N° 131, octobre 2016

Le roman de la guerre Iran-Irak
est-il moderne ?


Arefeh Hedjazi


Introduction

 

En septembre 1980, l’Irak de Saddam Hussein attaque l’Iran khomeyniste. C’est le début d’une guerre à dimension téléologique pour les Iraniens, qui subissent alors les violents soubresauts d’une toute récente Révolution islamique. C’est aussi l’occasion pour une nouvelle littérature de se développer : la littérature de guerre moderne, qui s’élabore à partir du vécu de ses auteurs majoritairement anciens combattants, mais aussi de l’héritage littéraire et socio-politique de la modernité entrée en Iran au XIXe siècle. Citons pêle-mêle les influences des discours intellectuel laïc, pacifiste, traditionnel conservateur mais aussi, plus visible que les autres, le discours révolutionnaire religieux, qui, fédérant la nation face à l’agresseur irakien, fera de la littérature de guerre l’outil de son implantation autant dans les champs socio-politiques que dans la culture iranienne. Cette littérature est communément désignée en Iran sous le titre de « Littérature de résistance » ou « Littérature de la Défense sacrée », titre idéologisé mais qui résume convenablement l’essentiel de son contenu : la résistance face à l’envahisseur vue comme devoir sacré, ce que Pierre Razoux nomme « l’effet Valmy » [1].

Cet article tente de cerner l’apparition d’une nouvelle modernité littéraire, pléonasme que nous nous proposons d’examiner à la lumière de ce qu’Antoine Compagnon nomme la « tradition de la modernité » [2], dans le roman de guerre iranien et de son compact consécutif sur l’ensemble de la prose romanesque extrême-contemporaine. Le champ d’études étant vaste, nous nous sommes focalisés sur la littérature mainstream, c’est-à-dire la littérature officielle de la guerre, produite en Iran et plus ou moins respectueuse des limitations de la censure. Ce choix est volontaire, car nous estimons que la problématique de la littérarité, traditionnellement inséparable en Iran du social et du politique, s’y manifeste autant dans les œuvres littéraires que dans les polémiques que la littérature de guerre alimente en Iran. En effet, cette littérature se démarque par un tiraillement entre engagement idéologique fort et domination du sacré religieux et du social sur le littéraire, donc un anti-modernisme littéraire, et la recherche d’une littérarité capable de transmettre l’expérience personnelle des auteurs, majoritairement acteurs de cette dernière « guerre des tranchées » du XXe siècle.

 

Le roman de la guerre irano-irakienne

 

La Révolution islamique conduit les intellectuels iraniens à tenter de définir une nouvelle modernité à partir des années 80, qui coïncide historiquement avec l’avènement de la postmodernité. Cette « nouvelle » modernité est pensée, non pas comme « la fin du progrès » ou la « fin de l’Histoire », mais la reprise dans le cadre d’une pensée ésotérique chiite politisée qui s’inspire d’une lecture moderne des doctrines de l’Occultation.

En littérature, le roman de guerre qui contrairement à la poésie, n’a pas de modèle ancien, se charge de la définition de cette modernité épiphanique. Et se place ainsi à contre-courant de la littérature de guerre moderne, celle des deux guerres mondiales notamment, justement marquée du sceau de l’échec de la modernité, de l’idée du progrès, du sens de l’Histoire, à l’exact opposé de ce que veut ce roman iranien qui naît quelques mois après le commencement de la guerre. Il refuse également de suivre les courants de la littérature contemporaine iranienne qui le précède, la jugeant contre-révolutionnaire ou simplement dépassée.

Par ailleurs, cette volonté de définition d’une nouvelle modernité, qui soit réellement l’expression de ce discours révolutionnaire qui plonge autant ses racines dans la théosophie iranienne que dans sa relecture de la modernité politique - n’est pas seulement d’ordre idéologique. C’est également d’ordre subjectif et même « didactique », car les auteurs du roman de guerre sont majoritairement des anciens combattants. La plupart n’ont aucune expérience littéraire et deviennent justement écrivains parce qu’ils ont fait la guerre. L’écriture est pour eux un devoir de mémoire. Les entretiens de ces écrivains montrent à quel point ils sont sensibles à la transmission de leur témoignage aux générations futures.

Entre l’idéologie et le témoignage du Sujet, l’épiphanie du martyre et l’horreur de la guerre moderne, le rejet de la modernité et la revendication de sa redéfinition, l’ambition de faire de la littérature sacrée et l’inexpérience totale, le roman de guerre iranien connaît depuis son apparition en 1980 jusqu’à aujourd’hui une évolution autant formelle que théorique qui se répercute sur l’ensemble de la littérature contemporaine iranienne.

Cette évolution se montre au niveau formel par une expérimentation extrême : le roman de guerre des années 80, littérature de commande et de propagande proche de la caricature, devient à partir des années 90 une littérature qui privilégie la subjectivité, la narration autodiégétique, les expérimentations stylistiques et narratives, la mystification, la parodie, en un mot, la recherche d’une poétique propre.

Parallèlement à cette recherche formelle, la littérature elle-même, sa place, ses théories, ses rôles, sa littérarité, etc., sont pris à parti et décortiqués dans une recherche à caractère dialectique, qui se dépasse incessamment et évolue en tentant de répondre à une multitude de questions, générales sur la littérature ou plus « spécialisées ». Par exemple : « Quel est le rapport de la littérature au sacré ? », « Comment dire la guerre en tant qu’expérience mystique ? », « Comment littérariser l’engagement idéologique ? », « Quelle esthétique pourrait-on définir pour la narration de la guerre ? », etc.

 

Idéologie et polémique : le sens téléologique de la guerre

 

La littérature de guerre iranienne contemporaine est inséparable d’une relation vitale et bilatérale au discours révolutionnaire, qu’elle a contribué à justifier et à légitimer et qui en échange, lui a donné ses codes thématiques, son langage, les fondations de ses discours sur la guerre. L’importance du discours idéologique basé sur une relecture moderne de l’ésotérique chiite est telle qu’elle influence les dénominations de cette littérature. En effet, la littérature de guerre iranienne est nommée soit la « Littérature de la Défense sacrée », soit la « Littérature de la Résistance », en allusion à la littérature de résistance à l’oppression, telle la littérature anticolonialiste ou anti-impérialiste socialiste d’Amérique du Sud, ou les littératures de résistance aux occupations militaires. La différence entre littérature de résistance et littérature de guerre est définie par la critique iranienne selon qu’elles dénoncent ou pas des crimes, des injustices et des inégalités et adjurent l’interlocuteur à réagir et à combattre l’aliénation et l’injustice et à rechercher la justice, l’indépendance et l’égalité. [3]

 

Dans le cadre du discours révolutionnaire, le roman de guerre, qui se définit comme une littérature de résistance, revendique d’une part la pensée religieuse révolutionnaire qui le sous-tend et d’autre part, s’engage dans une opposition polémique philosophique à la littérature de guerre moderne et son constat d’échec des idées de la modernité.

 

Une littérature entre la fiction et le témoignage : quelle place pour la mimesis ?

 

D’abord une écriture de l’urgence, initiée dès avant la fin de la guerre par une très jeune génération de combattants ou d’anciens combattants majoritairement sans expérience littéraire, le roman de guerre affiche dès son apparition son rejet des modèles précédents, ce qui rend nécessaire l’élaboration de nouveaux concepts, d’une nouvelle perspective de la littérature. Car en se définissant comme littérature de résistance, le roman veut porter un témoignage sur un combat qui dépasse le simple cadre d’un conflit territorial et oppose le Bien et le Mal sur deux plans d’existence, le terrestre et le sacré. Dans cette perspective, la guerre ne peut qu’avoir une signification transcendante, elle est sacrée et vise un objectif téléologique. La mort également devient le martyre, une expérience existentielle qui « canonise » le combattant. L’ambition du roman de guerre est, entre autres, d’être une littérature capable de représenter cette vision du monde. D’où l’émergence, dans la pratique de l’écriture, d’un questionnement portant notamment sur la littérature et sa relation au social et au sacré.

De l’avis même de ses auteurs, le roman de guerre n’a pas encore trouvé ses marques et peine à produire des œuvres notables. Cependant, le projet du roman de guerre a permis aux acteurs du champ littéraire d’amorcer des débats très riches et nouveaux dans la mesure où paradoxalement, engagés à partir d’une optique idéologique, ils se portent sur la littérature elle-même.

, biographie de Zahrâ Hosseini, rédigée par l’écrivaine Akram Hosseini

Un des points débattus est le rapport fiction/réalité/vérité. Autrement dit, la pertinence de la mimesis dans l’expression de l’expérience « transcendante » de la guerre, ainsi que la téléologie de ce combat sacré. Cette réflexion s’inscrit en second lieu dans le cadre plus vaste de la question de la littérarité formelle dans la littérature iranienne, axée encore aujourd’hui sur la poésie et la fonction poétique du langage et non sur la prose.

Le débat portant sur la fiction est à ce point ouvert que tout un pan de la production littéraire de la guerre, celle des témoignages, des mémoires et des biographies, est considéré comme romanesque du seul fait que ces mémoires ou témoignages sont consignés et mis à l’écrit par des écrivains. [4] L’exemple le plus marquant est Dâ, biographie de Zahrâ Hosseini, rédigée par l’écrivaine Akram Hosseini sur la base d’entretiens avec Zahrâ Hosseini, qui est indifféremment considérée comme un roman ou une biographie, alors qu’il s’agit d’un témoignage extrêmement détaillé [5]. La valorisation littéraire de ces mémoires « romanesques » affirme une remise en question des distinctions opérées par les théoriciens littéraires entre fiction et réalité et d’une réflexion nouvelle marquée par des tentatives de définition de la représentation littéraire. Car il s’agit pour la fiction de guerre d’exprimer la Vérité qui ne peut pas être fictive. La réflexion est ouverte et elle n’a pas encore donné de résultats, mais on pourrait la qualifier de « moderne » du fait de son questionnement sur l’essence de la littérature, d’autant brave qu’il émerge dans une tradition littéraire où la mimesis est un « concept importé » depuis un siècle à peine.

Le Sujet et ses représentations

 

La réflexion sur la représentation dans le roman de guerre iranien s’est amorcée d’une part à partir du questionnement idéologique iranien postrévolutionnaire de la littérature, et d’autre part, à partir de l’autoréflexion des auteurs dans leur œuvre.

Les auteurs du roman moderne iranien forment en effet une génération d’acteurs du champ littéraire qui apparaît du fait de la guerre, car la majorité est des anciens combattants, certains ayant commencé à écrire sur le front. Cette génération est composée de jeunes gens sans expérience littéraire, mais formés à l’école révolutionnaire et à la guerre, donc idéologisés, traumatisés, mais aussi dépossédés de leur guerre, car la fin des hostilités, après huit années de combat, les renvoie dans une société civile qui veut tourner la page de la guerre et dans laquelle ils se sentent étrangers [6]. Ils sont donc tiraillés entre le désir de simplement raconter leur guerre et la volonté de rester fidèles à leur rôle de porte-parole engagé d’une nouvelle vision du monde.

La nécessité ressentie par ces auteurs de concilier l’engagement dans un sens à la fois sartrien et romantique (donc moderne !) et le désir de dire leur expérience traumatique les ont conduits à adopter généralement une forte subjectivité dans leur œuvre et à évacuer au second plan le discours idéologique, qui dès lors sous-tend certes l’infrastructure du récit, mais qui n’apparaît pas à première vue dans le texte. Le sujet autodiégétique remplit ainsi deux fonctions : il permet de faire du narrateur un témoin des événements historiques relatés dans le roman, et surtout le témoin de l’engagement des figures-modèles (les martyrs), mais aussi le témoin du non-dit de la guerre, au-delà de l’idéologie, en somme l’expérience personnelle de l’horreur de la guerre, dans une relation ambigüe avec la béatitude du martyre.
On peut en la matière citer l’œuvre d’Ahmad Dehghân, un ancien combattant et un des rares écrivains du courant « officiel » à décrire crûment, avec un langage sobre et presque enfantin, comme en retrait, la violence de la guerre, notamment dans son roman polémique
Safar be gerâ-ye 270 daraje (Voyage au 270e parallèle), où le narrateur autodiégétique adolescent, qui retourne au front lors d’une opération destinée à reprendre la colline 270, voit se décimer la compagnie de volontaires, majoritairement adolescents, à laquelle il appartient. Dans son recueil de nouvelles, Man ghâtel-e pesaretân hastam (Je suis l’assassin de votre fils), il revient sur l’acte de tuer propre au combattant. On peut également citer l’œuvre d’un autre écrivain de guerre, Mohammad Rezâ Bâyrâmi, dont le dernier roman, Atash be ekhtiâr (Feu à volonté), se situe à la frontière du roman idéologique mainstream et du roman de guerre occidental. Dans ce roman au style nouveau, rappelant les styles proustien et faulknérien, des soldats dont on ignorera l’identité jusqu’au bout errent, épuisés, perdus et surtout terrifiés, dans des paysages lunaires à la recherche d’on ne sait quoi, dans une narration expérimentale où les temps et les espaces se chevauchent et où entre constamment le narrateur extradiégétique « tu » qui brise le rythme du récit pour s’auto-interpeller.

 

Roman polémique Safar be gerâ-ye 270 daraje (Voyage au 270e parallèle), œuvre d’
Ahmad Dehghân

La valorisation du roman

 

Le discours idéologique de la Défense sacrée passant obligatoirement par la question du martyre, et le martyre ne pouvant être qu’une expérience mystique individuelle, c’est le roman et non pas la nouvelle - forme de prédilection des auteurs iraniens [7] - qui en est la forme privilégiée du fait de la place qu’il accorde au développement de l’actant, à son parcours intérieur [8]. Caractéristique qui a induit un assouplissement de la censure face à la représentation de la conscience individuelle hors des « directives » de sa communauté, au moins pour ce qui est de la littérature de guerre. Si la censure a accordé plus de liberté au roman de guerre qu’au roman iranien en général, c’est parce que le parcours des personnages, leur cheminement jusqu’au martyre, forme suprême de la béatitude, nécessite la monstration de la conscience individuelle qui « s’élève ». Cette liberté relative ne s’exerce à l’origine qu’à l’encontre du roman de guerre, mais elle permet au roman iranien de se connaître un développement inédit et de se hisser à un rang incomparable avec celui qu’il occupait avant la Révolution.

Le roman de guerre contribue également au développement du genre romanesque en Iran à travers les importantes expérimentations formelles privilégiées par les auteurs de guerre. Ainsi toutes les formes littéraires « modernes » du réalisme au dadaïsme, en passant par le réalisme magique, les recherches oulipiennes et l’autofiction ont notamment été reprises par des auteurs de guerre iraniens. [9] Le roman de guerre s’investit également dans des expériences d’alliages formels entre différents genres littéraires, dans des jeux textuels, comme les mystifications, etc.

Cette exploration des genres romanesques n’a, dit-on, pas généré à ce jour, de chefs-d’œuvre [10] mais il n’en reste pas moins qu’elle a fortement contribué à façonner de nouvelles approches pratiques de l’écriture dans la fiction iranienne extrême contemporaine.

 

Littérarité, engagement et littérature « noire »

 

Par ailleurs, l’importance dans le roman de guerre, du « Je », sujet à la fois acteur et contemplatif, s’inscrit dans une logique à deux sens : refus de la littérature iranienne engagée d’avant-guerre, considérée comme une littérature purement à thèses, stérile car scolairement idéologique, généralement « réaliste soviétique », et souhait d’une symbiose de cette littérature à thèses avec la littérature « moderne » et esthétisante de l’Iran prérévolutionnaire.

Une mise en parallèle du roman de guerre des écrivains déjà confirmés dans le champ littéraire avant la guerre et la Révolution et le roman de guerre de la nouvelle génération permet d’isoler de la seconde à la première un mouvement double de rejet et d’assimilation de la littérature « moderne classique » au code littéraire prérévolutionnaire. Assimilation qui permet à la « nouvelle littérature » de déstructurer en deux décennies cette littérature précédente au travers d’une analyse oscillant entre l’idéologie et la réflexion littéraire, et d’en enrichir sa propre définition, passant du statut d’une littérature de guerre très idéologisée à ce que certains critiques conservateurs nomment aujourd’hui la littérature « noire » de la guerre, c’est-à-dire une littérature qui, selon ces critiques, s’éloigne de sa vocation révolutionnaire.
 [11]

Man ghâtel-e pesaretân hastam (Je suis l’assassin de votre fils), œuvre d’
Ahmad Dehghân

Précisons tout de suite qu’il ne s’agit pas d’une littérature dissidente. Œuvres d’auteurs « officiels » et proches du champ du pouvoir officiel, ces romans récents, à la lumière de l’étude de l’ensemble de l’œuvre de ces auteurs, montrent une évolution et un approfondissement de la réflexion critique sur la relation entre littérature et social chez ces écrivains. On pourrait peut-être affirmer que cette littérature noire de la guerre est actuellement la manifestation la plus « littéraire » du mouvement dialectique d’assimilation critique de l’héritage romanesque moderne iranien et mondial par le roman à thèses de la guerre. Elle est également le terrain où l’élaboration d’une réflexion sur la littérarité et sa relation avec la représentation d’une guerre sacrée se fait avec le plus d’innovations et de libertés. Elle montre également, dans un sens plus personnel, le recul historique par rapport à la guerre (terminée en 88) qui permet à ces auteurs d’exprimer « leur guerre » selon un point de vue moins idéologisé et plus subjectif, de se réapproprier le langage littéraire pour revenir sur leur expérience de la guerre, notamment en parlant de motifs souvent occultés dans le roman iranien de guerre, tels que la violence ou la peur.

 

Conclusion
Le roman de guerre est-il moderne ?

 

Nous avons tenté dans cet article de revenir sur la conception générale de la modernité en Iran. La modernité au sens large, dont l’impact sur la société et l’histoire iranienne a été phénoménal, et la modernité littéraire d’avant la Révolution islamique, qui est la seule à avoir été jusqu’à maintenant étudiée et encadrée « académiquement ». Nous avons ensuite tenté de démontrer l’émergence d’un discours révolutionnaire qui remet en question les apports de la modernité. Cependant, ce discours révolutionnaire est lui-même moderne, car il a pris forme à partir d’une réflexion née de la confrontation entre la tradition iranienne et le phénomène de la modernité, perçue dans un rapport d’attraction/répulsion.

Ce rejet critique de la modernité se voit également dans les paradigmes de la littérature révolutionnaire et postrévolutionnaire primaire, qui cherche à élaborer une réflexion littéraire en accord avec sa vision idéologique. Le roman de guerre, du fait des circonstances historiques et sociales, devient le support privilégié de cette ambition.

Nous avons tenté de démontrer dans cet article que le mouvement de rejet de la modernité littéraire par le roman de guerre iranien s’est soldé par une dialectique de dépassement des définitions « normalisées » de la modernité au travers d’une recherche et d’une réflexion sur la littérarité, paradoxalement lancées à partir d’une volonté de domination de l’idéologique sur le littéraire.
L’étude de ce type de roman met à jour quelques caractéristiques, telles que la dimension polémique, une critique sévère des normes littéraires précédentes, l’idéologie et l’engagement, les ambitions thématiques, l’émergence dans le discours sur ce roman de problématiques théoriques nouvelles et des innovations formelles. Ces caractéristiques peuvent toutes être classées parmi les paradigmes fondateurs [12] de la modernité littéraire, telle qu’elle a pris forme en Europe. Et ceci démontre qu’il est possible de repérer dans ce roman et au vu d’une modernité prise comme attitude, ethos, et non pas phénomène périodique, une « nouvelle » modernité, encore en formation, qui continue actuellement d’évoluer.

Notes

[1Raroux, Pierre, La guerre Iran Irak, Première guerre du Golfe 1980-1988, Paris, éd. Perrin, 2013, p. 134.

[2Compagnon, Antoine, Les cinq paradoxes de la modernité, Paris, éd. Seuil, 1990, p. 9.

[3Voir Sheshtmadi, Ali : « La littérature de guerre est le terme générique appliqué aux genres littéraires d’expression de la guerre, tels que la poésie ou le roman de guerre, qui englobent les œuvres littéraires traitant de la thématique de la guerre. Mais la littérature de la résistance est la littérature, qui narrant les injustices et les crimes, invite l’interlocuteur à réagir. D’autre part, la littérature de guerre s’occupe des combats sur le sol national ou à l’extérieur et raconte les conséquences et les dommages de la guerre. Ceci alors que la littérature de la résistance apparaît sous l’influence d’une révolution ou d’une défense territoriale et de l’expulsion du colon et son sujet principal est la recherche de la justice, l’indépendance et le combat contre l’aliénation et l’inégalité. Le point commun entre certaines œuvres de littérature de guerre et de littérature de résistance est la manière humaine de traiter le thème. Ce regard et ce thème ont dans la littérature de la résistance une teinte religieuse et nationale et le désespoir y est absent. » http://www.irdc.ir/fa/content/50234/default.aspx. Consulté le 20 novembre 2014.

[4Voir sur ce point : Guerre et mémoire, table ronde sur la littérature de guerre (6-7 décembre 1999), éd. Butel, 2002.

[5Cet ouvrage, republié plus de 80 fois en moins de cinq ans, est considéré comme un succès dans la littérature de guerre iranienne. Le lectorat iranien le considère plus comme un roman que comme un mémoire, ce qui montre tout le champ à définir de la fiction en Iran.

[6Les motifs de la nostalgie du front et de la guerre, de la solitude et de l’impossibilité à communiquer, les souvenirs des camarades morts etc., sont omniprésents dans la littérature et le cinéma de guerre des années 90.

[7Balaÿ, Christophe, « Littérature et individu en Iran », Cahiers d’Etudes sur la Méditerranée Orientale et le monde Turco-Iranien [En ligne], 26 | 1998, mis en ligne le 02 mai 2004, consulté le 02 décembre 2014. URL : http://cemoti.revues.org/26

[8Ibid.

[9Voir : Parsinejâd, Kâmrân, Jangi dashtim, dâstâni dâshtim (Il était une fois une guerre, il était une fois des récits), Téhéran, éd. Sarir, 2005.

[10Ce constat est celui de la critique académique iranienne. Voir notamment : Irâni, Nâsser, Majmou’e maghâlât-e barressi-e român-e jang dar Irân va jahân (Actes du colloque d’étude du roman de guerre de l’Iran et du monde), Téhéran, éd. Bonyâd Jânbâzân-e Enghelâb-e Eslâmi, 1995 ; Soleymâni, Belgheyss, Tofang o tarâzou (Le fusil et la balance), Téhéran, éd. Rouzegâr, 2002 ; Kowsari, Massoud, Barresi-e jâme’e shenâkhti-e dâstân-hâye koutâh-e jang (Adabbiât-e jang va mowj-e no) (Etude sociologique des nouvelles de guerre (La littérature de guerre et la Nouvelle Vague), Téhéran, éd. Farhangsarâ-ye Pâydâri, 2004

[11Un débat télévisé en direct (diffusion : octobre 2013) et particulièrement animé entre deux écrivains de guerre, Ahmad Shâkeri et Mohammad Rezâ Bâyrâmi portant sur la « liberté » de l’écrivain par rapport à son engagement est très représentatif des courants critiques actuels en la matière.

[12Pellet, Eric, « Permanence rhétorique du discours de la modernité », in. Claudon, F., Elias, S., Jouanny, S., Parola-Leconte, N. ; Thelot, J., La modernité mode d’emploi, coll. Organisé par l’EA 3483, 2 et 3 avril 2004, pp. 179-196.


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