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Le premier contrat de concession pour l’exploitation du pétrole en Iran a été accordé en 1901 (1280 du calendrier iranien) à un homme d’affaire britannique, William Knox D’Arcy (1849-1917). Ce contrat de concession devint alors célèbre sous le nom d’ "accord de D’Arcy". Au départ, ni l’homme d’affaires britannique, ni l’Etat iranien ne prirent le contrat au sérieux. D’Arcy avait même envisagé la résiliation du contrat, après plusieurs années d’exploration inutiles qui n’avaient pas abouti à la découverte de réserves de pétrole importantes en Iran.
Mais en 1908 (1287), les ingénieurs de D’Arcy découvrirent une réserve de pétrole importante à Masjed-Soleyman. Cette découverte constitua le point de départ d’une immense évolution politique et économique en Iran ainsi que dans le monde. Après cette première réussite, les concessionnaires redoublèrent leurs efforts d’exploration afin de découvrir de nouvelles réserves dans le pays, mais D’Arcy et ses collaborateurs avaient besoin d’investir davantage pour développer leurs activités.
Le pétrole iranien acquit une importance toute particulière lorsque les conseillers politiques et économiques du gouvernement britannique proposèrent à Londres de participer directement aux projets d’exploration et d’exploitation du pétrole en Iran, en achetant la concession de William D’Arcy. Au seuil de la Première Guerre mondiale, le gouvernement britannique avait acheté la concession de D’Arcy et était devenu le maître incontesté des immenses réserves pétrolières de l’Iran, dans les régions du sud et du sud-ouest du pays.
Le pétrole iranien a joué un rôle déterminant pour fournir l’énergie et le combustible dont la marine britannique avait besoin pendant la Grande Guerre. Après la guerre, la Grande Bretagne décida de développer son influence en Iran dans le but de renforcer sa mainmise exclusive sur la manne pétrolière du pays, tout en empêchant les compagnies pétrolières des pays tiers de participer aux projets d’exploitation pétrolière iraniens. A cette époque là, des voix s’élevèrent dans les milieux politiques iraniens pour exiger une révision du contrat de concession de D’Arcy, étant donné que la partie iranienne ne recevaient qu’une portion congrue des immenses revenus issus de l’exportation du pétrole par la Grande-Bretagne.
Par ailleurs, les activités de l’Anglo-Persian Oil Company (APOC) en Iran et la découverte de nouveaux gisements de pétrole avaient attiré l’attention des autres pays et de leurs compagnies pétrolières qui souhaitaient avoir une part du butin découvert par les Britanniques. Depuis la fin de la dynastie qâdjâre, les compagnies pétrolières américaines avaient déjà commencé à développer des activités en Iran. A la même époque, l’Union soviétique qui partageait de longues frontières avec l’Iran, convoitait à son tour les réserves pétrolières du pays et était entrée dans une guerre d’influence, afin d’obtenir une concession d’exploration et d’exploitation du pétrole dans les régions du nord iranien. En parallèle, les Soviétiques cherchaient également à réduire la domination de leurs adversaires britanniques au sud du pays. Outre ce jeu d’influences croisées, pendant les dix premières années du règne de Reza Chah, qui avait fondé la dynastie Pahlavi en 1925, l’opinion publique iranienne était pour la diminution de la mainmise de la Grande-Bretagne sur les gisements de pétrole. En réponse à ces revendications internes, Reza Chah décida de résilier unilatéralement le contrat de concession de D’Arcy, et entra en négociation avec les responsables de l’APOC afin d’obtenir une part plus importante des revenus pétroliers. En 1933 (1312), Téhéran et Londres prorogèrent le contrat de concession de D’Arcy, après y avoir introduit quelques petites modifications qui étaient loin de répondre aux exigences des opposants à la domination britannique sur le secteur pétrolier, pour qui ce nouveau contrat n’était qu’une manœuvre politique et économique destinée à duper l’opinion publique.
Malgré l’opposition à la prorogation du contrat de concession de D’Arcy en 1933 tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger, la répression des opposants sous le règne de Reza Chah empêcha les opposants d’agir efficacement contre les termes de ce contrat ; d’autant plus que le gouvernement britannique se servait de ses relais d’influence politique à l’intérieur de l’Iran pour affaiblir la position des opposants à la prorogation du contrat de l’APOC. En 1941, Reza Chah fut obligé d’abdiquer en faveur de son fils aîné Mohammad-Reza. Le début du règne du jeune Mohammad Reza Pahlavi fut marqué par une certaine ouverture politique et sociale due à la levée du système de répression établi par Reza Chah. L’opposition longtemps réprimée par ce dernier eu dès lors le moyen de s’exprimer pour condamner le pillage des richesses naturelles du pays par le gouvernement britannique. Cependant, tandis que les forces alliées avaient occupé le territoire iranien, l’opposition intérieure demeurait trop faible pour remettre en cause ou même affaiblir la domination de l’APOC sur le secteur pétrolier, notamment dans les régions du sud de l’Iran.
A la même époque, les autres grandes puissances, notamment l’Union soviétique et les Etats-Unis, essayèrent de s’attribuer une part de la manne pétrolière iranienne. Prétextant le contrôle du pétrole du sud iranien par la Grande-Bretagne, ils s’arrogèrent le droit de s’emparer de certains gisements de pétrole situés dans les autres régions iraniennes. Mais l’influence politique et économique de la Grande-Bretagne constituait toujours un obstacle majeur à leur infiltration en Iran. Pour réaliser cet objectif, les Etats-Unis et l’Union soviétique avaient deux options. En premier lieu, ils pouvaient essayer d’obtenir la concession de l’exploration et de l’exploitation du pétrole en dehors des zones déjà dominées par la Grande-Bretagne. Cependant, il était très difficile de réaliser cet objectif en raison d’immense influence politique et économique de Londres et de l’APOC. C’est pourquoi, les grandes puissances optèrent pour le soutien aux forces de l’opposition iranienne, notamment au sein du parlement.
L’ouverture politique et sociale en Iran après le départ de Reza Chah avait permis au parlement de jouir de davantage d’opportunités d’action, d’autant plus que les puissances étrangères encourageaient une action politique renforcée à l’intérieur du pays contre la domination britannique. Le jeune Mohammad-Reza était à l’époque considéré par le parlement comme un jeune roi qui devait se contenter de son statut de roi, sans avoir l’ambition de gouverner le pays à l’instar de son père. Or, la Grande-Bretagne qui avait pris l’habitude, depuis le règne de Reza Chah, de se servir du pouvoir du monarque pour assurer ses intérêts en Iran, préférait renforcer la position du Chah face au Conseil des ministres et au parlement. En tout état de cause, le parlement était le foyer principal des prises de décisions politiques, notamment en ce qui concernait le pétrole. Mais les députés du parlement ne constituaient pas un ensemble homogène : certaines factions étaient formées de forces nationalistes et indépendantistes, tandis que la faction du Parti Toudeh (gauche) soutenait les politiques de l’Union soviétique. La troisième faction parlementaire était formée des partis et groupes politiques qui défendaient les intérêts de la Grande Bretagne, étant donnée l’influence politique et économique de Londres en Iran. Cependant, aucune de ces trois factions principales n’était majoritaire, et une alliance tactique entre deux factions aurait été susceptible de bouleverser l’équilibre des forces politiques et sociales du pays. En outre, au sein des partis nationalistes, certains souhaitaient l’entrée sur scène des Etats-Unis pour jouer le rôle d’un contrepoids face à l’influence de la Grande-Bretagne et de l’Union soviétique. Sous la pression des faits, une sorte d’alliance entre la faction nationaliste et la faction de gauche fut progressivement constituée au sein du parlement iranien pour faire front à la domination britannique. Dans ce contexte, une coalition - quoique incohérente et mal structurée - émergea peu à peu sur la scène politique et sociale pour lutter contre l’influence de la Grande- Bretagne.
De 1945 à 1948, le parlement iranien approuva de nombreuses lois visant à interdire l’octroi de concessions pétrolières aux pays étrangers. Londres réagit violemment contre les mouvements qui avaient mis en péril ses intérêts dans l’exploitation des réserves pétrolières du sud et du sud-ouest de l’Iran. Dans ce cadre, la Grande Bretagne envisagea d’ajouter une annexe au contrat de l’APOC qui est par la suite devenue célèbre sous le nom de “Accord Gass-Golshayan”.