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Les grands traducteurs iraniens de la langue française au XXe siècle : Youssef E’tessâmi
La traduction d’ouvrages français en persan commence avec la fondation du Dâr-ol-Fonoun (Ecole polytechnique) en 1851, avec pour but principal de fournir des manuels scolaires en persan aux élèves. Ces premières traductions sont donc majoritairement des ouvrages techniques. Cependant, ce mouvement de traduction gagne rapidement d’autres domaines dont celui de la littérature ; la plupart des ouvrages traduits ayant exercé une influence culturelle considérable en Perse. Les œuvres littéraires traduites ne sont pas toutes françaises, mais elles sont généralement traduites dans leur version française. On pourrait citer à titre d’exemple de grands auteurs Grecs, Russes ou Allemands. Même si après la Seconde Guerre mondiale, l’anglais tend peu à peu à supplanter le français, ce remplacement ne dévalorise pas les traductions susdites, et contribue au contraire à les placer dans une sorte d’Age d’or de la traduction en Iran, époque étroitement liée dans les esprits à la place de la langue et de la culture françaises dans la société persane. Ce phénomène est notamment lié à la baisse à la fois de la quantité et de la qualité des traductions réalisées dans les époques suivantes. Parmi les traducteurs les plus connus de cette époque faste, nous pouvons mentionner les noms de Youssef E’tessâmi, Ahmad Arâm, Mohammad Ali Foroughi, Rezâ Rashid Yâssemi, Nasrollâh Falsafi, Saeid Nafissi, Abbâs Eghbâl Ashtiâni, Mohammad Ghâzi, Rezâ Seyyed Hosseini, Abolhassan Nadjafi, Mahdi Sahâbi, Soroush Habibi, Mortezâ Sâgheb Far, Abdolhossein Nik Gohar, Lili Golestân, Mahasti Bahreini, Mahshid Nonahâli… Cet article revient brièvement sur la vie et l’œuvre d’un des plus actifs de ces traducteurs : Youssef E’tessâmi.
Père de la poétesse Parvin E’tessâmi, Youssef E’tessâmi est né à Tabriz en 1874. Issu d’une famille originaire d’Ashtiân, le père de Youssef E’tessâmi était comptable d’Etat en Azerbaïdjan. Youssef est initié par ce dernier aux littératures persane et arabe, ainsi qu’aux langues turque et française. Il apprend également à ses côtés la calligraphie persane dont les styles naskh, nasta’liq et shekasteh, et les sciences islamiques parmi lesquelles la jurisprudence (fiqh), la théologie, la logique et la théosophie. Après la mort de son père, il acquiert le titre héréditaire de E’tessâm-ol-Molk.
Dehkhodâ estime son écriture fluide et élégante et le considère comme un traducteur très habile et un écrivain occupant une place essentielle dans la langue et la littérature arabes. Il maîtrisait parfaitement cette langue, tant et si bien que son ouvrage Qalâed al-Adab a été choisi comme manuel scolaire en Egypte tandis qu’un autre de ses ouvrages, Thawrat-ol-Hind (La révolution de l’Inde), y a été très bien accueilli. Il n’avait que 20 ans lorsqu’il a écrit ces livres. Durant ses années de jeunesse, E’tessâm-ol-Molk a fondé une imprimerie traditionnelle avec des caractères en plomb à Tabriz, la première de ce genre à l’époque. Sa passion pour la traduction et l’écriture l’ont conduit à démissionner de postes administratifs qu’il occupait pour se consacrer entièrement à ses activités culturelles parmi lesquelles une étroite collaboration avec la bibliothèque Mohammad Ali Tarbiat, le forum des libres penseurs et le centre des débats scientifiques et politiques de Tabriz. Le fruit de cette collaboration fut notamment la création du bimensuel Gandjineh-ye fonoun (Trésor des techniques) avec messieurs A. Tarbiat et Taghizâdeh, qui parut pendant un an (1903-1904). C’était une revue composée de textes scientifiques, techniques, historiques, littéraires, ainsi que de nombreuses traductions.
En 1909, E’tessâm-ol-Molk s’établit à Téhéran en tant que député de Tabriz et directeur de la Bibliothèque Royale (ketâbkhâneh-ye saltanati). Il remplace I. Nobari au Conseil National en 1910, avec les encouragements de ses amis mais contre son gré, car son nouveau poste l’empêche de se consacrer à ses activités préférées. C’est à la même époque qu’il fonde la revue Bahâr (Printemps), « pionnière des revues littéraires » selon Mohammad Taqi Bahâr (surnommé Malek-ol-Shoarâ, "roi des poètes"). Malgré les problèmes, cette revue continua à paraître pendant plus que dix ans. Bahâr était l’une des premières revues littéraires modernistes en Iran, et contribua à faire connaître les nouveaux savoirs occidentaux en Iran. Son contenu était majoritairement des traductions d’œuvres politiques, sociales, philosophiques et littéraires européennes, américaines et asiatiques. On pouvait y lire du Hugo, Rousseau, Voltaire, Tolstoï, les frères Krupp, etc. Admirateur de ce périodique, Malek-ol-Shoarâ a fondé le sien sous le nom de Dâneshkadeh (Faculté) en s’en inspirant.
E’tessâm-ol-Molk a également enseigné à Dâr-ol-Fonoun. Durant les dernières années de sa vie, il a adhéré à la Commission de l’Instruction Publique, puis a été nommé directeur de la Bibliothèque du Parlement, poste qu’il a occupé jusqu’à la fin de sa vie. Il a quitté ce monde en décembre 1938 à Téhéran, et a été enseveli dans le caveau familial à côté du mausolée de Hazrat-e Ma’ssoumeh à Qom. Sa fille, Parvin, a déclamé un long poème, Qassideh, à cette occasion. La majeure partie de son œuvre est composée de traductions. Il a notamment traduit Tarbiat-e Nesvân (L’éducation de la femme) de Qasim Amin Misri, Safineh-ye ghavâsseh (Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne), Khod’eh va eshgh (Cabale et amour, Friedrich Von Schiller), Tir-e Bakhtân (Les Misérables de Victor Hugo), une biographie de Tolstoï, de Henri IV, un ouvrage historique sur Napoléon… Pour ses propres œuvres, il s’est inspiré d’hommes de lettres turcs, égyptiens, syriens et qâdjârs, y compris Nameq Kamâl et Tofiq Fekrat, dont l’influence est visible dans son écriture.
Bibliographie :
Arianpour, Yahyâ, Az Sabâ tâ Nimâ (De Sabâ à Nimâ), Zavvâr, Téhéran, 1993
Mojdeh Kamâli Fard, Youssef E’tessami, http://portal.nlai.ir/ daka/Wiki Pages/اعتصامی، یوسف.aspx
Kâveh Bayât, Magazine Bahâr, http://www.encyclopaediaislamica.com/madkhal2.php?sid=2175