N° 132, novembre 2016

Ghâyen, la capitale mondiale du safran


Saeid Khânâbâdi


Fleurs de safran, région de Ghâyenat

“Dormivit in sacco croci" ; il dormait dans un sac de safran. Les Romains raffinés utilisaient cette expression latine en vue de décrire une vie aisée, une vie pleine de plaisirs ; bref une vie de César. Mais originellement, c’était une expression réservée à Zeus, le Dieu des Grecs. En fait, les citoyens des Polis grecs, depuis le IVe siècle avant notre ère, connaissaient déjà les vertus magiques du safran grâce aux écrits d’Hippocrate. Il est possible que ce dernier ait, à son tour, hérité sa connaissance de cette plante des Crétois qui maîtrisaient, avant les autres peuples méditerranéens, les secrets des bulbes de Crocus. Mais l’Occident n’était pas le seul à admirer l’épice Zar Paran de Perse. Le colorant extrait du safran est, à l’origine, sacré. Ainsi teint-il les habits jaune-orangé des moines bouddhistes en Chine et en Inde. Partout dans le monde, le safran de Perse s’impose comme un produit de luxe, l’élixir céleste de la jouissance, l’extrait miraculeux du soleil, le remède pharaonique des peines humaines et l’épice la plus chère à l’Est aussi bien qu’à l’Ouest.

Outre les Césars et les dieux gréco-romains ou chinois, la qualité du safran iranien est depuis toujours attestée par les experts de l’art culinaire et ceux de la science médicale. Cette plante est aujourd’hui cultivée dans plusieurs pays y compris la France, mais la variante iranienne demeure encore la plus réputée. Le safran de haute qualité ne pousse que dans une région de l’Est de l’Iran, plus précisément dans la province du Khorâssân du sud, dans la région de Ghâyenat, qui est renommée pour la qualité supérieure de son Safran connu dans le monde entier, grâce à sa senteur, son goût et sa couleur. De là, la ville de Ghâyen, qui constitue le centre de cette région frontalière à l’est de l’Iran, porte fièrement le titre de la capitale mondiale du Safran.

Safran de Ghâyenat

La ville de Ghâyen, nom qui se prononce également "Ghâen", est située à 380 km au sud de Mashhad, à mi-chemin de la route Birjand-Gonâbâd. Cette ville de 40 000 habitants joue un rôle de premier plan dans le commerce du safran iranien. L’Iran produit plus de 95% du safran mondial, et la plus grande partie de cette production iranienne se fait dans cette région. A noter qu’un kilo de safran nécessite près de 150 000 fleurs de safran. Du fait de la fragilité du safran, la récolte de cette fleur doit se faire uniquement de façon manuelle et à l’aube, juste avant le lever du soleil. C’est peut-être cette difficulté qui, à côté de ses vertus culinaires et médicales, est à l’origine du caractère précieux et du prix élevé du safran. Dans le marché européen, un kilo de cette épice s’achète à hauteur de 2000 euros.

La composition du sol de cette région, ses conditions climatiques et les compétences agricoles de ses habitants semblent être les principales raisons de cette particularité. La culture du safran nécessite un sol argileux-sableux et calcaire d’un pH entre 6 et 8, une formulation qui correspond au sol de Ghâyen. La singularité du sol et du climat de cette région constitue les facteurs majeurs de cette notoriété mondiale. Notoriété mondiale tenant aussi au savoir-faire des cultivateurs locaux qui apprennent les secrets de la production de cette plante de génération en génération. Les multiples étapes de la production, l’entretien, la récolte et la préparation du safran sont tellement complexes qu’elles mériteraient d’être enseignées dans le cadre moderne d’une discipline universitaire. A côté des connaissances traditionnelles, des recherches scientifiques à ce sujet sont menées dans certains instituts de la région comme à l’université de Torbat Heydaryeh ou à l’université de Birjand. Plusieurs revues spécialisées publient les résultats issus de ces recherches.

Barrage traditionnel de Bihoud

La rue Imâm Khomeyni de Ghâyen, avec ses grands entrepôts, ses grossistes et ses centres commerciaux, fait office de bourse de commerce mondial de cette épice dont la production est très majoritairement destinée à l’exportation. Le chiffre d’affaires de la vente du safran sur le marché international s’élève à 700 millions d’euros. Malheureusement, le volume des ventes internationales des cultivateurs iraniens reste encore trop faible par rapport à leur production. Comme beaucoup d’autres produits agricoles de l’Iran, le safran souffre d’un manque de développement d’une industrie de l’emballage respectant les normes internationales et européennes. L’emballage se fait encore majoritairement dans des ateliers non-mécanisés, et comporte certaines anomalies. Par exemple, les dates d’expiration sont inscrites selon le calendrier iranien, et sont donc incompréhensibles pour les acheteurs étrangers. Les informations sur le produit, négligemment rédigées, sont inscrites en persan ou en transcription latine. Les rares traductions sont de piètre qualité. L’esthétique de l’emballage est également insatisfaisante, et dans la majorité des cas, il ne correspond pas aux critères d’hygiène de l’Union européenne. Ce fait conduit les producteurs locaux à exporter le safran en gros. Les pays importateurs bénéficient largement de ce point faible iranien. Il est avéré qu’une partie de ces achats effectués en gros et à prix bas serait revendue par l’Espagne à un prix beaucoup plus élevé, parfois même avec la mention "Product of Spain". En réalité, l’Espagne ne produit annuellement en moyenne que 1500 kg de safran, alors qu’elle exporte chaque année près de 75 000 kg de ce produit. La différence entre ces deux chiffres révèle la quantité de safran iranien achetée par l’Espagne. Parfois, des commerçants émiratis ou turcs jouent le rôle d’intermédiaires de ce commerce. Jusqu’à aujourd’hui, aucune poursuite judiciaire auprès d’un tribunal international de commerce n’a encore été initiée par l’Etat iranien, afin de pénaliser ce que l’on peut qualifier de mafia internationale du safran.

Château de Khond (ghal’eh Khond), Ghâyen

Pourtant, depuis quelques années, certaines sociétés de la région ont essayé d’emballer et d’exporter du safran en respectant les standards internationaux. De telles initiatives pourraient être encouragées par le gouvernement iranien, notamment au travers de soutiens financiers et d’exonérations fiscales, ou par des dispositions facilitant le transport, l’exportation et les procédures de douane. L’autre problème de ce secteur concerne les faux safrans étrangers, parfois d’origine chimique, vendus comme étant du safran iranien sur le marché international. Le problème majeur du système national d’achat et de distribution est que dans la plupart des cas, les cultivateurs villageois n’ont pas la possibilité de stocker le produit récolté. Certains marchands opportunistes tirent avantage de cette situation en achetant du safran moins cher durant la saison principale de la récolte de ce produit pour le stocker et le vendre à un prix supérieur durant les autres périodes de l’année.

La création de coopératives d’agriculteurs locaux pourrait résoudre ce problème en mettant directement en contact les producteurs villageois avec les acheteurs étrangers. Le même système se pratique par exemple en France pour les éleveurs et les agriculteurs régionaux qui peuvent, sans aucun intermédiaire, entrer en négociations avec des clients étrangers. Ces coopératives privées pourraient structurer le cycle de l’offre et de la demande en vue de contrôler les prix et mettre un terme à l’intervention des marchands opportunistes. La diminution du coût des engrais et pesticides, l’attribution de crédits et prêts bancaires à taux zéro pour couvrir les coûts de la culture de nouveaux champs, la formation de cultivateurs aux nouvelles techniques d’irrigation, et la construction d’entrepôts locaux font partie des stratégies que le gouvernement pourrait mettre en place en vue de développer la culture du safran, en tant qu’activité principale et seule source de revenus financiers de 80 000 foyers iraniens.

Château-montagne (ghal’eh-kouh) situé à 3 kilomètres au sud de Ghâyen

Un autre produit agricole produit de façon importante et faisant la renommée de Ghâyen est l’épine-vinette. Les baies rouges de cet arbuste, après avoir été séchées, sont utilisées de façon très fréquente dans la cuisine iranienne, surtout dans un plat appelé "riz à l’épine-vinette et au poulet". Ce produit se consomme aussi grâce à ses vertus médicinales, qui étaient déjà connues par les médecins des Pharaons égyptiens. Cette plante, également appelée "rubis rouge", s’exporte aussi. Un kilo d’épine-vinette est aujourd’hui beaucoup plus cher qu’un baril de pétrole…

Les fruits comme le jujube, le raisin, l’amande, la pistache et le pruneau font partie des autres produits agricoles de Ghâyen. La richesse de son agriculture justifie la nécessité de la mise en place d’investissements publics et privés dans ce secteur très rentable. Etant donné les problèmes actuels au niveau des ressources hydriques, de nouveaux réseaux d’arrosage et d’irrigation doivent être mis en place en vue de promouvoir le rendement de l’industrie agricole de Ghâyen. Dans ce sens, des barrages en remblai à noyau argileux ont déjà été construits dans la région.

Le plus ancien barrage est la digue traditionnelle de Bihoud bâtie en brique et en pierre à l’époque saffâride, au IXème siècle. En 1990, ce barrage a été reconstruit en béton. En outre, un réservoir d’eau (âb-anbâr) fut aussi construit à Ghâen à l’époque timouride. Ce monument bien conservé est devenu aujourd’hui le musée de l’eau et des systèmes hydriques de la province. Ce réservoir d’eau, d’une capacité de 287 mètres cubes, était alimenté par un qanât ancien. Le qanât Shâhik de Ghâyen est l’un des qanâts les plus systématisés au monde, car son usage et son fonctionnement étaient régis de façon très précise, notamment au niveau de la distribution de l’eau. Ce qanât a ses mystères aussi, notamment celui de l’opération tenue secrète de l’ouverture/fermeture de certaines de ses branches, opération menée une fois par an par des ouvriers spécialisés au mois de février. Le qanât de Ja’far Abâd est l’autre qanât célèbre de Ghâyen qui alimentait autrefois le quartier de la grande mosquée de la ville. Les moulins à eau étaient les autres mécanismes hydriques du Vieux Ghâyen, qui complétaient les activités des moulins à vent de cette région. Ces moulins à vent, très différents du schéma classique des moulins des Pays-Bas, sont construits sur le modèle des moulins à vent du Sistân, juste au sud de cette province.

Région appelée Arab-Khâneh aux environs de Birjand

Les richesses naturelles de Ghâyen sont également remarquables dans le secteur minier. Les nombreuses mines de cuivre, fer, gypse, bauxite (aluminium), bentonite, magnésite et même d’or, dévoilent l’autre face de la potentialité économique de Ghâyen. Mais du fait d’un manque d’investissements, la majorité des mines est aujourd’hui non-exploitée, abandonnée ou non-opérationnelle.

La particularité économique de Ghâyen ne se limite pas à ces avantages naturels. Cette ville est dotée d’une forte identité historique qui lui confère la potentialité de devenir un pôle touristique de la province.

A la suite de la découverte de la grotte Khonik et d’autres grottes de Ghâyen, les archéologues font remonter l’histoire de cette ville à la période paléolithique moyenne. Les équipes étrangères ont entamé plusieurs études sur ces grottes où les premières traces d’habitation humaine datent de 30 000 ans avant notre ère. La forteresse Artaguana, appelée aujourd’hui "château-montagne" (ghal’eh-kouh) et située à 3 kilomètres au sud de la ville, domine encore la plaine de Ghâyen. Ce château, niché sur une montagne difficilement franchissable, était le bastion de l’armée achéménide dans la quatorzième satrapie de l’empire. L’histoire de la résistance héroïque des 13 000 soldats perses de cette citadelle contre l’armée d’Alexandre en 328 av. J.-C. est confirmée par des historiens comme Ernest Curtius. On considère aussi cette ville comme étant le foyer de la révolte massive contre les Séleucides helléniques. La révolte a conduit en 250 av. J.-C. à l’établissement de l’empire Arsacide des Parthes, le royaume le plus long de l’histoire iranienne et le premier rival de l’Empire Romain à l’époque de sa splendeur. De façon générale, depuis l’antiquité, Ghâyen ou selon son ancien nom Kayen, fut d’une grande importance pour les dynasties préislamiques. Cette ville appartenait à un ancien territoire nommé Kouhestân ("le pays des montagnes"), qui a été phonétiquement arabisé en « Ghohestân » à l’époque islamique. Cette localité est entourée, à l’est et à l’ouest, par des montagnes de plus de 2000 mètres d’altitude. Le sommet le plus haut est Kamar-sorkh ("Dos rouge"), qui culmine à 2842 mètres. Cette région a historiquement joué un rôle de garnison naturelle permettant de protéger les frontières de l’Est, et ce jusqu’à l’ère des rois Qâdjârs.

Mausolée de Bouzarjmehr au pied de la montagne Abouzar, au sud-ouest de l’actuelle Ghâyen

Existant déjà à l’époque achéménide, Ghâyen, comme la majorité des villes anciennes d’Iran, est cependant une ville à identité majoritairement sassanide. La grande mosquée de Ghâyen est bâtie sur un ancien temple du feu de l’ère sassanide ; de même, l’architecture du château d’Artaguana ressemble beaucoup à celle des citadelles de l’époque des rois de Ctésiphon. A l’époque sassanide, Kayen était gouvernée par le clan Gharen, une des grandes familles politiques de l’Empire Perse.

Au VIIe siècle, après la chute des Sassanides, les musulmans envahissent cette région en menant des raids successifs à l’époque du règne d’Omar, le deuxième calife de Médine. Les nouveaux conquérants arabisent le nom de la ville de Kayen pour la rebaptiser Ghâyen. À l’époque islamique, cette ville, devenue le refuge de nombreux opposants, se révolte plusieurs fois contre les califes de Médine puis de Damas. La haine contre la politique discriminatoire des Omeyyades aboutit au mouvement d’Abou Moslem du Khorâssân, qui entraîne la chute du califat des fils d’Omayyah et la fondation du califat des Abbassides en 750. Mais Ghâyen continue d’être le siège des opposants chiites, cette fois-ci contre le despotisme du califat de Bagdad. Le mausolée de Zeyd al-Nar, le petit-fils du septième Imâm chiite, l’un des plus fréquentés de Ghâyen, constitue une preuve de cette tendance. On a attribué le surnom d’Al-Nar ("le feu") à cette personnalité car il fut un opposant chiite qui, à l’époque abbasside, a mis le feu aux palmeraies des familles royales en Irak. Refugié dans le Khorâssân, Zeyd sera finalement exécuté par les émirs locaux du califat abbasside. La résistance dans cette région était tellement forte que le califat de la Ville-Ronde décida finalement d’y implanter plusieurs tribus arabes pour coloniser la région et contrôler les courants révolutionnaires. Ainsi, une importante migration arabe vers cette région eut lieu au VIIIe siècle sous le règne du calife Al-Mansour abbasside quand 50 000 soldats arabes, accompagnés de leurs familles, s’établirent définitivement au sud du Khorâssân. Ces Arabes se sont bien intégrés dans cette région, dont le climat était particulièrement adapté à leur mode de vie originel. Ces tribus continueront à influencer la politique de la région, même après l’indépendance de l’Iran, plus ou moins acquise dès le règne des Tahirides L’empire tahiride est fondé en 822 par Tâher, un maréchal iranien du calife abbasside Al-Ma’moun, qui s’émancipa et établit le premier royaume iranien après l’islam, justement à partir du Khorâssân. Une autre migration des Arabes vers le Khorâssân est ordonnée au XVIIIe siècle par Nâder Shâh qui, cette fois-ci, exile les rebelles du sud de l’Iran vers le Khorâssân. Mais l’importance démographique de cette migration forcée n’égale pas les grands déplacements systématiques du VIIIe siècle.

L’architecture unique de l’iwan de la Grande mosquée de Ghâyen

Après douze siècles, on trouve encore des personnes appartenant à cette minorité arabophone vivant dans certains villages situés aux environs de Birjand, surtout dans une région appelée Arab-Khâneh (littéralement "la maison des Arabes"). Ils se parlent, encore, en arabe, mais dans un dialecte différent de l’arabe moderne et comportant un vocabulaire enrichi par des mots persans. Le tissage des tapis chez les femmes arabes de la province du Khorâssân du Sud, de par leur technique et les matériaux utilisés, suit les façons de tisser des tribus nomades d’Iran. Les motifs de ces tapis sont principalement constitués d’animaux et de végétaux.

À partir du IXe siècle, la ville de Ghâyen devient un point stratégique pour les émirats régionaux qui essaient de plus en plus de se libérer de leur dépendance aux califes de Bagdad. La ville sera conquise par les Tâhirides (821-873), les Saffârides (867-1002), les Samanides (875-999) puis par les Ghaznavides (963-1186). Le Sultan Mahmoud Ghaznavide, dont la mère était une tadjike, accordait une grande attention à l’expansion de l’art et de la poésie iranienne.

Bouzarjmehr de Ghâyen, poète et politicien du Xe siècle, fréquenta les cours de Mahmoud et Massoud Ghaznavi. Son mausolée au pied de la montagne Abouzar, au sud-ouest de l’actuelle Ghâyen, est l’une des attractions architecturales de la région. L’Université Bozorgmehr de Ghâyen a également été baptisée en l’honneur de ce savant réputé. L’Université privée Bozorgmehr, l’Université libre de Ghâyen, l’Université Payâm-e Nour de Ghâyen et la Faculté de médecine de Ghâyen constituent les principaux établissements d’éducation supérieure de Ghâyen. Sheikh Abol-Mafakher de Ghâyen, grand qadi et poète de son époque, fut le vizir des derniers rois Ghaznavides au XIIe siècle. Son mausolée fut plusieurs fois rénové au cours de l’histoire et le dôme actuel date du XVIIIe siècle.

Nâsser Khosrô, poète, philosophe et voyageur iranien de confession ismaélite, visita Ghâyen au XIe siècle. Il évoque, dans son récit de voyage, la fosse de la ville dont certains vestiges existent encore aujourd’hui. Il cite également la Grande mosquée de Ghâyen. En effet, la mosquée du vendredi de Ghâyen, de par sa hauteur inédite, l’architecture unique de son iwan, ses décorations intérieures et extérieures, et surtout de par l’originalité des motifs et couleurs de ses voûtes, se distingue des autres mosquées du centre de l’Iran. Le minbar en bois de cette mosquée datant du XVIIe siècle fait aussi partie des trésors historiques de Ghâyen.

Le minbar en bois de la Grande mosquée de Ghâyen datant du XVIIe siècle

Ghâyen connaît un âge d’or à l’époque des Seljoukides (1037-1194). La plupart des monuments historiques de la ville, comme les vestiges actuels du château d’Artaguana, sont bâtis ou rénovés durant cette période. La langue persane est alors la seule langue officielle de la cour des fils Seljouke, qui cèdent ensuite la place à la dynastie des Rois de Kharazm (1077-1231), avant la grande invasion des Mongols.

C’est aussi aux XIe, XIIe et XIIIe siècles que le chiisme ismaélien s’affirme comme un acteur politique puissant en Iran. Le Qadi Hossein de Ghâyen, l’alter ego d’Hassan Sabbâh, fut le leader des ismaéliens dans le Khorâssân méridional. Il installe une colonie ismaélienne dans la citadelle d’Artaguana. Cette forteresse, dotée de réservoirs d’eau et de nourriture et reliée à la ville par la tonnelle souterraine d’un qanât voisin, était aménagée pour résister à de longs sièges. La citadelle d’Artaguana, l’équivalant d’Alamout à Qazvin, abrita ainsi des milliers de fidèles de la religion ismaélienne. Grâce à sa structure naturelle et protégée par des rochers, c’était un refuge inatteignable pour les Ismaélites. Lorsque des troupes hostiles approchaient, les habitants étaient avertis grâce aux signaux de fumée de feux allumés par d’autres fidèles installés dans les montagnes voisines. En dépit de tant de mesures de protection, Artaguana ne put résister contre l’attaque des Mongols en 1256. Les ismaéliens s’inclinent face à Hulagu Khân qui ordonne aux habitants de la forteresse de la démolir de leurs propres mains. Après cette date, Artaguana perd sa fonctionnalité de forteresse défensive.

Nassir al-Din Toussi, brillant penseur chiite du XIIIe siècle notamment en astronomie, en mathématique, en philosophie, en biologie, en physique et en théologie, passe un certain temps au château Artaguana et y rédige son célèbre ouvrage Akhlâq-e Nâsseri (La morale de Nâsser) dédié à Nâsser al-Din, le Mohtasham de Ghâyen. Le terme de Mohtasham, considéré par les Iraniens d’aujourd’hui comme étant un nom et un prénom, était, à l’origine un titre de noblesse équivalant à celui d’émir et de prince dans cette région. Khâdjeh Nassir al-Din accompagne ensuite Hulagou Khân lors de la conquête de Bagdad qui entraînera l’effondrement du califat abbasside.

Grande mosquée de Ghâyen

C’est le début du règne ilkhanide (1256-1335) à Ghâyen, et c’est à cette époque que Marco Polo visite l’Iran. Le Port de Venise, et ce même avant la Renaissance, était le centre du commerce du safran en Europe. Dans son Livre des Merveilles, Marco Polo fait allusion à Ghâyen et à Ferdows, une cité à proximité de Ghâyen, et cite le Ghohestân comme l’une des huit régions de la Perse.

Après Hulagu Khân, Tamerlan est l’autre conquérant qui passe à Ghâyen, mais sans causer de destruction. Les Timourides (1370-1507), contemporains de l’ère de la Renaissance européenne, restent au pouvoir dans cette ville jusqu’à la Renaissance iranienne au temps des Grands Soufis (1501-1721).

Malgré les nombreux troubles politiques, la ville de Ghâyen conserve son importance régionale. La ville témoigne aussi des guerres des Safavides contre les Ouzbeks qui menaçaient au XVIe siècle les frontières est de l’empire. La ville de Ghâyen occupée par les Ouzbeks est libérée par le roi safavide Abbâs, qui s’y rend en personne. Shâh Abbâs était lui-même natif de Herat, à 270 km au nord-est de Ghâyen.

Au cours d’un conflit ayant opposé les Qâdjârs et les Zands (1750-1794), Lotf Ali Khân Zand, le dernier monarque de ce clan, se réfugie à Ghâyen qui le soutient avant qu’il ne soit vaincu par le roi Mohammad Khân, le fondateur de la dynastie qâdjâre (1796-1925).

L’un des monuments de l’époque zand est la maison Soltâni, une demeure traditionnelle transformée depuis en musée anthropologique de Ghâyen. On peut notamment y admirer des maquettes mettant en scène les activités artisanales et traditionnelles des habitants de la ville, et présentant les personnalités emblématiques de l’histoire de Ghâyen. Le tissage de Jadjim, la vannerie, la broderie et le tissage de nappes font partie du savoir-faire des artisans de Ghâyen.

Suite aux plans militaires et colonialistes des Britanniques au XIXe siècle qui aboutissent à la perte de l’Afghanistan par l’Iran, Ghâyen joue, pour la dernière fois, son rôle de défenseur des frontières de l’est. Lors des dernières tentatives qâdjâres pour libérer Herat, Ghâyen envoie des troupes de renfort pour secourir l’armée iranienne qui, en 1857, réussit à libérer Herat. Cependant, à cause du complot britannique, tous ces efforts restent vains. D’après le traité de Paris signé dans la même année, l’Iran abandonne tous ses droits légitimes à l’égard de Herat et de l’ensemble de l’Afghanistan. Après cette tragédie, la ville de Ghâyen perd son importance géopolitique comme ancien portail d’Herat.

La forteresse Artaguana

Pourtant les Qâdjârs mènent à Ghâyen plusieurs projets de construction et de rénovation. On peut citer, par exemple, le château de Hâjar Abâd, situé aujourd’hui au bord de l’autoroute Birjand-Ghâyen. Cet ancien lieu de repos de caravanes de Herat, bien qu’il ait été mal entretenu, garde encore sa forme initiale. Les murailles et les tours sont bien conservées, et une simple rénovation par l’organisation iranienne du patrimoine culturel pourrait transformer cette forteresse en une importante attraction touristique et lieu d’accueil de voyageurs, surtout du fait de sa proximité avec une autoroute fréquentée.

La ville de Ghâyen participe massivement à la Révolution islamique de 1979 et à la guerre contre l’Irak, avec près de 400 martyrs et 1893 blessés. Mahdi Aminzâdeh, docteur en économie de l’Université du Texas, compagnon de l’Imam Khomeyni à Paris et vice-ministre du Commerce après la Révolution, est l’un des martyrs renommés de cette ville. Il tomba le 28 juin 1981, lors de l’explosion terroriste du bureau du parti de la République Islamique à Téhéran. Les Ghâyenis sont généralement religieux. Les mausolées des Imâmzâdeh (fils d’Imâm) sont très fréquentés par les pèlerins. Les cérémonies de deuil au mois de Moharram, le premier mois du calendrier de l’Hégire célébrant le souvenir du martyre de l’Imâm Hossein, se déroulent dans ces lieux religieux. Même les sapins âgés de plusieurs centaines d’années, nombreux dans la ville, sont devenus, pour les habitants, des objets sacrés et sources de bénédiction. Les habitants de Ghâyen parlent entre eux en persan mais dans un dialecte qui, surtout dans les zones rurales, ressemble quelque peu au persan dari, notamment de par la prononciation des mots.

La maison Soltâni, une demeure traditionnelle transformée depuis en musée anthropologique de Ghâyen

Le 10 mai 1997, Ghâyenat est touché par un séisme de magnitude 7,3 qui entraîne la mort de 1567 personnes et laisse 50 000 sans-abris. Parmi les victimes figurent 50 jeunes écolières qui étaient, lors du tremblement de terre, dans les salles de cours de leur école primaire. Malgré la persistance de risques de séisme, la construction de la majorité des immeubles et même de certains bâtiments construits par l’Etat à Ghâen ne respecte toujours pas les mesures de sécurité du génie parasismique.

En 2004, suite à la division de la grande province du Khorâssân en plusieurs provinces, la ville de Ghâyen rejoint la province du Khorâssân du sud et Birjand, qui a connu un développement accéléré depuis les ères qâdjâre et pahlavi, est devenu le centre de la nouvelle province. Le département de Ghâenât est représenté par un seul député à l’Assemblée nationale iranienne.

Pour se rendre à Ghâyen, l’aéroport de Birjand situé à 110 kilomètres au sud de la ville reste l’itinéraire le plus rapide et le plus confortable. Les vols quotidiens Téhéran-Birjand, les trois vols par semaine entre Mashhad et Birjand, et le vol hebdomadaire reliant Bagdad à Birjand relient cette ville au monde. Une fois arrivé à l’aéroport de Birjand, il faut compter une heure et quart de route pour arriver à Ghâyen. Et pour finir, une information pratique qui pourrait être utile aux touristes étrangers : d’après le règlement de la douane de l’aéroport de Téhéran, la quantité légale de safran, l’Or rouge, que chaque passager a le droit d’emmener se limite uniquement à 100 grammes, tandis que pour l’or, elle est de 150 grammes. Oublions donc le rêve de dormir dans un Sacco Croci - Il faut rendre à César ce qui est à César et à Zeus ce qui est à Zeus !

Château de Hâjar Abâd

Sources :


- Behniyâ, Mohammad Rezâ, Târikhtcheh-ye za’farân, (Historique du safran), Presse Universitaire de l’Université de Téhéran, Téhéran, 2015.


- Radjabi, Nadjib ; Radjabi, Meysam, Târikh-e Ghâyen (Histoire de Ghâyen), Editions Shahrâshoub, Téhéran, 2011.


- Esmâeilnejâd, Mohammad, Târikh-e Ghâyen az voroud-e eslâm ta hamleh-ye moghol (Histoire de Ghâyen depuis la conquête arabe jusqu’à l’invasion mongole), éditions Balâghat, Téhéran, 2009.


- Radjabi, Nadjib, Târikh va joghrâfiya-ye shahrestân-e Ghâyenat (Histoire et géographie du département de Ghâyenat), éditions Shahrâshoub, Téhéran, 2005.


- Fonoudi, Abdolhossein ; Râfei, Mahmoud, Târikh-e Ghâyenat (Histoire de Ghâyenat) Editions Hirmand, Téhéran, 2004.


- http://www.sj-srg.ir/, Saffron research group, University of Birjand,


- http://saffron.torbath.ac.ir/, Trimestral Journal of Saffron agronomy and technology, University of Torbat Heydaryeh, available in English & Persian.


- Fleury, Arsalan, "L’Iran domine le marché international du safran, mais jouit-il de ses bénéfices ?", article publié le 20 juin 2014, https://www.opinion-internationale.com/2014/06/20/liran-domine-le-marche-international-du-safran-mais-jouit-il-de-ses-benefices_26937.html


- Série de documentaires télévisés Irângard, épisode sur le Khorâssân du Sud, diffusé et rediffusé par les chaines 4, 7 et 9 de la télévision iranienne, disponibles sur le site Internet de la radiotélévision iranienne ; www.irib.ir


- www.birjand.irib.ir , site persanophone de la radiotélévision du Khorâssân du Sud


- http://www.sid.ir/fa/vewssid/j_pdf/32513870602.pdf, Youssef Amourgar, article sur l’histoire des Arabes du Khorâssân du sud.


- http://www.nasimeqaen.ir, site persanophone d’actualité de Ghâyen.


- http://www.qayen.com, site persanophone sur le tourisme à Ghâyen.


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