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La gazelle de Perse,
une espèce menacée objet d’une politique de protection active
Fahimeh Mohammadi*
Traduit par
Le nom scientifique de Gozella Subgutturosa (en français gazelle à goitre) désigne un animal véloce appelé en persan Ahou ; celle-ci prenant différents noms selon les tribus iraniennes, notamment âsk (en baloutche), djeyrân (en azéri), toufer (en turkmène), âsk (en kurde), et klâs (en lor). Animal agile et très rapide, la gazelle de Perse est capable de courir à une vitesse pouvant atteindre 97 km/h, et peut maintenir sur de longues distances une vitesse de 48 km/h. Vivant majoritairement dans les champs, les prairies, et les savanes d’Afrique, du Sud-Ouest de l’Asie, de l’Asie centrale, et du sous-continent indien, cet animal vit en troupeau et se nourrit de fines plantes.
Le mâle a de longs bois qui sont proches l’un de l’autre à la base, pour s’éloigner ensuite et prendre une forme incurvée. Repliés vers l’intérieur, les bois ont la forme d’un "s" qui ressemble, de face, à une harpe. Les gazelles habitant la région d’Eshtehârd à Karadj portent les bois les plus longs (45 cm). La femelle n’a généralement pas de bois. En été, les poils sont courts et de couleur sable alors qu’en hiver, ils s’allongent et se rapprochent du brun. Les gazelles les plus âgées, notamment les mâles, ont un poil plus clair, parfois beige. A la base du cou de la gazelle, surtout du mâle, se trouve une protubérance ressemblant à un goitre, d’où son nom français de « gazelle à goitre ».
Ayant pour habitat principal le climat semi-aride des steppes et les prairies, ces gazelles, que l’on trouve aussi dans des pays comme l’Arabie Saoudite, le Pakistan, le Turkménistan, et la Turquie, habitent pour le plus grand nombre dans les plaines d’Iran. En hiver, elles migrent vers des régions plus chaudes. Il y a quelques années, à la suite d’un refroidissement du climat, des milliers de gazelles ont quitté les plaines de Zandjân et de Qazvin, notamment la plaine de Sohreyn, pour se rendre vers Siyâh Pardeh et ses plaines environnantes, dans des aires désertiques protégées.
Lors de leur fuite, les gazelles prennent toujours les mêmes chemins, ce qui augmente le risque d’accident en cas de présence d’homme ou de véhicule sur ces chemins. Tirant avantage de cette caractéristique, les chasseurs guident leurs chevaux vers la route des gazelles, selon un procédé appelé "attaque frontale contre la gazelle" (damâgh gereftan-e âhou en persan). L’une des autres façons traditionnelles de chasser la gazelle est appelée "manœuvre de gazelle" (âhou gardâni en persan) : un chasseur expérimenté, suivant la direction du vent, se met sur le chemin de passage des gazelles. Elles sont ensuite orientées par celui-ci, qui est appelé "manœuvrant de gazelle" (âhou gardân en persan), vers un lieu où d’autres chasseurs sont embusqués.
Les gazelles s’alimentent principalement d’herbes et d’arbustes, mais en automne et en hiver, lorsque les herbes vertes se raréfient, elles se tournent vers les terres agricoles, notamment les champs de luzerne, de betteraves, et divers légumes. Endommageant parfois les jeunes pistachiers de l’aire protégée de Kâlmand à Yazd, ces animaux peuvent aussi être observés dans les champs de blé de l’aire protégée de Bidouiyeh.
La gazelle habitant dans les régions chaudes se reproduit normalement dans les premiers jours de l’automne, alors que la période de reproduction de la gazelle habitant les terres plus froides a lieu à la fin de cette saison, après des combats féroces entre les mâles. Les plus forts s’accouplent généralement avec plusieurs femelles. Donnant naissance à un ou deux faons, la gestation dure environ 170 jours. Cachant pendant leurs premiers jours les petits faons dans des arbustes, leurs mères ne s’éloignent pas d’eux, même pour se nourrir. Quand un ennemi s’approche des petits, la mère essaie de l’éloigner en attirant son attention. Allaités jusqu’à leur cinquième mois, les faons atteignent leur maturité à un an et demi. La vie d’une gazelle dure douze ans en moyenne.
Le guépard, le loup et le caracal constituent les principaux ennemis naturels des gazelles de Perse. Pourtant, ils s’avèrent moins dangereux pour elles que l’homme. Si un guépard attaque un troupeau de gazelles, il n’en chassera qu’une seule, celle qui lui fournira sa nourriture pour plusieurs jours. C’est l’homme qui, en tuant parfois un troupeau entier de ces gazelles, représente la plus grande menace à la survie de l’espèce.
Jusque dans les années 1970-80, on trouvait un grand nombre de gazelles dans la plupart des plaines iraniennes : ainsi, en 1977, plus de 10 000 gazelles vivaient dans l’aire protégée de Mouteh à Ispahan, 7 000 aux alentours de Dâmghân, et 5 000 aux environs de Semnân. Considérée comme étant le plus grand habitat de la gazelle en Iran, la province d’Ispahan héberge aujourd’hui 4 000 gazelles. Couvrant 220 000 hectares, la réserve naturelle de Mouteh à Ispahan, consacrée à la reproduction et la protection des gazelles, est supposée être le meilleur habitat de cette espèce en Iran. Plus de 2 000 gazelles y habitent aujourd’hui. Cependant, l’intensive chasse nocturne ou diurne, et parfois motorisée, qui se pratique encore de nos jours, menace gravement cet animal d’extinction, comme en témoignent régulièrement les gardes-chasse de régions comme la plaine de Negâr à Kermân, celle d’Akhlamd à Ghoutchân, celle de Mouteh à Ispahan, ou encore la plaine de Siyâh Pardeh à Téhéran. Il arrive même qu’en utilisant des véhicules motorisés et des projecteurs, les chasseurs tuent en une seule nuit plus de trente gazelles. En outre, la destruction de leur habitat et leur transformation en jardins ou champs, conduit à sa disparition dans la quasi-totalité des terres non protégées. Ce sont les aires protégées telles que Mouteh à Ispahan, Bidouiyeh à Kermân, Kâlmand à Yazd, Shir Ahmad à Sabzevâr (dans le Khorâssân-e Razavi), Zohrun à Zandjân, l’île de Khârg à Boushehr, et les parcs nationaux comme le parc de Golestân et le parc Bamou dans le Fârs, qui seuls hébergent encore un grand nombre de gazelles.
En 1984, trente gazelles de l’île de Khârg sont transférées par les gardes-chasse de la province de Fârs à l’île de Kish. Les statiques démographiques font état de la croissance de leur population, dont le nombre atteignit 250 en 1994. Cependant, cela dura peu, et leur population connaît depuis une phase de décroissance du fait du manque de protection. Faisant face à une situation difficile dans la plupart de ses habitats, cette espèce baisse en nombre rapidement dans les plaines du pays, où on est parfois témoin de sa disparition totale.
Par ailleurs, la raréfaction ou la disparition de plusieurs espèces chassées par les prédateurs ont une incidence sur la diminution de la population des gazelles, puisque celles-ci sont désormais la proie la plus chassée de ces prédateurs, en particulier le guépard. Précisons que la survie du guépard est elle-même liée à la décroissance du nombre de gazelles - d’où l’émergence de vifs débats concernant le transfert de gazelles vivantes de la réserve naturelle de Shir Ahmad vers les habitats des guépards.
C’est notamment dans ce contexte qu’ont émergé, durant ces dernières décennies, des mouvements de sauvegarde et de protection de la faune en Iran, notamment au travers des projets de l’Administration de l’Environnement de la province du Khouzestân dans la région de Râmhormoz, surtout dans la plaine de Deymeh. Il est à noter que le Département Iranien de l’Environnement s’efforce, dans la plupart des régions où les gazelles se raréfient, de créer des sites de reproduction de cet animal. Cependant, une telle politique est difficile à mettre en place et implique le transfert d’un certain nombre de ces quadrupèdes dans ces zones, impliquant une dépense considérable aussi bien de budget que de temps.
Les tentatives de protection et de réhabilitation d’espèces menacées et de leur habitat ont conduit en 1994 les autorités du pays à interdire la chasse dans la plaine de Deymeh à Râmhormoz, pour ensuite la transformer en réserve naturelle protégée. Cette vaste région se situe à 10 kilomètres au sud de Râmhormoz, sur la route de Râmhormoz-Râmshir. Le projet visant à encourager la croissance de la population de la gazelle de Perse a commencé en 2009, quand 22 gazelles de la région de Mand à Boushehr sont déplacées vers une zone couvrant 120 hectares. Aujourd’hui, leur nombre atteint 100. En janvier 2016, 100 gazelles ont été transférées dans l’aire protégée de Deymeh. En 2015, 92 gazelles ont aussi été transportées en deux fois dans la zone naturelle de Deymeh, où la naissance récente de deux faons présage peut-être de la revivification de la population de la gazelle de Perse dans cette région.
* Doctorante en météorologie-synoptique et titulaire d’une licence en gestion des ressources naturelles, Université Shahid Beheshti, Téhéran.