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Les dialectes régionaux d’Iran, ensembles de lexiques, d’expressions et de proverbes locaux, fournissent de bonnes informations sur les langues et la culture iraniennes. Selon les historiens des langues, la région de Birdjand, située au sud du Khorâssân, à l’est de l’Iran, a été le berceau du persan dari [1]. Le persan dari, descendant du persan officiel de la cour sassanide, a été diffusé par les intendants étatiques dans l’est du Khorâssân. Durant la suprématie des Tâhirides (820-872) et Saffârides (861-1003), l’usage de cette langue connait son apogée et elle est parlée dans toute la région du Khorâssân.
En comparant les dialectes régionaux actuellement en usage à Birdjand et ses villages limitrophes avec l’ancien dialecte birdjandi, on considère que durant ce dernier siècle, le birdjandi s’est rapproché de plus en plus du persan moderne. Il faut préciser que de nos jours, les documents historiques rédigés en dialecte birdjandi sont assez rares. Le texte le plus ancien connu est un poème de trois vers attribué à Nizâri Ghohestâni [2]. Ces vers ont été cités dans le livre de Bâybordi intitulé La vie et les œuvres de Nizâri [3]. Il faut également citer le nom d’un poème créé il y a deux siècles par un poète de Birdjand, Ali Akbar Sabouhi [4]. Ce poème, plutôt connu sous le nom de Farhang-e Sabouhi (Dictionnaire de Sabouhi), comprend 500 mots et expressions birdjandis. En outre dans son Persan dans le dialecte birdjandi [5], Ivanov [6] a relaté un ensemble de légendes, proverbes, berceuses, chansons locales et chants de travail de la région de Birdjand. Cet ouvrage est considéré comme une source assez riche concernant les mots et expressions du dialecte birdjandi. Pour finir, citons le nom d’une étude dans le champ du lexique birdjandi. Il s’agit d’un Glossaire du dialecte birdjandi [7] compilé par Hassan Rezaï. Le livre comporte plus de 15 000 mots, expressions et proverbes locaux de Birdjand et de ce fait, fournit une source assez riche dans le domaine du lexique. Il comprend également une annexe de toponymie de cette région. Dans ce qui suit, nous allons étudier les caractéristiques morphologiques, lexiques et syntaxiques de l’ancien dialecte birdjandi.
-A l’oral, le « h » initial se transforme en hamzeh, qui est un signe représentant un coup de glotte ou un hiatus. Exemples :
-Dans la plupart des mots, le son [u] est remplacé par le son [i], comme dans les exemples suivants :
-Le son [a] est souvent remplacé par le son [e] ; exemples :
-Dans le pehlevi, certains verbes transitifs ont une construction ergative selon laquelle la désinence verbale s’accorde avec le complément d’objet direct (maf’oul-e mostaghim) et le sujet, comme étant celui qui fait l’action, y perd sa vraie fonction. Cette construction est tombée en désuétude aussi bien dans le persan moderne que dans les dialectes régionaux d’Iran, dont le birdjandi. Voici des exemples extraits à partir de l’ancien dialecte birdjandi :
- Dans le moyen-persan [8] le sefat-e maf’ouli
[9] est formé par la conjonction du radical du passé (bon-e mâzi) et le suffixe -ag. Cette composition est également visible dans l’ancien dialecte birdjandi. Dans le persan moderne, le sefat-e maf’ouli se forme par l’addition du suffixe -eh (½) au radical du passé. Voici des exemples :
De nos jours, cet usage est tombé en désuétude, le suffixe -ag ayant été remplacé par le suffixe -eh.
-Selon les règles syntaxiques de l’ancien dialecte birdjandi, le verbe se met généralement au singulier pour un sujet pluriel. Cet usage est exposé dans ces phrases tirées du dialecte birdjandi :
L’une des particularités du dialecte birdjandi est d’employer le verbe duratif à la place du verbe non-duratif souvent au passé simple (mâzi-e sâdeh) ; en voici des exemples :
-Dans le dialecte birdjandi, les pronoms compléments attachés (zamir-e maf’ouli-e mottasel) peuvent être détachés du verbe ; exemples :
Le dialecte birdjandi jouit d’un lexique riche, mais la plupart des mots et expressions locaux ont aujourd’hui été oubliés. Voici une courte liste de vieux mots locaux de ce dialecte.
Dans le dialecte birdjandi, il existe un bon nombre de suffixes et de ce fait, la dérivation suffixale qui se fait par la conjonction du suffixe au radical, est d’un usage courant dans ce dialecte. En outre, la conjugaison des verbes y est assez compliquée. Toutefois, il faut souligner que les règles de la conjugaison et la dérivation sont aujourd’hui presque oubliées. Voici quelques règles :
-Le radical du passé (bon-e mâzi) se forme avec l’adjonction du suffixe –id au radical du présent (bon-e mozâre’) ; par exemple, dans l’infinitif oftâdan (tomber), le radical du passé se forme ainsi : oft+id.....oftid.
-Selon les règles grammaticales de la langue persane, le suffixe « Á » duratif (estemrâri) s’attache au verbe passé pour former le passé duratif s’appelant mâzi-e payâpey. Dans certains dialectes régionaux iraniens dont le birdjandi, ce suffixe peut s’attacher au verbe présent pour former le présent duratif (mozâre’e estemrâri). En outre, on voit cet emploi dans les textes persans des IVe et Ve siècles de l’Hégire ; dans le persan moderne, le présent duratif est souvent composé du préfixe « می » ;s’attachant au radical du présent ; exemples :
Sources :
Nowrouzi, Hâmed, « Barressi-e gouyesh-e birdjandi dar do gharn-e gozashteh » (Etude sur le dialecte birdjandi durant les deux derniers siècles), in La Revue des études culturelles et sociales du Khorâssân (Madjalleh-ye motâle’ât-e farhangi va edjtemâ’i-e Khorâssân), n o.3, 1393/2014.
Rezaï Bâghbidi, Hassan, Vâjehnâmeh-ye gouyesh-e birdjand (Glossaire du dialecte birdjandi), Hirmand, Téhéran, 1380/2001.
[1] L’une des branches du persan, surtout parlée en Afghanistan.
[2] Hakim Sa’doddin Nizâri Ghohestâni Birdjandi (1244-1320) est un philosophe, poète et écrivain ismaélite de Birdjand dont l’œuvre a exercé une influence certaine sur de grands poètes iraniens, notamment Hâfez et Djâmi.
[3] Bâybordi, Tchanguiz, Zendegui va âssâr-e Nizâri, Elmi, Téharan, 1370/1991.
[4] Mollâ Ali-Akbar Sabouhi Birdjandi naquit en 1813 dans un petit village limitrophe de Birdjand nommé Ziroutch. Il est surtout connu pour ses vers satiriques.
[5] Alekseïevitch Ivanov, Vladimir, Fârsi dar gouyesh-e birdjand, traduit en persan par Mahmoud Rafi’i, Hirmand, Téhéran, 2002.
[6] Vladimir Alekseïevitch Ivanov, né en 1886 à Saint-Pétersbourg et mort en 1970 à Téhéran, est un iranologue russe, pionnier des études sur l’ismaélisme. Durant ses recherches concernant la Perse, il s’intéressa notamment à la poésie populaire iranienne et plus particulièrement celle du Khorâssân.
[7] Rezaï Bâghbidi, Hassan, Vâjehnâmeh-ye gouyesh-e birdjand (Glossaire du dialecte birdjandi), Hirmand, Téhéran, 1380/2001.
[8] Le persan parlé dans les différentes périodes de l’histoire de la Perse dont la dynastie des Sassanides (224-651) et l’empire parthe (248 av. J.-C.).
[9] Cette forme discursive du persan peut être assimilée au participe passé du français.