté plus de six ans, il s’appliqua systématiquement à massacrer, à brûler et à piller tout ce qu’il trouva sur son chemin. Il s’agissait pour lui d’une sorte de vengeance contre Alimardân Khân et les habitants de Hamedân qui avaient préféré les Zands aux Qâdjârs. En 1790, il conquit entièrement la ville et détruisit son ancienne forteresse. La ville de Hamedân ne recouvra plus jamais son ancien lustre et sa prospérité économique. Les habitants se rebellaient de temps en temps contre le pouvoir central, en désespoir de cause. La ville parvint juste à se distinguer sur le plan commercial et politique des villes voisines, mais sans que cela conduise à une véritable renaissance.

Epoque contemporaine

La Révolution constitutionnelle persane contre le règne despotique des rois qâdjârs débuta en 1905 pour continuer jusqu’en 1911. Elle eut pour conséquence la fondation d’un parlement en Iran. Le mouvement, cependant, ne cessa pas avec la révolution et fut suivi du mouvement constitutionnaliste du Guilân. Des personnages comme Sardâr As’ad, Sattâr Khân, Bâgher Khân, des tribus comme celle des Bakhtiâris et des villes comme Hamedân et Tabriz jouèrent des rôles significatifs dans ce mouvement. La révolution constitutionnelle persane fut le premier événement de ce genre au Moyen-Orient. De nombreux groupes se firent face pour donner un sens et définir comme elle le méritait cette révolution. La société dans son ensemble fut transformée d’une manière ou d’une autre par cette dernière. L’ordre ancien, que défendaient Nâssereddin Shâh Qâdjâr et ses successeurs, fut finalement remis en cause pour être remplacé par de nouvelles institutions et de nouvelles formes d’expression. La révolution constitutionnelle parvint donc à Hamedân, comme à d’autres villes du pays, et donna lieu notamment à la fondation du conseil de la ville, de la municipalité et des tribunaux. Grâce aux efforts de Zahiroddoleh, on y fonda le premier conseil régional. La ville fut occupée successivement par les troupes russes, ottomanes, anglaises et américaines au cours des deux guerres mondiales. En 1915, Rezâ Khân Pahlavi fut le chef des forces armées de Hamedân dont le nombre dépassait les 1200 individus. Ce fut dans la même ville et pendant la même période qu’il programma son coup d’Etat de 1920 contre la capitale.

Château de Nahâvand, gravure d’Eugène Flandin

Avec l’arrivée au pouvoir de Rezâ Shâh et la fondation de la dynastie pahlavi, ce dernier prit soin de reconstruire Hamedân en ordonnant à un architecte allemand de redessiner le plan de la ville. Aujourd’hui, Hamedân fait partie des rares villes iraniennes bâties d’après un schème urbanistique précis qui permet de mieux gérer la circulation et induit une diminution de la pollution. La ville fut également très active au moment des évènements qui conduisirent à la nationalisation du pétrole. De nombreuses personnalités connues de la ville furent exécutées pour avoir soutenu Mossadegh, premier ministre démocrate iranien et défenseur de la nationalisation

du pétrole iranien, contre le pouvoir central.

Bibliographie :
- Afshâr Sistâni, Iraj, Pajouhesh dar nâm-e shahr-hâye Irân (Etude sur les noms des villes en Iran), 1ère éd. Rozâneh, Téhéran, 1999.
- Nahchiri, Abdolhossein, Joghrâfiâ-ye târikhi-e shahr-hâ (Géographie historique des villes), éd. Madresseh, Téhéran, 1991.
- Kiâni, Mohammad Yousef, Shahr-hâye Irân (Les villes iraniennes), tome 3, Hegmataneh, p. 291
- Rezâ’i Hamedâni, Emadodin, Simâ-ye Hamedân (Le visage de Hamedân), 1ère éd. Anousheh, Téhéran, 2000.
- Pirniâ, Hassan, Târikh-e bâstâni-e Irân (Histoire antique de l’Iran), éd. Doniâ-ye Ketâb, Téhéran, 1983.


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