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La turquoise iranienne, retour sur
les aspects culturels et artistiques d’une pierre aux mille facettes
La turquoise est une fascinante pierre bleue qui a parcouru la Route de la soie pour finalement arriver en Europe. Aujourd’hui, cette route et ses marchands appartiennent à l’histoire passée. Cette pierre n’a non seulement point perdu sa place, mais elle a de surcroît bénéficié d’un regain d’intérêt sur lequel nous reviendrons.
L’Iran produit depuis longtemps une turquoise de très grande qualité, la turquoise de Perse, qui est selon certains experts la meilleure au monde. La turquoise d’Amérique, qui vient en seconde position, est également de qualité et largement commercialisée, mais du fait de sa couleur un peu verdâtre et de ses veinules, elle est considérée comme moins belle que la turquoise de Perse.
Pour cet article, nous nous sommes notamment basés sur un entretien effectué avec le jeune maître artisan Bâgher Nafari qui pratique cet art depuis douze ans et qui a fusionné deux types d’arts créatifs dans des œuvres uniques : l’art de l’incrustation de la turquoise dans de la résine et l’art du moshabbak sur métal. Précisons que ce maître artisan est sans doute actuellement le plus grand maître vivant du moshabbak sur métal, artisanat très ancien mais oublié et peu pratiqué : il n’y a actuellement que deux maîtres artisans connus dans ce domaine en Iran.
Deux récits existent concernant l’apparition du mot « turquoise » ; l’un remonte au XVIe siècle, à la Renaissance. Selon cette étymologie, ce mot dériverait d’un mot du vieux français signifiant « Turc ». Cette étymologie se justifie par le fait que ces pierres, en provenance des mines iraniennes, entraient en Europe par la Turquie, d’où l’erreur. L’autre analyse étymologique, moins probable que la précédente, fait dériver ce mot de « pierre turquin », turquin se disant d’un marbre bleu veiné de blanc provenant d’Italie. Pline l’Ancien fait référence à la turquoise sous le nom de « callais », ce qui montre qu’elle était connue en Europe depuis l’Antiquité. Cependant, elle est connue depuis bien plus longtemps dans d’autres coins du monde. Nous y reviendrons.
Les Iraniens ont nommé cette pierre pirouzeh, signifiant « pierre de la Victoire » (aujourd’hui prononcé firouzeh.
Phosphate hydraté de cuivre et d’aluminium, la turquoise se présente généralement en nodules bleu ciel souvent réniformes, où s’expriment des veines ocre, brunes ou noires de limonite ou de jaspe. Les facteurs climatiques jouent un rôle important dans la formation de ce minéral en profondeur de la terre. Il est à noter que la turquoise se forme à une profondeur maximale de 20 mètres. Ainsi comprenons-nous qu’il y ait des minerais de cuivre à la surface des gisements. La couleur exceptionnelle de cette gemme est générée sous l’influence du cuivre ou du chrome existant dans sa formule chimique. Si la couleur bleue de la turquoise est très célèbre, elle est en réalité très variable : elle va du blanc en passant par le bleu layette jusqu’au bleu ciel, et du bleu-vert à un vert teinté de jaune. La dureté maximale de cette pierre sur l’échelle de Mohs est juste en dessous de 6, ce qui signifie que cette pierre est très fragile.
Cette pierre magnifique, parfaitement opaque, à la couleur unique, s’utilise plutôt en joaillerie. Ses couleurs relativement variées facilitent son montage avec d’autres types de gemmes. Cette pierre bleue est utilisée depuis très longtemps, ce qui fait d’elle une pierre presque symbolique pour l’humanité : en 6000 av. J.-C, les Egyptiens l’exploitaient déjà dans la péninsule du Sinaï. Des bracelets en turquoise retrouvés sur les bras de la momie de Zar, reine de la première dynastie égyptienne, datant de presque 5500 ans av. J.-C., attestent de la place de la turquoise en tant que gemme décorative.
En Amérique, avant le XVe siècle, les Indiens Anasazi extrayaient la turquoise dans le sud-ouest du continent. Plusieurs autres gisements y ont depuis lors été découverts. Pour les peuples d’Amérique, la turquoise avait une valeur parfois sacrée et ils entretenaient à son égard diverses croyances. Ainsi, certaines tribus Apaches estimaient qu’elle fusionnait les esprits de la mer et du ciel pour les protéger. D’autres comme les Navajos croyaient que la turquoise était un morceau de ciel tombé sur la terre. Autre exemple encore, pour les Zunis, la turquoise constituait une protection contre les démons. Quant aux Aztèques, ils la réservaient aux dieux, car ils croyaient que cette gemme ne pouvait être portée par des mortels. Ainsi décoraient-ils des masques et autres objets sacrés avec cette pierre de vie.6
Les peuples de l’Asie de l’est ont également un passé plurimillénaire d’utilisation de la turquoise, souvent montée en bijoux ou décorant des accessoires de luxe. Ainsi, au Tibet, la turquoise a été depuis longtemps une gemme importante et relativement courante que l’on peut également trouver non taillée dans les maisons. Dans certaines régions du Tibet, elle était utilisée dans le commerce. Les turquoises extraites au Tibet étaient plutôt solides, d’une variété qui est connue aujourd’hui sous le nom de Chadjar. En Chine, il est attesté que la turquoise est utilisée au moins depuis le XIIIe siècle, tant dans la fabrication des bijoux que dans les objets d’orfèvrerie. Ceci dit, la qualité de la turquoise chinoise traditionnelle n’était pas excellente et elle se montrait souvent friable. Ceci a poussé dès l’Antiquité les Chinois à importer de la turquoise de Perse, malgré la possibilité d’en extraire en Chine même, ce qui fait de la turquoise l’un des produits de commerce international importants pendant de nombreux siècles.
Quant à la turquoise iranienne, la plus connue du fait de sa couleur particulière et de sa haute qualité, elle s’exploite principalement à Neyshâbour, une vieille ville de la province du Khorâssân. D’autres gisements iraniens importants sont ceux des mines de Tabas, Ghoutchân, Dâmghân et Kâshmar, cependant, la turquoise de Neyshâbour les dépasse en qualité. Depuis au moins 2000 ans, l’Iran est une source très importante de production de turquoise, au point qu’au cours des siècles, les turquoises les plus précieuses provenant d’Iran ont ainsi été appelées les « Persian Turquoise ». Les fouilles archéologiques de la Ville Brûlée à Suse ont mis à jour une sculpture d’un veau en turquoise, actuellement conservée au Louvre, ce qui montre que cette pierre est utilisée en Iran depuis au moins 7000 ans.
La principale mine de turquoise de Neyshâbour est située à 60 km de la ville de Neyshâbour. Précisons que cette mine est la plus ancienne du pays. Certains experts estiment que ce gisement était exploité 2100 ans av. J.-C. et qu’il produit ces gemmes depuis 4000 ans. Précisons cependant que les archives les plus anciennes sur l’exploitation de cette mine datent de l’ère safavide (XVIe siècle).
Selon un premier mythe, Chaddad, fils cadet d’Add, roi de l’Arabie du Sud, devient païen et se prend pour Dieu. Ainsi ordonne-t-il de construire un jardin semblable au paradis, jardin qu’il baptise « Eram ». Il oblige donc les siens à rechercher et à emmener à Eram toutes les belles choses du monde pour bâtir son paradis terrestre. Ses envoyés trouvent de la turquoise au sein des montagnes à Neyshâbour. Ils l’apportent afin de décorer les branches des arbres d’Eram. Selon un second mythe, qui ressemble au précédent, lorsque Chaddad termine la construction d’Eram, il envoie des émissaires aux quatre coins du monde pour rechercher des pierres précieuses afin de décorer les rivières de son paradis. A leur arrivée à Neyshâbour, ces émissaires découvrent la turquoise et commencent à exploiter cette mine. Parallèlement à cette légende, la mine de Neyshâbour possède une grotte baptisée Chaddad. Ces mythes attirent l’attention sur deux détails : elles prouvent d’une part l’ancienneté de cette mine, et de l’autre, témoignent du désir d’absolu que la turquoise de Neyshâbour fait naître depuis longtemps.
Depuis des siècles, sauf en des cas exceptionnels, les mineurs de la turquoise de Neyshâbour sont originaires d’un village situé à trois kilomètres de la mine et qui se nomme « la Mine ». Il serait intéressant d’entamer des recherches anthropologiques sur les coutumes et croyances de ces villageois dont l’existence est depuis des siècles consacrée à la turquoise. Précisons que la mine est louée à ce village depuis trois ans.
Albert Houtum-Schindler écrit dans son livre : « Il existe deux villages de Mine, celui du Haut et celui du Bas, avec au maximum deux cents foyers. Les habitants de ces villages étaient autrefois originaires de la région de Badakhshân. Comme dans cette province, il n’y a pas assez d’eau pour l’agriculture ou l’élevage, les habitants gagnent leur vie en se consacrant à la mine. »
La méthode d’exploitation traditionnelle de la mine, dont on ne connait pas l’origine, se faisait dans le respect la nature. En suivant cette méthode traditionnelle, les mineurs creusaient un trou avec des outils très simples, et suivaient les filons de turquoise sans détruire la roche. Cependant, depuis les choses ont changé, et l’exploitation effrénée des collines de la mine depuis la fin du XIXe siècle, notamment avec de la dynamite, a endommagé la structure générale de la mine de turquoise. Un certain nombre d’ouvriers ont aussi été enterrés vivants lors d’effondrements intérieurs. En 1954, des experts envoyés par le ministère de l’Economie pour évaluer la situation rapportent : « Depuis les siècles précédents jusqu’à il y a peu, l’exploitation était manuelle et se poursuivait sur des filons apparaissant à la surface. Les mineurs creusaient des trous de dimensions modestes et suivaient les filons de turquoise qui étaient presque orthogonaux. Ces trous n’étaient visiblement pas côte à côte. Mais dans les exploitations récentes, il apparaît que toute la mine a été prospectée avec l’espérance de trouver encore plus de filons. »
En 1944, un autre exploitant de la mine, soucieux et attentif à la dégradation de la mine, se rend aux Etats-Unis pour connaître les techniques les plus récentes dans ce domaine. Trois ans plus tard, il met au point un plan d’exploitation plus économique et plus respectueux de la mine. Il obtint pour ce faire le droit d’exploitation de la mine pour vingt ans. Grâce aux techniques qu’il appliqua, cet exploitant réussit à mettre à jour un nouveau filon connu sous le nom de "grotte humide", car il se trouve le long d’une grotte où coule une rivière souterraine. D’autres filons lui sont reliés. Durant la période d’exploitation de cet homme avisé, la mine connut une évolution importante.
Les dénominations des salles ou fosses de la mine sont en relation avec leurs caractères spécifiques ou des événements qui y sont liés. Les salles les plus connues sont la salle d’Abdorrazâghi ou Bou-Eshâghi, qui est le chantier le plus ancien de cette mine et dont on ne connaît pas l’histoire. Cependant, ce chantier est nommément désigné dans des poèmes de Hâfez (XIVe siècle) et du souverain Injouïde Abou Ishak Inju (XIVe siècle), ce qui montre qu’il était alors déjà exploité. D’autres puits à citer sont ceux de Mâleki, Zâk (qui vient de Zâj ou Zâj-eSabz signifiant « sulfate de fer »), Ghâr-e Dam « Fosse de Dam », dont le nom désigne les galeries souterraines abandonnées et reflètent les voix des pierres tombées, la fosse de Tcherâgh-Kosh (qui signifie littéralement « qui tue la lumière »), le Puits humide, la Galerie Verte (dénommée ainsi pour les turquoises vertes qui en sont extraites), la salle Jaune, la galerie du Figuier (parce qu’il y a deux figuiers à sa sortie), le puits de la Haute-Montagne, la salle Kamiri et la galerie de la Sortie.
La galerie Tcherâgh-Kosh ou Tue-Lumière tient son nom du fait que les chandelles s’y éteignaient et qu’autrefois, les mineurs s’imaginaient que des djinns les soufflaient. La galerie de la Sortie, elle, tient sa dénomination du fait des échos sonores que les mineurs y entendaient : ils s’imaginaient que les djinns y faisaient fête en dansant, chantant et tapant des pieds.
« Aujourd’hui, il y a presque trente galeries dans cette mine, toutes permettant l’extraction sur rails. Lorsqu’un nouveau filon est mis à jour, on le mesure. Puis on utilise des explosifs pour pulvériser la roche de turquoise. Les meilleures pierres sont utilisées en joaillerie et orfèvrerie, les autres servent à décorer de la vaisselle et des objets d’art, notamment avec la technique d’incrustation de turquoise dans la résine », explique le maître Nafari.
Dans le passé, l’exploitation de la turquoise se pratiquait selon deux méthodes : la première méthode était artisanale, parfois accompagnée de l’usage d’explosifs, la seconde consistait à faire une prospection dans les galeries récemment découvertes. Henry-René d’Allemagne revient sur ces méthodes dans l’un de ses ouvrages, en précisant que la deuxième méthode serait plus à conseiller. Dans la première méthode, un mineur tenait une aiguille en fer contre la roche alors qu’un deuxième la martelait, l’opération se déroulant dans le noir. Ce travail demandait une habileté particulière pour celui qui martelait car dans l’obscurité, il devait se concentrer pour ne pas écraser la main de son collaborateur. Il fallait ensuite remplir le trou creusé dans la roche par de la poudre à canon et l’allumer. Précisons que cette méthode est relativement récente en comparaison des prospections extérieures de gisements. Cette méthode, qui rappelait par certains côtés la recherche archéologique qui lui était contemporaine, manquait de finesse et conduisait à la destruction de la roche et des pierres broyées. Enfin, la dernière phase de l’opération qui était le lavage des pierres de turquoises était menée à bien par des apprentis, généralement des jeunes garçons de 10 à 12 ans.
Il existe des centaines de mythes et de légendes au sujet de l’apparition de cette gemme connue de l’humanité depuis des millénaires. Selon une légende des Indiens d’Amérique, la collision d’un météore avec la planète terre, il y a des millions d’années, aurait provoqué la formation de la turquoise. C’est la raison pour laquelle ils la dédiaient pour la plupart à leurs dieux.
Pour les Iraniens également, la turquoise est une pierre à valeur sacrée. Parmi les croyances qui y sont liées, l’une raconte qu’une turquoise qui pâlit annonce la maladie de son propriétaire. On la considère également comme une pierre de chance et les guerriers s’en servaient durant l’Antiquité comme d’une amulette protectrice. Ainsi, des turquoises étaient incrustées dans les boucliers et les casques des soldats perses pour les protéger contre les flèches ennemies et leur apporter victoire. Le bouclier du roi sassanide Ardeshir III était ainsi fameux pour ses décorations en turquoise. D’ailleurs, la turquoise est nommée en persan la pirouzeh, qui signifie « la victoire ».
Avant l’islam, le prestige de la turquoise poussait également les rois et la noblesse iranienne à s’en servir dans leurs armoiries et leurs accessoires personnels ou publics. Précisons enfin que l’exploitation de la turquoise était exclusivement royale jusqu’à la fin de l’époque safavide (XVIIIe siècle).
Pour les Iraniens, la turquoise est une pierre quasi-sainte et les croyances préislamiques se sont mêlées aux croyances islamiques à son sujet. Par exemple, les Iraniens estiment que porter une bague sertie de turquoise au moment de la prière est bénéfique. Ils pensent également que cette pierre permet aux vœux d’être exaucés. La majorité des Iraniens estiment que regarder une pierre de turquoise le matin au réveil est source de bonheur. D’autres pensent qu’elle fortifie la vue. Ces dernières croyances sont à mettre en relation avec la couleur apaisante de cette pierre qui rappelle le ciel. Parmi d’autres croyances : garder la turquoise chez soi a une influence positive sur le système nerveux et sur l’écoulement du sang ; la turquoise apporte la victoire, éloigne le mauvais œil, augmente la bonne fortune et la fortune de son propriétaire, et enfin facilite l’enfantement.
Selon sa couleur et sa qualité, cette gemme est divisée en deux grandes catégories : simple et shadjari. Mais il existe d’autres types de turquoise, dont nous dressons ici un rapide inventaire :
- Adjami : c’est une turquoise ronde et assez grande d’une couleur bleue unique et harmonique que l’on retrouve particulièrement à Neyshâbour en Iran. Cette variété est la plus recherchée dans le monde, à cause de sa couleur bleu turquoise particulière et de sa qualité. Cette variété est également plus résistante par rapport à d’autres. Cette sorte de turquoise qui se dit aussi « simple » n’a pas de veine, aussi est-elle plus chère.
- Adjami de demi-couleur : d’une couleur plus claire que l’Adjami, elle est fabriquée artificiellement en laboratoire dans certains pays.
- La turquoise arabe : c’est une planchette de turquoise, d’une couleur bleu foncé, qui plaît plutôt aux nations arabes. D’où sa dénomination.
- Tufal ou littéralement "latte de turquoise" : il s’agit d’une variété qui ressemble à la turquoise arabe mais qui a perdu la pierre de base. On l’appelle également le bâb-e karbalâ, car sa forme définitive a beaucoup de succès dans la ville irakienne de Karbala.
- Tufal de demi-couleur : comme son nom l’indique, ce type de turquoise est plus clair que le précédent. Il est à noter qu’il existe un troisième type de tufal, très clair, que l’on nomme le tufal blanc.
- Tchagaleh ou littéralement « turquoise à forme d’amande verte » : elle se dénomme ainsi uniquement en raison de ses dimensions. Cependant, malgré sa taille, elle est relativement friable comparée à la turquoise adjami, ce qui la rend impropre au polissage. Ce type de turquoise a historiquement un grand succès à La Mecque, d’où son surnom de bâb-e Makkeh.
- Shadjari (la turquoise arborée) : shadjar est un mot arabe signifiant « arbre ». Cette variété de turquoise est connue pour ses veinules semblables aux tiges d’arbre ou à une toile d’araignée.
- Tchal ou turquoise molle : un peu plus grande qu’une lentille, cette variété s’exportait autrefois en Inde et les Indiennes s’en servaient en tant qu’accessoire féminin qu’elles portaient comme grain de beauté collé à la narine. On l’utilisait également pour la sertir sur des bagues nommées bagues de Bombay. Une autre bague sertie de cette turquoise était la bague Shokoufeh portée à Téhéran.
- Les caractéristiques de la turquoise adjami : ce type de turquoise doit être d’un bleu ciel fort et uni, sans aucune tache ou veine. Elle doit également être épaisse avec des dimensions harmonieuses. Les turquoises adjami sont, du fait de ces caractéristiques, plus lourdes que les autres turquoises.
- Les caractères de la turquoise shadjari : d’une couleur bleu foncé, une bonne turquoise shadjari doit être volumineuse avec des veines régulières et noires, normalement ressemblant aux branches d’un arbre. Cependant, si le motif d’un oiseau ou d’un mot saint apparaît sur la pierre, sa valeur augmentera. A ce propos, un récit rapporte qu’à l’époque du roi qâdjâr Nâssereddin Shâh, une turquoise shadjari extraite de la mine de Neyshâbour avait été vendue pour la somme astronomique pour l’époque de vingt mille tomans, car le motif de ses veines faisait apparaître l’expression « Créateur généreux ».
La turquoise exploitée et non travaillée ressemble à une quelconque pierre noire, sans aucune caractéristique, et c’est le patient et minutieux travail du maître artisan qui en fait une gemme prête à être montée sur des bijoux. Pour l’amateur, les gestes d’un maître artisan paraissent simples et répétitifs. Mais en réalité, la taille et le polissage de la turquoise sont des activités qui demandent une grande finesse de gestes, de la minutie et beaucoup de précision. Car le maître artisan doit tailler sans l’abîmer la couche extérieure de la pierre pour obtenir une turquoise pure. C’est lui qui en regardant une pierre de turquoise doit imaginer la meilleure forme possible. Pour tailler la turquoise, il faut des outils spécifiques et le travail se fait généralement en deux phases :
- La première phase : surnommée bâb-e habbeh dans le jargon des artisans de la turquoise et qui signifie littéralement « préparer la pierre afin de lui donner une forme particulière », elle débute par la suppression des morceaux inutiles de la turquoise. Durant cette phase, la connaissance de la pierre de turquoise est vitale pour que l’artisan ne découpe pas des parties de la turquoise elle-même. Cette connaissance doit se doubler d’un savoir-faire technique poussé puisque la turquoise est une gemme relativement friable. Cette phase se fait encore aujourd’hui entièrement à la main.
- La deuxième phase : elle est consacrée à l’affinage de la pierre, et s’effectue à l’aide d’une machine à tailler les pierres. Dans ce but, on enveloppe la gemme dans du tissu et on l’approche de la machine avec une technique particulière. Il s’agit d’enlever les derniers résidus de pierres inutiles. Les gestes de la main du maître artisan sont importants durant cette phase.
D’après le jeune maître Bâgher Nafari, il existe aujourd’hui des machines en forme de cylindre métallique creux qui participent également à la taille de la gemme durant cette phase préliminaire : les débris inutiles déjà taillés manuellement sont déposés dans le cylindre de la machine. Après ajout d’eau, la machine est mise en marche et le cylindre tourne à grande vitesse, séparant les débris de turquoise proprement dit des débris superflus.
Après les deux phases citées, la turquoise toujours informe mais pure est transportée dans les ateliers de taille, où les artisans lui donnent sa forme définitive. Autrefois, la turquoise était généralement appréciée dans les formes ronde et ovale. Aujourd’hui, de nouvelles formes ont été ajoutées pour satisfaire les goûts contemporains. Il y a donc maintenant des formes en losange, fruits variés, rectangulaires, triangulaires, futuristes, etc. Il faut préciser que les formes de taille sont majoritairement adaptées pour permettre de sertir les gemmes sur des bijoux et des accessoires fins. Les méthodes de taille actuelle de la turquoise en Iran, appelée « taille moderne », datent des années 60.
Du fait de sa couleur bleue unique, la turquoise est une gemme et s’emploie en orfèvrerie à côté d’autres gemmes comme le diamant et le rubis, et des métaux précieux qui sont courants dans l’orfèvrerie comme l’or, l’argent, la platine. Il est à noter qu’on ne sertit pas les gemmes lourdes avec la turquoise. Cette gemme bleue fascinante s’emploie autant pour les accessoires féminins que masculins. Pour les hommes, la turquoise est généralement sertie sur des bagues en argent ou en platine, et pour les femmes, toutes sortes de bijoux de turquoise sont fabriqués avec des métaux précieux, en particulier l’or et l’argent.
En Iran, la turquoise est une gemme très appréciée pour les bagues. L’une des bagues traditionnelles précieuses iraniennes est celle qui comprend sept gemmes : la turquoise, qui est le chaton principal, le rubis, le diamant, l’agate, le rubis spinelle, la perle et la chrysolithe ou la topaze. Après les bagues, c’est surtout pour les broches que la turquoise est utilisée. Viennent ensuite les bracelets, pendentifs, boucles d’oreille ou boutons de manchette.
Moshabbak et incrustation de turquoises : entretien avec Bâgher Nafari
Ces dernières années, un artiste et maître artisan ispahanais, Bâgher Nafari, dont nous avons déjà évoqué le nom, a adapté et fusionné deux arts traditionnels du pays : le moshabbak et l’incrustation de turquoises. Précisons qu’il est le premier maître reconnu du pays en l’art ancien du moshabbak sur métal. Nous avons eu la chance de pouvoir l’interviewer pour mieux connaître cet art.
Le moshabbak est un art qui s’effectue sur n’importe quelle surface : métaux, bois, cuir ou d’autres surfaces sur lesquelles cet art a été adapté avec l’outillage propre à chaque type d’entre elles. Littéralement, le moshabbak désigne l’art de faire des trous rectangulaires sur une surface, sans couper l’objet de base. L’art du moshabbak existe depuis l’antiquité Perse et il existait notamment sous le règne des Achéménides. A chaque époque, cet art a évolué et trouvé un nouvel aspect. Autrement dit, chaque époque a eu son propre style. Aujourd’hui, on imite et on adapte parfois une idée à un nouveau travail d’après les œuvres anciennes conservées dans les musées. Cela ne signifie pas que l’on invente un nouveau style, mais on introduit de petits changements dans des styles anciens. Autrefois, malgré l’absence d’un outillage varié, des œuvres superbes étaient créées, dont certaines sont toujours à admirer dans les musées. Le moshabbak sur métal se pratiquait traditionnellement sur le fer, mais qu’il se réalise aujourd’hui plutôt sur le laiton. Ce changement de tendance est plutôt dû à la couleur de ce métal.
Les motifs gravés sur les œuvres trouvent racine dans la culture iranienne. La majorité d’entre eux comprennent des versets coraniques et des motifs floraux dits eslimi (islamiques). Cette dénomination d’eslimi marque la différence avec des motifs séculiers préislamiques tels que les portraits, souvent féminins, qui ont en grande partie disparus après l’islam. Les motifs eslimi sont également connus sous le titre des « motifs à arabesques » du fait de leurs formes abstraites.
L’artisan du moshabbak sur métal commence par découper le papier métallique à l’aide de ciseaux à métal. Il incline ensuite le métal en lui donnant une forme. Cela se fait normalement à l’aide des moules déjà préparés. Après cette étape, le travail principal commence : le maître artisan esquisse et dessine un motif sur le métal et détermine les parties à percer. Il débute le travail en faisant un petit trou avec une mèche à métal adéquate. Ensuite, il découpe les parties déterminées avec une scie à chantourner à lame très fine, et répète ces gestes sur toute la surface de travail.
Pour fusionner de l’incrustation de turquoises sur résine dans l’art du moshabbak, il faut que le maître artisan détermine les frontières de chacun de ces deux arts. Il travaille d’abord les deux types d’art séparément. C’est-à-dire qu’il incruste d’abord la turquoise sur les surfaces métalliques puis, dans un second temps, il soude ces surfaces sur la partie pré-choisie de l’objet à décorer. La suite du travail se fait comme précédemment expliqué pour l’incrustation. Il faut enfin souligner que le moshabbak est un art proprement persan, cependant, en orfèvrerie partout dans le monde, le découpage des noms dans de l’or se fait avec des techniques similaires au moshabbak. Précisons aussi que la réalisation d’une œuvre moshabbak incrustée de turquoises nécessite au minimum une semaine et, selon l’œuvre, peut prendre jusqu’à une année entière.
Étant donné les croyances iraniennes et islamiques, la turquoise a très vite trouvé sa place dans l’architecture des lieux saints iraniens, notamment le plus important qui est le mausolée de l’Imâm Rezâ. Ainsi, entre autres décorations comportant des turquoises dans ce complexe, citons les quatre gigantesques vases suspendus aux quatre entrées du mausolée principal. Ces vases, richement ornés de turquoises et d’autres gemmes sertis sur un fond doré, sont des œuvres d’artistes reconnus et ont été offerts en donation au complexe par l’ancien propriétaire d’un gisement de turquoise, Mostafâ Dorri. Chacun de ces vases est décoré de deux mille turquoises. Ces œuvres ont été achevées en 1958.
D’après les spécialistes, cette gemme doit être tenue éloignée des parfums, des matières grasses et des perles. Il faut également la polir tous les deux ans. Le meilleur ingrédient pour ce polissage est la poudre de la roche de turquoise obtenue lors de la première taille.
La grande majorité des Iraniens apprécient la turquoise, mais son principal centre d’achat demeure la ville de Mashhad et celle de Neyshâbour. La variété des formes et des couleurs permet à chacun de trouver la turquoise qui lui convient.
Les goûts diffèrent aussi avec les nationalités : par exemple, les Français préfèrent généralement la turquoise verdâtre dont la couleur tire sur le jaune, alors que les Américains apprécient plutôt les deux variétés d’adjami et le shadjari aux veines noires. Les Iraniens, eux, la choisissent différemment selon qu’il s’agit d’un achat religieux - la tradition veut que le Prophète ait porté une bague de turquoise, d’où une « sacralité » accrue pour cette gemme -, ou un achat de luxe. Les bagues à dimension religieuse sont réalisées avec des turquoises beaucoup moins chères et de bien moindre qualité que les bijoux et accessoires du second type.
Sitographie :
http://abarshahr.blogfa.com/
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http://frenchold.ws.irib.ir/
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