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Ebrâhim Hâtamikiâ, réalisateur, cinéaste, éditeur et acteur iranien, est né en 1963 à Téhéran. Issu d’une famille religieuse, il n’a pu se consacrer à sa passion, à savoir le cinéma, marqué durant les dernières années du régime pahlavi par une forte corruption, notamment des mœurs. C’est donc après la Révolution iranienne qu’il commence à travailler dans le domaine du cinéma, en particulier dans le domaine de la scénarisation [1]. Il étudie alors la scénarisation à la faculté du cinéma et du théâtre de l’Université des Arts à Téhéran.
Il commence son travail en réalisant des courts-métrages et des documentaires sur la guerre Iran-Irak
[2], avec une première réalisation de court-métrage en 1980. [3] Hâtamikiâ a également été l’ancien assistant de Mortezâ Avini. [4] Il a entre autres réalisé Mohâjer (Le migrant, 1990), Didebân (L’éclaireur, 1990), Az Karkheh ta Rhein (Du Karkheh au Rhin, 1993), Bou-ye pirâhan-e Youssef (L’odeur de la robe de Youssef, 1994) et Borj-e Minou (1996), etc. Ses films appartiennent au genre de la Défense sacrée, qui dépeignent la guerre de huit ans de l’Irak contre l’Iran, reconnue comme l’une des plus sanglantes du XXe siècle. [5]
Hâtamikiâ a reçu plusieurs prix pour son travail, notamment le prix du meilleur réalisateur et du meilleur scénario au seizième Festival du Film de Fajr pour Ajâns-e shisheï (Agence de verre) en 1997 et la Coquille d’or du Festival international du film de Saint-Sébastien (Espagne) en 1999 pour le même film. Il a aussi remporté le prix du meilleur scénariste et réalisateur à la 24e édition du Festival international du Film de Fajr pour le film Be nâm-e pedar (Au nom du père) en 2005.
Hâtamikiâ appartient à la première génération cinéaste post-révolutionnaire. En réalisant des films comme Didebân et Mohâjer, il s’est présenté comme un cinéaste de la guerre. Aujourd’hui encore, après plus de deux décennies, la guerre demeure son thème favori.
Ses œuvres sont marquées par la représentation de personnages réalistes et proches de tout un chacun, des personnages concrets, réels et compréhensibles. Il évite de représenter des héros irréels et imaginaires, sans rapport avec la réalité de sa société. C’est la raison pour laquelle ses films attirent des spectateurs particuliers, capables de comprendre la langue narrative propre à Hâtamikiâ. [6] Cela fait donc du cinéma de ce réalisateur un cinéma qui, tout en touchant de nombreux interlocuteurs, n’appartient pas au registre populaire. [7]
Récemment, Hâtamikiâ s’est également essayé au drame social tout en gardant son thème favori. Son regard critique balaie, sur un registre piquant [8], la situation actuelle de la société iranienne, en apparence en paix depuis deux décennies, mais en réalité toujours amèrement en prise avec les conséquences de cette guerre sanglante. Ce registre piquant, mêlé à des notions telles que la bonté, la fraternité et le patriotisme que Hâtamikiâ veut exprimer dans ses films, contribue à faire de lui un cinéaste au style narratif propre et original.
[9] Parallèlement, dans ses films, il ne vise pas à montrer les années de guerre comme une époque dure, terrifiante et insupportable, mais s’efforce de dépeindre la complexité de la réalité de cette guerre et ses conséquences actuelles en Iran. [10] Dans cette perspective, nous constatons que le regard politique propre à Hâtamikiâ, sensible aux questions politiques et aux problèmes sociaux, est toujours présent dans ses œuvres. [11]
En 1985, Hâtamikiâ réalise un film intitulé Hoviyyat (L’identité) pour une chaîne télévisée. C’est avec ce film qu’il attire l’attention des critiques, notamment Khosrow Dehghân, qui l’encense. [12] Ce film cherche à dépeindre sous un jour réaliste les politiques iraniennes depuis la Révolution, alors très récente. [13] La structure narrative spécifique et le regard précis porté sur les questions politiques présagent de l’apparition d’un cinéaste talentueux avec un point de vue socio-politique particulier.
Mais c’est avec Didebân (L’éclaireur) que Hâtamikiâ se fait connaître du grand public. Ce film raconte l’histoire d’un éclaireur qui doit désigner les positions ennemies à l’artillerie.
Après Didebân, Hâtamikiâ réalise un film très connu, Az Kharkeh tâ Rheïn (Du Kharkheh au Rhin), dont il est aussi le scénariste. Ce film relate la vie d’un ancien combattant gazé durant la guerre [14] et qui va en Allemagne pour des soins, dans ce même pays qui a collaboré avec les Irakiens dans la mise au point de ses armes chimiques. Az Karkheh ta Rheïn dépeint avec une facture réaliste les conséquences de la guerre. Le film pousse ses interlocuteurs à méditer sur certaines valeurs de la guerre sainte et le destin tragique des victimes de la guerre. [15] Ce film, bénéficiant du jeu brillant de ses personnages principaux Homâ Roustâ et Ali Dehkordi, et appuyé par une belle bande-son composée par Madjid Madjidi, a été très positivement accueilli par le public iranien. Il devient ainsi, dès sa sortie, l’un des films les plus remarquables du cinéma iranien. [16]
Hâtamikiâ réalise deux séries télévisées en 2007 : Halgheh-ye Sabz (Le cercle vert) et Khâk-e sorkh (Terre rouge). Il se présente alors comme un réalisateur susceptible d’attirer non seulement les spectateurs cinéphiles, mais aussi les téléspectateurs. Khâk-e sorkh revient sur la vie d’une famille de Khorramshahr, encerclée puis occupée pendant la guerre, et qui est obligée finalement de quitter cette ville.
En revanche, la série Halgheh-ye sabz délaisse le thème de la guerre, tout en conservant les préoccupations sociales et métaphysiques du réalisateur. Cette série revient sur la question du don d’organes, qu’il défend, et se penche sur la signification de la vie au travers du récit de la mort cérébrale d’un jeune homme et son voyage spirituel après la mort.
Hâtamikiâ travaille aussi sur son thème favori avec Khâkestar-e sabz (La cendre verte), dans lequel il revient sur la guerre en ex-Yougoslavie et met en scène une histoire d’amour entre un journaliste iranien et une Bosniaque. [17] Par la suite, avec L’Agence de verre, Hâtamikiâ critique férocement l’ambiance de l’après-guerre en Iran, où le sens de la solidarité et de la bienveillance qui marquait la période de la guerre disparaît, laissant, entre autres, les anciens combattants désemparés. [18] L’histoire de ce film se passe quasiment tout entière dans l’espace clos d’une agence de voyage. [19] En dépit de l’espace clos du film, le jeu brillant des acteurs, en particulier celui du personnage principal joué par Parviz Parastui, les dialogues expressifs et les concepts représentés, n’ont aucune difficulté à conserver l’attention du spectateur, qui suit ce film haletant sans s’ennuyer.
Moj-e mordeh (La vague morte) sorti en 2001, revient quant à lui sur le conflit entre les générations, ce conflit opposant cette fois-ci la génération qui a fait la guerre et celle de l’après-guerre. En mettant en relief ce conflit, le réalisateur tente de trouver une solution pour rétablir la relation entre elles. [20]
L’année suivante, Hâtamikiâ coécrit le scénario de Ertefâ-e past (Altitude basse, 2002) avec Asghar Farhâdi. Ertefâ-e past relate une prise d’otages lors d’un vol, prise d’otages provoquée par les problèmes socio-économiques imposés au preneur d’otage, joué par Hamid Farokhnejâd, par la société d’après-guerre [21]. Pour les critiques, ce scénario réussi est le produit de la rencontre du regard social de Farhâdi avec le regard politique de Hâtamikiâ [22]. Mais Farhâdi dit à ce propos : « Ertefâ-e past est le scenario de Hâtamikiâ. Je ne suis que l’écrivain de ce scénario, […] et pendant sa rédaction, je me suis efforcé de l’écrire d’après le point de vue de Hâtamikiâ. » [23] Farhâdi rejette donc ce jugement critique et estime que malgré son rôle, le scénario de ce film n’est inspiré que de la vision de Hâtamikiâ. Précisons que ce film a remporté le prix du public du meilleur film au Festival du Film de Fajr en 2002.
Bodyguard, le dernier film de Hâtamikiâ sorti en 2016, relate l’histoire de Hâj Heydar, garde du corps d’une célèbre personnalité politique d’Iran. Heydar est un ancien combattant, idéaliste et engagé.
[24] Entre autres facteurs, son travail, qui fait de lui un témoin privilégié de la distance entre l’image officielle des politiciens et leur réalité, le fait douter du bien-fondé de ses idéaux et de la vie qu’il mène et qu’il a menée. Mais l’homme politique est assassiné dans un attentat et Hâj Heydar est désormais chargé de protéger un physicien nucléaire. Ce qui lui permet de répondre à ses doutes et à ses questionnements.
Interrogé lors d’une interview pour le site iranien Farhang-o-Honar (Culture et Art), Hâtamikiâ confirme la ressemblance entre le personnage de Hâj Heydar et le général Ghâssem Soleymâni, commandant de la force Al-Qods. Il précise que ce film est aussi le fruit de l’amour qu’il éprouve pour Soleymâni. [25] Ce film a été nominé dans six catégories pour le Simorgh de Cristal à la 34e édition du Festival de Fajr et a été récompensé par le Simorgh du meilleur acteur et celui des meilleurs effets spéciaux.
À la lumière de ce qui précède, Hâtamikiâ, soucieux du présent et de la société, a fait évoluer son cinéma de guerre vers un cinéma social qui ne s’est pourtant pas totalement éloigné du premier. Car quel que soit leur genre – film de guerre ou film social -, ses histoires racontent toujours la vie des gens en rapport direct ou indirect avec la guerre.
Nostalgique des valeurs positives et de l’ambiance solidaire et bienveillante qui a souvent caractérisé la société iranienne des années de guerre, Hâtamikiâ ne veut pas oublier. Ses premiers films représentaient des gens ordinaires aux prises directes avec la guerre, civils parfois, militaires et volontaires souvent. Plus tard, ses films ont retracé le parcours difficile des anciens combattants et des victimes de la guerre dans une société d’après-guerre qui veut oublier. Ses films des années 2000 continuent à examiner l’impact de la guerre dans la société et la politique iraniennes près de vingt ans plus tard.
Hâtamikiâ a reçu son premier prix pour la réalisation de Didebân à la 7e édition du Festival international de Fajr, et son dernier prix en date pour Bodyguard lors de la 34e édition de ce festival.
[7] Ibid.
[8] Ibid.
[10] Ibid.
[11] Ibid.
[12] Ibid.
[18] Ibid.
[19] Ibid.
[20] Ibid.
[21] Ibid.
[23] Ibid.