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Né en 1973, Djalil Safarbeygui est un poète contemporain iranien que l’on pourrait qualifier d’"extrême". Comprenant le langage des chênes et des montagnes embrumées, sa poésie s’exprime en particulier dans la forme du quatrain, sous la tutelle d’illustres prédécesseurs comme Khayyâm, Attar, Mowlavi. Le quatrain s’est présenté à côté du ghazal comme forme lyrique plus vivante et flexible que d’autres formes traditionnelles de la poésie persane, et il est aujourd’hui encore pratiqué du fait de cette souplesse lyrique.
Safarbeygui commence sa carrière poétique en 1999, en publiant un recueil intitulé Cherâ parandeh nabâsham ? (Pourquoi ne serais-je pas un oiseau ?), dans lequel il fait preuve d’un grand lyrisme dans l’expression de l’amour et du désespoir. Mais pour surmonter les stéréotypes, il utilise l’ironie, qui devient peu à peu le thème central de ses œuvres à venir.
- Djalil Safarbeygui
Ce qui caractérise peut être le mieux la poésie de Safarbeygui est son originalité dans le traitement de thèmes qui semblent mener tout droit au cliché. Sa vision du monde explique peut-être ce traitement original des thèmes, dans la mesure où en tentant de s’éloigner des normes, ce poète veut exprimer, au travers de sujets quotidiens et banals, la condition humaine des temps modernes marquée par la vitesse. Son vocabulaire est bien souvent populaire, parfois argotique ; il utilise le langage de tout le monde - sauf que ce vocabulaire est en fait une reconstitution consciente destinée à créer des images. Cette reconstitution montre sa maîtrise de l’étymologie et de l’origine des mots, ainsi que des expressions qu’il utilise.
Sa vision du monde partage surtout le sentiment de l’amour, de la solitude, l’angoisse de la mort, et l’expérience de la guerre. Elle se nourrit des évènements dramatiques dont le poète est témoin, autour du destin et de son seul abri : Le village.
Parmi ses ouvrages principaux, on peut citer Sonât-e balout (La sonate du chêne) où il fait référence à sa ville, la montagnarde Ilâm, connue sous le nom de « Belle de Zâgros » pour sa beauté vierge, et au sort des femmes de cette région peuplée de chênes généreux et silencieux. Parmi ses autres ouvrages, nous pouvons aussi citer Kamkam kalameh mishavam (Peu à peu je deviens mot), et Gâv sangogh bar posht-e mourcheh-ye kâregar (Le coffre-fort sur le dos de la fourmi ouvrière).
Il neige Elle tousse encore
Les morts se brûlent La vieille femme tuberculeuse
Les os Morte de pauvreté
Le haïku effrayant : Sur le mur
A Elle cherche son ombre
M L’âme espiègle
E
Qu’elle est légère
Sur les épaules de l’ouvrier mort
Maintenant il voit tout La pierre tombale
L’aveugle de naissance
Qui est mort
Les morts se réveillent Les vers
Ton parfum s’est répandu Se tortillent
Dans le cimetière L’odeur d’un mort frais
Les fossoyeurs
Sont rentrés chez eux et se sont endormis
La mort est encore éveillée
70 X120 X180= On planta des hommes
Le volume de la mort Des eucalyptus poussèrent
Quelle terre infertile
Elle erre dans le cimetière
L’âme du jeune homme
On n’a pas encore sorti son cadavre de l’eau
Une voiture freine brusquement
Ils tremblent dans leur tombeau
Les morts accidentels
Une fenêtre soudaine, envoie-moi.
Un poème et un peu de bouche, envoie-moi.
Je vais m’étouffer dans un coin de cette cage
S’il te plait, un peu de ciel, envoie-moi.
Dans ma solitude, le silence ne cesse de se multiplier
C’est la mort qui s’est attaquée à ma vie
J’ai planté un épouvantail dans mon cœur
Ma solitude est habillée de vieux corbeaux
Le jour est venu, plongé dans des rêves morts
Le jour empli d’étoiles filantes mortes
Il est arrivé comme un voyageur étranger
Son sac plein de soleils morts
Ses rêves sont comme toujours bleus
Pauvre moi, je n’ai que des insomnies
Moi, le chat vagabond de la rue
Elle, la chatte grasse de la boucherie
Il semble qu’une place est toujours vide
Cette fois-ci, il n’y a personne ? Non ! Elle est absolument vide
J’ai un banc assis en moi
Deux places toujours vides dans mon cœur
C’est toi qui m’as appris ce rouge foncé
Toi qui m’as appris les cheveux blonds
Comme si j’étais Léonard de Vinci
Toi qui m’as appris le sourire de la Joconde
Des flammes de ma poésie, la langue brûlera
Si je dis quelque chose, la bouche brûlera
Ma tête est un nid de phœnix depuis quelque temps
Il suffit que je secoue l’aile, et le ciel brûlera
Dans sa poésie Jalil plantait des protestations
Sans cesse Jalil plantait des fenêtres ouvertes
Il aurait été le millionnaire de la ville
Si au lieu des mots Jalil avait planté des oignons
Premier hémistiche : je t’embrasse
Deuxième je t’embrasse encore
Aucun problème ! Ça ne regarde personne
C’est mon propre poème, je t’embrasse
Il semble que toute ma croyance est blessée
Dans ma tête une tribu de chênes est blessée
Quelles mains rugueuses a Ilâm
Comme les paumes de mon père elle est blessée
Cette ville dans laquelle des lustres poussent
C’est un jardin dans lequel des douleurs, des deuils poussent
Nous devons retourner à notre propre village
Seulement dans cette ville des corbeaux poussent
Donne des graines de mil aux canaris
Des chanvres aux oiseaux moqueurs
Pour les méloposites
Jette une poignée de "Je t’aime"
Je suis amoureux d’une gazelle
Dont le manteau est en peau de tigre
Le sac en cuir de crocodile
Pauvre léopard que je suis
Tu es la mer
On ne peut pas t’embrasser
On ne peut que s’y noyer
Mon grand-père
Mon père
Mon oncle
Mon cousin…
Ma grand-mère est un cimetière tumultueux
Des morts innombrables vivent en elle
Je t’aim
Je t’ai
Je t’a
Je t
Elle pleure
Et râpe les « Je t’aime »
Ici je t’aime
Ici
Ici
Et ici
J’ai mal ici
Ici
Ici
Et ici
L’amour
A fait un voyageur de moi
Dans chaque ville
J’ai laissé une valise
Mon étreinte s’est fragmentée
Dans les gares du monde
Il y a beaucoup de façons de mourir
Par exemple t’aimer
Les femmes
Ont toujours un sac à main avec elles
Pour porter leurs miroirs de poche et leurs brucelles et leurs rouges à lèvres et leurs rimmels
Et leurs sanglots
Je vais à la maison
Je m’affale dans le fauteuil
Personne ne tient la télécommande à la main
Je change la chaîne
Le présentateur du journal a des ampoules à la voix
Je vais à la cuisine
Un sous-marin nucléaire passe à mon côté
Il me donne l’alarme
Je reviens confus
Mon fils est une grenade dégoupillée
Je me jette par terre
Ma fille est une mine anti personnelle
Je m’enfuis de la maison
Le trottoir déborde de balles
Une mitrailleuse vient d’en face
Elle tire
Comme le trottoir est tumultueux
Que de gens minés vont et viennent ici
Un homme me bouscule
C’est une bombe non explosée
Restée de la Deuxième Guerre mondiale
Une femme me bouscule
C’est une mine neutralisée qui, à chaque instant…
Des hommes avec tant de fils barbelés
Que de barricades ils ont montées autour d’eux-mêmes
Que de fossés ils ont creusés en eux-mêmes
Chacun a installé des bases militaires dans plusieurs personnes
Un pigeon passe
Avec une bombe à fragmentation dans les plumes
Un aigle a attaché un missile balistique à son aile
Que de forces militaires se sont installées dans cette petite place
Une balle cherche ma tête
Une grenade cherche mon cœur
Une mine a visé ma jambe
Un missile a visé mon cœur
Avec une balle dans la tête
Une balle dans le cœur
Une balle dans l’épaule
Tout criblé
Je rentre à la maison
Je me retranche en moi-même
Je creuse des fossés
Je fais des barricades autour de moi-même
Je désinfecte mes blessures à la bétadine
Je fais un salut militaire à ma femme
J’embrasse mon fils
Je fais des bises à ma fille
Et je pense à la balle qui va décidément me toucher au front
J’ai sur le dos beaucoup de rochers de la montagne
Mon sein accablé s’est empilé de montagnes
Je creuse des fuites dans mon cœur
Comme la fuite de la grotte de la montagne
Pénètre dans ma peau et détruis-moi
Suspends du feu à mes veines
Je suis une vigne gelée en soi-même
Prends mon froid et fais-en été