N° 28, mars 2008

Le pétrole et la Révolution islamique


Hoda Sadough


Depuis la découverte du pétrole en 1901 en Iran, l’or noir constitue la source énergétique principale et le carburant essentiel de l’économie des pays de l’Asie du Sud-ouest.

En très peu d’années, avec le forage des premiers puits, l’économie traditionnellement basée sur l’élevage et l’agriculture se tourna vers une nouvelle ère dont le pétrole fut le levier. Entre 1950 et 1960, l’Iran, cinquième pays du monde en termes de réserves de pétrole, commençait à peine à franchir les premiers échelons de l’industrialisation, lorsque la forte augmentation du prix du pétrole brut eut des répercussions remarquables sur son économie. Les revenus liés au pétrole, qui ne constituaient que 13,66% du PNB atteignirent le seuil de 47% en 1963 et la rente pétrolière, constituant de 46 à 50% du budget de l’Etat entre 1955 et 1960, atteignit 85,5% en l’espace de quelques années. Négligeant ses bases économiques originelles, l’Etat devint de plus en plus dépendant de la rente pétrolière. Bientôt, le pays se trouva dans une situation d’impasse économique et le gouvernement projeta alors un plan de réformes agraires qui ne permirent pas d’atteindre les objectifs souhaités.

La raffinerie d’Abâdan

Cet échec était en réalité lié à la combinaison de plusieurs facteurs. D’une part, l’inflation du secteur agricole entraîna des dommages irréparables, suivis par l’inévitable flux d’immigration massive des villageois vers les grandes villes. D’autre part, la baisse des recettes pétrolières à partir de 1965 et les projets vaniteux et irréalisables de développement, notamment du secteur militaire, provoquèrent l’augmentation en flèche du chômage, une crise immobilière, ainsi qu’une explosion de la dette extérieure.
Cet état de choses provoqua un fort mécontentement au sein des masses populaires et contribua à préparer progressivement la voie de la Révolution islamique de 1979.

La crise pétrolière de 1973

Le 6 octobre 1973, l’Egypte et la Syrie déclenchèrent une attaque surprise et combinée contre Israël. Après deux jours de défense passive, Israël mobilisa ses réservistes et réussit, grâce à l’aide massive des pays occidentaux, à résister, faisant reculer la bataille à l’intérieur de la Syrie et de l’Egypte. Enfin, le 22 octobre, le Conseil de Sécurité intervint en adoptant la Résolution 238 qui appelait toutes les parties belligérantes à un cessez-le-feu immédiat, mettant ainsi fin au conflit. Malgré le succès final des militaires israéliens, la guerre fut considérée comme un échec diplomatique et militaire pour Israël. En ce temps là, les pays arabes producteurs de pétrole, mécontents de la dévaluation de la devise américaine et du soutien américain que reçut Israël, décrétèrent un embargo pétrolier. Le 16 octobre l’OPAEP (Organisation des Pays Arabes Exportateurs de Pétrole) majora unilatéralement les prix affichés du pétrole brut de 70 %, réduisit sa production de 5% et décréta ainsi un embargo sur les exportations de brut à destination des Etats-Unis. D’autre part, le 23 décembre, à Téhéran, l’OPEP décida une nouvelle hausse de prix de 13%. En conséquence, le prix du baril de pétrole brut passa dans ce laps de temps très court d’environ 2$ à 10$ le baril. Ce premier choc pétrolier contribua à ébranler l’économie des pays industriels, qui importaient de grosses quantités de pétrole à des prix très bas.

La crise pétrolière de 1979

Le deuxième choc pétrolier datant de 1979 se produisit sous les effets conjugués de la Révolution islamique et de l’attaque irakienne de Saddam Hussein contre l’Iran. En effet, le personnel iranien de l’industrie pétrolière déclencha une grève au milieu de l’été 1978 pour soutenir la Révolution islamique. La grève du 1er octobre des ouvriers et techniciens de la première raffinerie du monde, celle d’Abadan, traitant 600 000 barils par jour, provoqua dans le Golfe Persique un bel embouteillage de pétroliers qui attendaient de pouvoir remplir leurs cuves. Organisée par des comités de grève active, elle paralysa en 33 jours l’économie des grands pays industriels.

Face à cette situation, le chef de la compagnie nationale du pétrole iranien rencontra le comité de grève et confirma qu’il n’allait prendre en compte que les revendications financières et non pas politiques. Cette rencontre eut pour conséquence le déclenchement d’une grève générale, qui stoppa entièrement la production. Il faut toutefois noter que, même si ces luttes n’étaient pas le résultat d’une direction consciente d’organisation révolutionnaire, elles n’étaient pas non plus uniquement spontanées. L’Iran, qui fournissait avant cette grève environ 10% de la production mondiale, c’est-à-dire 5 millions de barils par jour, limita alors sa production aux besoins intérieurs du pays, ne produisant plus que 700 000 barils par jour. L’impact fut si violent que le ministre américain de l’énergie annonça que son pays serait contraint d’appliquer des mesures de rationnement si l’Iran ne reprenait pas à nouveau ses exportations.

Plate-forme pétrolière de Behrgânsar, la plus ancienne installation pétrolière offshore de l’Iran, Golfe persique

Le brusque fléchissement des exportations pétrolières iraniennes eut de sévères impacts sur le marché pétrolier mondial. Cette crise fut également accentuée par la forte augmentation de la demande de brut des pays industrialisés et les fluctuations du marché ordinaire, incapables de répondre à la demande croissante de pétrole. La pénurie pétrolière poussa finalement les pays les plus puissants à s’approvisionner au marché noir ou auprès des marchés officieux et parallèles. Alors qu’en temps normal, ce marché ne concernait que 5% de l’ensemble des transactions, en 1979, il concentrait plus de 30% des transactions internationales du pétrole.

D’autre part, en raison de l’intérêt des pays-membres de l’OPEP pour ce marché noir qui constituait désormais le critérium des prix, l’OPEP perdait tout contrôle.
Ainsi, en juin 1979, la décision prise lors de la 54ème session du sommet de l’OPEP qui laissait une grande marge de manœuvre aux pays membres à condition que leurs prix ne dépassent pas 23,5 $ le baril, fut un échec complet.

Cette crise poussa donc les pays consommateurs, en accord avec les producteurs, à favoriser la consolidation d’un marché pétrolier mondial où ce produit serait échangé comme n’importe quelle autre marchandise. Dans le cadre de cet accord, l’administration Reagan créa une réserve stratégique de pétrole aux Etats-Unis tout en travaillant à renforcer la sécurité de l’offre sur le marché international, notamment par la consolidation de la présence militaire américaine dans le Golfe Persique.

A cela s’ajoutèrent le conflit entre les deux Yémen en mars 1979 et l’invasion soviétique en Afghanistan, au mois de décembre de la même année, qui poussèrent l’administration Carter à envisager, dès la fin de 1979, la mise en place de la Rapid Deployment Joint Task Force (RDJTF), basée en Floride et disposant de points d’appuis dans le Golfe Persique.
Cette politique fut marquée par un durcissement quand un an plus tard, les Américains déclarèrent le Golfe Persique zone d’intérêt vital pour les Etats-Unis.

En septembre 1980, équipé des plus dangereuses armes chimiques par les pays occidentaux, Saddam Hussein déclenche la guerre contre l’Iran. Il souhaitait, en collaboration avec l’Occident, tirer parti des difficultés de la toute jeune République islamique pour neutraliser l’accord d’Alger, concernant certains contentieux frontaliers entre les deux pays, signé entre lui-même et le Chah le 6 mars 1975.

En matière pétrolière, cette guerre se traduisit par une réduction drastique de la production dans ces deux pays qui fut cependant compensée par l’accroissement de la production dans des zones géographique hors OPEP. Cette évolution entraîna une réduction substantielle des parts de marché des producteurs de l’Asie du Sud-ouest qui ne fournissaient plus en 1985 que 17% de la production mondiale, contre 33% en 1979.

Pour tenter de récupérer des parts de marché, l’Arabie Saoudite déclencha alors une guerre de prix qui aboutit à un contre-choc pétrolier.
En 1986, les prix du brut s’effondrèrent, passant de 25 dollars à 7 dollars en juillet. Les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite allèrent alors discrètement collaborer en vue d’un redressement des cours de brut à un niveau acceptable entre 15 et 20 dollars le baril.

Tandis qu’après les chocs pétroliers de 1973-1979, le développement de la production pétrolière hors OPEP avait suscité une diversification de l’offre et restreint la part des pays du Golfe Persique dans la production pétrolière mondiale, cette tendance s’inversa à la fin des années 90. On assiste depuis cette date à un phénomène de reconcentration progressive de la production pétrolière mondiale au profit de la région de l’Asie du Sud-ouest.

La localisation autour du Golfe Persique des plus importantes réserves pétrolières du monde, associée à la concentration croissante de la production pétrolière dans cette zone fait donc plus que jamais de celle-ci le coeur pétrolier de la planète, situation qui amplifiera à l’avenir la dépendance des grands consommateurs européens et asiatiques aux pays du Moyen Orient. Le projet d’installation tout récent d’une base militaire navale française à côté des marines américains déjà installés dans cette zone souligne clairement l’importance stratégique et géoéconomique du Golfe Persique et en particulier du détroit d’Hormuz.


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