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Depuis longtemps, le Khorâssân a été le lieu de résidence d’un très grand nombre d’ethnies iraniennes, chacune ayant son propre dialecte et ses propres traditions. Dans cet article, nous allons donner un bref aperçu sur certaines minorités du Khorâssân et plus particulièrement du Khorâssân-e Jonoubi.
Le Ghohestân [1] a été l’une des principales voies de passage des émigrants arabes qui, au cours des siècles, ont quitté la péninsule arabique pour s’établir vers le Khorâssân et la Transoxiane [2]. Durant ces voyages, la région du Khorâssân a été un important lieu de résidence de cette communauté étrangère. Avec le temps, on a donc vu le développement de la population arabe, plus particulièrement au sud de Birjand [3]. Les Arabes de Birjand résident dans une région nommée Arabkhâneh (en persan, "la maison des Arabes"). En outre, une partie de la minorité arabe réside dans les villages limitrophes de Ghâyen [4] et Ferdows [5]. Parmi d’autres tribus arabes du Khorâssân, on peut surtout citer les noms de Sheybâni, Zangouï et Khazâï. Selon l’opinion de certains historiens, une partie de la population arabe du Khorâssân est issue des nomades du Khouzestân qui, à l’époque de Nâder Shâh Afshâr, ont dû quitter leur patrie et s’installer dans le Khorâssân. Les Arabes du Khouzestân habitent surtout dans les villages de Darmyân, Assad Abâd et Zeydân, et Tabas-e Massinâ, tous situés dans la province du Khorâssân-e Jonoubi. La répartition géographique de la population arabe du Khorâssân n’a pas évolué au cours des temps : depuis les temps anciens jusqu’à nos jours, les Arabes de la tribu Nadjouzi habitent à Nehbandân [6], les membres de la tribu Hâzem résident au nord-est de Ghâyen, tandis qu’à Dasht-e Bayâz [7] habitent les Saghafis qui, à l’époque des Tâhirides, voyagèrent de la péninsule arabique vers l’Iran. Un autre groupe d’Arabes sunnites résident à Ghâyenât et Khâf. En outre, des Arabes se sont établis dans le Khorâssân pour des raisons politiques. C’est le cas des membres de la tribu Anâni du Khouzestân qui, suite à leur rébellion contre le gouvernement local, ont dû s’exiler à l’extérieur de la province pour ensuite s’installer à Birjand. Au deuxième siècle de l’Hégire (VIIIe siècle) et avec l’arrivée au pouvoir de Mansour Abbâssi [8], la famille Khozaymeh arrive à Ghohestân. Avec le temps, les Khozaymehs remportent de grandes victoires sur d’autres minorités de la région dont les Baloutches, les Turkmènes, les Afghans, etc. Durant le règne de la dynastie des Safavides (907-1135), les émirs arabes de la tribu Khozaymeh s’emparent de toute la région de Ghohestân. Puis ils fondent leur Etat et établissent leur gouvernement à Birjand qui devient leur capitale. Dès lors, le nom de Ghohestân est remplacé par Ghâyenât, qui est encore en usage actuellement. De nos jours, les descendants des Khozaymehs sont plutôt connus sous le nom des A’lams. Amir Assadollâh A’lam, l’un des ministres de la cour pahlavi, est peut-être l’un des descendants les plus connus de cette tribu.
Connus également comme les Septimans ou les Nizâris, les Ismaéliens reconnaissent Ismaël (le fils aîné de l’Imâm Ja’far-e Sâdegh) comme le septième et dernier Imâm. Ils n’acceptent donc que sept Imâms. Les Ismaéliens, qui sont d’origine égyptienne, quittèrent leur pays et s’installèrent en Iran et en Syrie. En 1095, ils arrivent à Qazvin où ils fondent leur gouvernement qui a existé plus de 150 ans. Ils y édifient la forteresse d’Alamout en tant que siège de leur État, et engagent des combats contre les minorités sunnites de la région. En 1256, suite au développement de l’empire mongol en Iran, Alamout est prise, et les Ismaéliens quittent le pays pour se diriger vers l’Inde.
Selon les documents historiques et les témoins archéologiques, certains Nizâris ont choisi la vaste étendue du Ghohestân comme lieu de résidence. Birjand est ainsi vu comme leur deuxième siège. Durant deux siècles (les XIIIe et XIVe siècles) le gouvernement du Ghohestân était dirigé par les Ismaéliens. Avec la conquête du Khorâssân par les Mongols, ils délaissent le gouvernement et quittent la région. Certains d’entre eux se réfugient dans les montagnes limitrophes de Birjand. De nos jours, un nombre très réduit d’Ismaéliens habite dans quelques villages de Birjand y compris Nasr Abâd, Koloun Abâd et Mordâb.
Les dernières fouilles archéologiques et des recherches encore en cours on révélé la présence de Zoroastriens à Birjand à l’époque préislamique. Leur présence est notamment attestée par des vestiges historiques liés aux Zoroastriens, dont les temples de feu (âtashkadeh) de Guiv, Assiâbân, Roshnâvand et Bassirân, la tombe zoroastrienne de Derakhsh et la montagne d’Âtashkadeh située à 95 km au sud-est de Birjand.
Au commencement de la Première Guerre mondiale (1914-1918), l’Angleterre expédie à Birjand des troupes indiennes afin d’empêcher les Allemands d’entrer en Afghanistan. Les Anglais fondent en même temps une base militaire et un sanctuaire pour les Indiens arrivés à Birjand. De plus, un certain nombre de commerçants indiens résidaient dans le quartier de Kheyrâbâd de Birjand. De nos jours, on ne trouve qu’un nombre très réduit d’Indiens à Birjand et dans toute la province.
D’après Ivanov
[9], une partie des Turcs du Khorâssân sont les descendants des militaires turcs qui, au IIIe siècle de l’Hégire, déclenchent une vaste invasion contre le Khorâssân. En fait, il s’agit des Turcs du Turkestân, pays situé entre la mer Caspienne et le désert de Gobi. Ce territoire est actuellement délimité au nord par le Kazakhstan, à l’est par la Mongolie et la Chine, au sud par l’Inde et l’Iran, et à l’ouest par la mer Caspienne. Toutefois, une grande partie de la population turque du Khorâssân sont des descendants de militaires seldjoukides (1037-1194). En général, les Turcs du Khorâssân habitent dans la moitié nord de la région : les villes de Bojnurd, Shirvân, Ghoutchân, Kalât et Neyshâbour. Selon les statistiques officielles, plus de deux millions d’individus turcophones habitent dans toute la province. La langue courante de ces turcophones est le oghouzi ; elle est un mélange des langues azérie et turkmène. Les dialectes turcs du Khorâssân sont profondément influencés par la langue persane ainsi que par d’autres dialectes régionaux de la province. Cette influence est surtout perceptible au niveau du lexique.
La communauté kurde du Khorâssân comprend des Kurdes venus de Syrie, de Turquie, de Bakou [10], d’Irak, de Makou [11] et de Mashhad. Leur langue s’appelle le kormândjie. Dès leur entrée en Iran, les Kurdes choisissent la région de Ghohestân comme lieu de résidence, mais avec le temps, ils montent vers le nord du Khorâssân. Selon les statistiques officielles, près de 500 000 Kurdes habitent dans cette province.
Les Afghans du Khorâssân sont divisés en deux groupes : 1) les Hazârehs (ou Khâvaris) : suite à la guerre civile d’Afghanistan en 1932, un grand nombre d’Afghans de la famille Hazâreh ont émigré dans le Khorâssân. D’après les dernières statistiques, le nombre des Hazârehs du Khorâssân dépasse les 500 000 ; 2) les Teymouris : habitant généralement à l’est du Khorâssân, les Teymouris sont les descendants des Afghans qui, en 1838, sont déplacés de Harât au Khorâssân sur ordre du roi qâdjâr Mohammad-Ali Shâh [12], dont les troupes occupaient alors Harât.
Les Baloutches sont une ethnie d’origine iranienne présente dans plusieurs pays dont l’Iran, l’Afghanistan, le Pakistan, et le Tadjikistan. La population baloutche d’Iran habitant au nord-est du pays et dans les provinces du Sistân va Baloutchistân et du Khorâssân atteint près d’un million. La minorité baloutche du Khorâssân habite surtout au nord de la province et jouit d’une riche et longue histoire. Les Baloutches du Khorâssân-e Jonoubi s’appellent les Bohlouli et résident majoritairement à Birjand et Ghâyen. Les Bohloulis de Birjand pratiquent l’islam sunnite et leur dialecte local est le makrâni.
Sources :
- Mirniâ, Seyyed Ali, Il-hâ va tâyefeh-hây-e ashâyer-e Khorâssân (Les Tribus et les ethnies nomades du Khorâssân), Nasl-Dânesh, Téhéran, 1991.
- Oberling, Pierre, "Gorouh-hâye ghomi-e Khorâssân" (Les groupes ethniques du Khorâssân), publié in Encyclopaedia Iranica, traduit de l’anglais en persan par Saïd Bâghizâdeh, 2008.
[1] Ghohestan ou Kohestân (mot signifiant "montagne") est une région montagneuse de la moitié sud du Khorâssân. Elle abrite plusieurs villes de la province dont Birjand, Ferdows, Ghâyen, Tabas, Kâshmar, Khâf, Gonâbâd et Tâybâd.
[2] Région située entre les fleuves Oxus et Amou-Draya en Asie centrale.
[3] Chef-lieu de la province du Khorâssân-e Jonoubi.
[4] Ville située au nord de Birjand.
[5] Ville située à 195 km au nord-ouest de Birjand.
[6] Ville située à 195 km de Birjand.
[7] Khezri Dasht-e Bayâz est un village situé à 160 km de Birjand.
[8] Abou Ja’far al-Mansour fut le second roi abbasside qui régna de 754 à 775.
[9] Vladimir Alekseïevitch Ivanov, né en 1886 à Saint-Pétersbourg et mort en 1970 à Téhéran, fut un iranologue russe pionnier des études ismaéliennes. Durant ses recherches concernant la Perse, il s’intéresse plutôt à la poésie populaire iranienne et plus particulièrement celle du Khorâssân.
[10] La capitale de la République d’Azerbaïdjan.
[11] Ville située dans la province d’Azerbaïdjan de l’Ouest.
[12] Le cinquième roi qâdjâr qui régna de 1907 à 1909.