N° 135, février 2017

Le Home Cinema
ou le « Cinéma de supermarché » ?


Babak Ershadi


Nous sommes à la fin des années 1970. La marque japonaise JVC réussit à mettre au point une technologie permettant d’enregistrer des signaux vidéo sur bande magnétique : le « Video Homme Système » mieux connu sous le sigle VHS, vient d’être inventé. Le format VHS arrivait, en fait, peu de temps après son adversaire direct le Betamax créé par le Japonais Sony. Cette nouvelle technologie est alors une véritable révolution en matière d’audiovisuel, car il permet aux familles de rester chez elles et de regarder un film ou un spectacle autre que ce que montre la télévision. Durant les années 1980 et 1990, le VHS est la norme la plus commune pour la vidéo familiale à travers le monde. Avec l’essor des CD enregistrables, puis l’apparition des DVD, la vidéo familiale est passée de l’analogue à l’ère du numérique.

Logo de la Société des médias audiovisuels, premier producteur et distributeur du « Home cinema ».

 

En Iran, les premiers magnétoscopes pénètrent vite dans les maisons, juste après la victoire de la Révolution de 1979. Les premiers vidéoclubs apparaissent peu après. Mais en l’absence de tout support légal, le nouveau média est de facto interdit pendant les premières années de la Révolution, puis durant la guerre imposée à l’Iran par l’Irak de Saddam Hussein (1980-1988), d’autant plus que la vente des magnétoscopes ainsi que la production et la distribution de vidéos n’ont jamais été réglementées par la loi.

 

Après la fin de la guerre, la situation change avec la réglementation du commerce lié à la vidéo familiale. L’Organisation du cinéma et de l’audiovisuel, affiliée au ministère de la Culture et de l’Orientation islamiques, crée la Société des médias audiovisuels en 1993. D’après les statuts de cette société, le but de cette initiative était de régulariser les activités en matière d’audiovisuel, surtout le processus de production, de vente et de location de vidéos familiales. Jusqu’en 2000, la Société des médias audiovisuels est le seul organe actif dans le domaine de la vidéo familiale, tandis qu’un marché noir a toujours existé en parallèle. Dans les années 2000, plusieurs sociétés privées entrent dans le marché, et il en existe actuellement des dizaines.

Les DVD se vendent dans les supermarchés.

Les objectifs premiers de ces sociétés sont de développer l’industrie de la vidéo familiale dans le sens de la protection de la culture nationale et de soutenir l’industrie cinématographique nationale, en permettant aux producteurs d’œuvres cinématographiques d’avoir des ressources supplémentaires après la projection de leurs films dans les salles de cinéma. Pendant ces années, la vidéo familiale devient à la fois un adversaire des chaînes de télévision satellitaires étrangères avec la diffusion des productions étrangères doublées en persan ; un concurrent de la télévision iranienne avec la production et la distribution des feuilletons exclusivement produits sous le format de la vidéo familiale ; un concurrent des salles de cinéma, avec le bas prix des vidéos. Et enfin, un concurrent du cinéma national dont il veut alors être un support, en produisant des ouvrages "cinématographiques" exclusivement destinés au réseau de la vidéo familiale, ce qui est parfois appelé « Home Cinéma de supermarché » pour dénoncer la médiocrité de certaines de ces productions.

 

En 2014, le réseau de « Home Cinema » dégage un chiffre d’affaires supérieur à mille milliards de rials rien qu’à Téhéran, selon le président de l’Organisation du cinéma et de l’audiovisuel. Ce marché florissant s’appuie sur plusieurs facteurs dont l’un des plus importants est sans doute la décision prise par la radiotélévision iranienne (IRIB), indépendamment du ministère de la Culture et de l’Orientation islamiques, d’imposer ses propres normes de diffusion d’œuvres cinématographiques iraniennes sur le petit écran. À partir des années 1990, l’IRIB annonce son divorce avec une grande partie du cinéma national : il n’achète plus le copyright de films iraniens que très rarement et ne participe plus financièrement à la production de films cinématographiques. Sur le plan commercial, cette décision a sans doute porté préjudice aux producteurs, mais a accéléré en même temps l’indépendance de l’industrie cinématographique de plus en plus « privatisée ».

 

Privés du soutien de l’IRIB, les producteurs voient en ce réseau du « Home Cinema » un soutien économique important. Les « bons films » en profitent certainement, mais les navets aussi ! En effet, le succès de ce marché conduit certains producteurs à réaliser des films qui n’ont pas de succès au guichet des salles de cinéma, mais remportent un réel succès dans les rayons de supermarché. Il s’agit souvent de comédies légères et stéréotypées dont certaines sont d’ailleurs exclusivement destinées au « Home Cinema ». Sur ce point, les détracteurs de cette industrie audiovisuelle relativement jeune (les organisations cinématographiques du secteur public et l’IRIB) pointent du doigt l’organisme chargé de la surveillance et du contrôle des productions cinématographiques au sein du ministère de la Culture, qu’ils accusent de ne pas contrôler suffisamment le processus de la production de ces films de piètre qualité, étant donné que le ministère n’impose pas les mêmes standards techniques, esthétiques et thématiques aux films à projeter sur le grand écran et aux productions destinées uniquement au « Home Cinema ». D’autres raisons, cette fois-ci d’ordre socioculturel, expliquent en partie le succès de ces comédies légères : au supermarché, on est souvent moins exigeant que devant le guichet d’un cinéma ; on y achète parfois un film pour le « consommer ».

Couverture du DVD de Ghahveh Talkh
(Café amer, 2010).

 

Jusqu’en 2009, les produits audiovisuels sont vendus dans des centres spécialisés ou des librairies. Mais à partir de cette date, la vente est autorisée dans les supermarchés, les bureaux de tabac et les kiosques à journaux, d’où l’appellation de « cinéma de supermarché ». Si le réseau de distribution a été largement développé, c’est surtout pour lutter contre la reproduction et la vente des vidéos. En effet, le réseau « Home Cinema », qui rivalise avec d’autres médias (cinéma, télévision, satellite), est menacé lui-même par la reproduction illégale de ses produits, principalement par le téléchargement et le piratage sur Internet.

 

Parmi les usagers de « Home Cinema », il y a ceux qui ont déjà vu le film sur grand écran et qui l’achètent plus tard sous format DVD pour regarder de nouveau leur film préféré à la maison ou constituer leur collection personnelle. Mais il y a aussi des gens qui, pour des raisons économiques, attendent la sortie du film en format DVD, afin de voir leur film préféré à moindres frais sur leur canapé. Dans les deux cas, le cinéma iranien en profite.

 

Couverture du DVD de Shahrzâd (2015)

Mais s’il y a actuellement une véritable concurrence, elle existe entre le « Home Cinema » et les feuilletons télévisés ainsi que les séries dramatiques produites exclusivement pour le réseau de vidéo familiale. Ghahveh Talkh (Café amer, 2010), une comédie en 102 épisodes, réalisée par Mehrân Modiri, et Shahrzâd (2015), un drame historique en 28 épisodes réalisé par Hassan Fathi, ont eu un succès énorme.


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