Sous Fragonard

 

Sous mon tableau clair, tu regardes, l’œil irisé,

Se prélasser le cours d’un siècle auprès d’un orme

Dont la branche généreuse, cachant le baiser

Du Ciel avec le sein de bergères qui dorment.

 

Un pas à la gauche, tiré vers le chocolat

Et la pourpre draperie d’un vieux Fragonard

Fatiguent, près d’un boudoir où s’oublie un prélat,

Les chimères profondes, l’illusion d’un regard,

 

Pareilles aux douceurs de ton bras délicat.

La peinture et le café, le pas d’un bleu russe

Dont l’ombre sur un mur enchante une Vénus,

 

Rappellent au nôtre l’odorant reliquat

D’un siècle de grandeur dont tu ouvres les mœurs

A nos combinaisons de lucre et de rancœur.

Le pays des vacances

 

L’âme rêveuse, douce Sainte-Barbe de Grèce,

Je monte avec toi jusqu’aux maisons d’héritage ;

De tes grès écrus et fleuris ta lèvre épaisse,

Elle entreprend de souffler contre nos rivages ;

 

Le souvenir tournoie à l’aube en les figuiers.

Pays d’enfance, tes odeurs de café amer

Ouvrent, autour de l’église les voix irriguées

Des vieilles qui hurlent sous le bruit de la mer.

 

Quelques herbes estivales auprès du port,

Qui jaunissent doucement sous le rais du Ciel,

Penchent au gré du vent. Comme le jour s’endort,

Le ciel nourrit la mer de tous ses volucelles ;

 

Leur concert tourbillonne jusque dans nos chambres

Tant se rassemblent en un unique éclairage

Le ventre de la mer, les étoiles et l’ambre

De la lune musquée luisant dans son breuvage !

 

Claire Sainte-Barbe qui chantes, et se prélasses

Dans la guerre où tes ânes mourront loin du heurt,

Entends ma mémoire nourrie des journées lasses

Qui vole au cimetière où je trouve ton chœur.

 

Le rêve du mariage

 

Près d’un prunier blanc dont les fleurs couvent les fruits,

Je m’assoupis. Dans un songe comme la cange

Ondoie agilement sur un fleuve sans bruit,

Ta bouche, et tes yeux clairs qu’éclaire un peu le Gange

 

Lorsque ses boues et brunes et vertes, dans les crues,

Colorent l’eau limpide qu’un flot ressoulève,

Ta bouche et tes yeux, dont les tailles sont accrues,

Sillonnent finement de mon cerveau la grève.

 

Quel souvenir s’infiltre en ce jardin de France ?

Le parfum du café entre les figuiers,

L’encens des églises dans l’aigreur des essences,

Les lambeaux d’Orient que vous irriguiez,

 

Toi, tes lèvres redorées d’un œil bel et juste,

Des seins pleins du hâle qui mûrit les bâtisses

Et gonfle la vigne, comme il soulève ton buste

Et l’unit à tes épaules blondes et lisses !

 

Ta chevelure brune, se mêle de Sauternes

Comme mon rêve mêle ! – aux odeurs de Beyrouth,

Aux herbes se brûlant sur le fer des citernes

Qui brûlent sous l’Astre – aux jardins sales qu’égoutte

 

L’été puant multiplicateur des misères,

– A la mer brune et glauque, réduite dans tes yeux,

Mon rêve y mêle nos pudeurs et l’atmosphère

De laquelle se mêle un désir impérieux.

 

Hélas ! Je suis poète et ma richesse, dissoute,

Ne puit bien enrichir que le secret vivant,

Le Printemps qui bourgeonne en ta profonde soute

Où le poivre, la figue et l’écume salivant

 

Se mélangent ! Orientale, tu n’es point philosophe !

Et puis-je t’empêcher d’épouser ton docteur

Et de paresser seule contre les étoffes

Ocres ou rosées ? dans une vie sans ardeur,

 

De parfumer tes bras où la mousse se joint

Comme l’Astre qui teint une claire nuée

Et réveille âprement mon esprit qu’a rejoint

Son écume solaire large et dénuée ?

 

 


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