N° 134, janvier 2017

Les tapis de Tchahâr Mahâl et Bakhtiâri


Khadidjeh Nâderi Beni


Tapis bakhtiâri

a province de Tchahâr Mahâl et Bakhtiâri se situe au pied de la chaîne de Zagros au sud-ouest de l’Iran. Sa population est divisée en deux groupes : les nomades et les sédentaires. Si nous suivons une division plus détaillée, les habitants de la province sont : 1) des villageois établis dans des petits villages et vaquant à des activités rurales dont la culture, l’élevage, la tapisserie, etc ; 2) une population urbaine occupant essentiellement des emplois administratifs ; 3) des nomades qui mènent une vie mobile basée sur des migrations saisonnières. Du fait de la situation géographique et du climat froid de la région, les villageois pratiquent, dans des espaces partiellement ou totalement fermés, divers types d’artisanats dont le plus important est la tapisserie. C’est en hiver que cet artisanat est majoritairement pratiqué, soit de façon individuelle dans les maisons, ou collective dans des ateliers. Ce produit joue un rôle de premier plan dans l’économie de toute famille rurale. Il en va de même chez les nomades, qui exercent leurs activités à la fois artisanales et économiques sous leurs tentes. Selon une division courante, les tapis de Tchahâr Mahâl et Bakhtiâri sont répartis en deux catégories : 1) les tapis conçus et tissés par les nomades bakhtiâris ; 2) les tapis conçus et tissés par les nomades qashqâïs. Dans cet article, nous allons présenter les ouvrages de tapisserie des différentes régions de la province mais, d’abord et avant tout, nous traiterons des principales caractéristiques du tapis bakhtiâri.

La structure et les motifs

 

Le métier à tisser est un cadre, souvent en bois mais aussi en fer, sur lequel on tend les fils de chaîne. Il existe deux types de métiers : horizontal et vertical. Dans la province, le plus souvent et surtout dans les ateliers, les tisseurs utilisent le métier vertical ; il comporte deux barres sur les côtés, la troisième barre étant installée près du sol et la quatrième en hauteur. Toutefois, il arrive que les femmes utilisent le métier horizontal chez elles et pour tisser des tapis de petite taille. Ce type de métier comporte quatre barres installées horizontalement à même le sol. Les tapis bakhtiâris sont noués avec des nœuds turcs et deux fils de trames. Selon ce modèle de nœud, le fil de velours est enroulé autour de chacun des deux fils de chaîne qu’il entoure. Entre chaque rangée de nœuds, on insère les fils de trame sur une ou plusieurs rangées.

Ancien tapis persan bakhtiâri

En général, les matières utilisées dans le tapis bakhtiâri sont la laine de mouton et la laine de chèvre, le coton et la soie. La laine de mouton ou de chèvre et la soie sont généralement produites et filées par les tisseurs eux-mêmes, et peuvent être utilisées pour la chaîne ou les fils de trame ; le coton est surtout utilisé pour le bordage, et la soie pour fabriquer des tapis de haute qualité.

Les motifs figurant sur les tapis sont en général divisés en trois catégories : 1) les motifs stylisés qui sont composés de lignes fines et courbes. Ces motifs sont généralement utilisés pour tisser des tapis précieux ; 2) les motifs géométriques, obtenus à partir des lignes droites et composés de différentes formes géométriques ; 3) les motifs figuratifs basés sur les mythes, qui représentent souvent le portrait de personnages ou d’animaux. Dans la province de Tchahâr Mahâl et Bakhtiâri, les trois motifs sont couramment utilisés ; il faut toutefois souligner que certains tisserands nomades ou villageois réalisent les motifs directement de mémoire. Les motifs les plus courants de la province sont le torandj (cédrat), do howz (deux bassins), kheshti (carré), sarv o kâdj (cyprès et pin), samâvari (samovar), gol-e minâ (reine marguerite), goldâni (vase à fleurs), goldân va derakht (vase à fleurs et arbre), alvân (multicolore), etc.

Tapis persan bakhtiâri datant du début du XXe siècle. Il contient notamment un motif d’arbre de vie et un oiseau du paradis, ainsi qu’une bordure florale.

 

Les couleurs, la teinture et les dimensions

 

Le type de couleurs utilisées est l’une des caractéristiques les plus distinctives du tapis bakhtiâri. Le rouge foncé et le vert sont les couleurs dominantes, mais les tapis à fond bleu, orange et jaune sont aussi courants. Traditionnellement, la teinture était faite par les tisseurs ; ils fabriquaient eux-mêmes les colorants naturels à partir de brou de noix ou de grenades, ainsi que d’autres plantes tinctoriales. De nos jours, on continue à utiliser des colorants naturels pour tisser des tapis précieux, tandis que les tapis ordinaires sont fabriqués à partir de fils colorés synthétiques. La province abrite un bon nombre de teintureries traditionnelles et modernes qui fournissent aux tisseurs des fils colorés de bonne qualité.

Les tapis bakhtiâris sont très souvent de forme rectangulaire tandis que les tapis de forme carrée, ovale ou ronde sont rares. Ces tapis sont également noués selon différentes dimensions allant de 60×40 cm à 600×400 cm. En fonction de leur taille et de leur forme, les tapis bakhtiâris sont connus sous diverses appellations dont Sadjâdeh (tapis rectangulaire de format 130×180 cm), Zaronim (100×150 cm), Dozar (140×200 cm), Kenâreh (250×120 cm), etc.

 

La répartition géographique

 

Comme nous l’avons déjà mentionné, la tapisserie est l’artisanat le plus pratiqué et le plus populaire des habitants de Tchahâr Mahâl et Bakhtiâri. Le village de Tchâloshter, situé à 8 km de Shahrekord, chef-lieu de la province, est considéré comme étant le centre de la tapisserie non seulement de la province, mais aussi de tout l’ouest du pays. Le tapis de Tchâloshter jouit d’une renommée mondiale. Les tisserands du village utilisent des fils de production locale, et les colorants végétaux y sont toujours à la mode. Grâce à ces particularités, ce type de tapis jouit d’une meilleure qualité. D’après les spécialistes, les meilleurs tapis bakhtiâri, tissés majoritairement à Tchâloshter, sont appelés Bibibâf [1]. Ces tapis, denses et épais, sont tissés avec des nœuds très denses (près de 320 000 nœuds par mètre carré). Ils sont de forme rectangulaire et ont différentes tailles. Pour finir, voici un tableau fournissant des informations relatives aux tapis noués dans les différentes régions de la province :

Tapis persan qashqâi datant d’environ 1940, fait de laine et de colorants naturels végétaux. Dans le folklore persan, le motif du lion symbolise la royauté, le pouvoir, et la protection des lieux sacrés. On peut également apercevoir des nomades qashqâis danser vêtus de vêtements traditionnels.

    Sources :


    - Jouleh, Touradj, Pajouheshi dar farsh-e irân (Etude sur le tapis iranien), Téhéran, Yassâvoli, 1381/2002.


    - Ghâziâni, Farahnâz, Bakhtiâri-hâ, bâfteh-hâ va noghoush (Les Bakhtiâris, tissages et motifs), Sâzmân-e mirâs-e farhangui (Organisation de l’héritage culturel), Téhéran, 1376/1997.

    Notes

    [1Bibibâf est composé de deux mots : « Bibi » est une appellation bakhtiârie employée pour désigner une grand-mère pleine de sagesse, et « bâf », qui signifie le tissage.


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