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Hâfez à travers “La Tourangelle bleue”
de Paul Fort
Université Azad islamique
Unité des sciences et de la recherche de Téhéran
Poème de Paul Fort (1872-1960), cristallisant son inspiration orientale, la Tourangelle bleue représente Hâfez comme un modèle de beauté vestimentaire : la symbolisation de la physionomie de Hâfez est liée à son statut spirituel. Le goût de Paul Fort dans sa mise en scène du poète persan paraît renvoyer à la vitalité de la source inspiratrice de la poésie iranienne pour lui, comme pivot de toute élévation majestueuse.
Bien que Paul Fort soit un grand admirateur de Firdûsî, en l’honneur duquel il a composé des poèmes (Ode en l’honneur de Firdûsî) [1], il apprécie également Hâfez, avec qui il partage son goût poétique. La Tourangelle bleue est ainsi remplie d’allusions à la figure du poète mystique persan.
Ce poème est bien évidemment une ode à la bien-aimée du poète français, qu’il habille de bleu, à l’instar de l’image de Hâfez portant le turban bleu, signe de vertu et de clarté. Hélène Lacas écrit à propos de Paul Fort : « Il publie […] La Tourangelle (1925) […] continue pendant ce temps à fréquenter les milieux artistiques et littéraires ; on le voit à Montmartre avec Picasso et Apollinaire, à Montparnasse, plus souvent où il rencontre Germaine Tourangelle qui deviendra sa femme, après son veuvage, en 1956. » [2]
Au travers des allusions à Hâfez et à sa poésie dans ce poème, il semble que l’incarnation du poète persan dans l’imagination perfectible de Paul Fort lui permet de faire de Germaine Tourangelle un être plus réel et plus vital. On peut le voir notamment avec son travail sur la couleur bleue : « L’orbe, au-dessus des yeux, du plus fin bleu des bleus, et tout le ciel bleu-ciel de vos si grands beaux yeux, sur champs de roses, oui, mais que chérit l’azur du vrai ciel qui s’en va frôlant votre nez pur. » [3] Ailleurs, le poète s’efforce de vivifier le portrait de Germaine Tourangelle en recourant à une description sophistiquée qui se développe sur la trame de métaphores utilisées par le poète persan, pour finir en le citant : « Tout cela, c’est le haut bleu, blond, rose de vous, hé ! que diront mes yeux de tout le divin reste ? des pieds en fine flèche aux nacres vers le cou ? rien, sinon que votre vêture, et jupe et veste, gants, souliers, arborant les couleurs préférées du beau temps et qui sont les vôtres, adorée, « saphir » vous eût nommée Hâfez, « opale » Ambroise [4], fi ! moi votre grand turc, je vous nomme « Turquoise ». [5]
On constate dans cette prose rythmée les composantes d’une description délicate, dans laquelle l’imagination de Paul Fort se déploie davantage avec l’apparence vestimentaire qu’avec la figure stéréotype de la bien-aimée. L’allusion à Hâfez et à la turquoise paraît souligner chez le poète français une certaine idée d’un art oriental idéal et anoblissant. Cette particularité symbolique souligne par ailleurs les agréments d’une couleur fine, le bleu, sur laquelle se fonde le nom de Hâfez, dont le reflet se voit dans l’image révélée de Germaine Tourangelle.
Hâfez revient d’abord sous la plume de Paul Fort en tant que révélateur d’un amour éthéré, puis sa figure devient le canevas d’une alliance solidaire. Comme le précise P. G. Castex dans son Histoire de la littérature française, Paul Fort est un : « Poète lyrique et sentimental, il a célébré surtout l’amour, l’enthousiasme, la fraternité humaine. » [6] Il n’est donc pas surprenant de voir chez Paul Fort un mouvement d’idéalisation qui lui fait célébrer sa bien-aimée sous l’image d’une tourangelle bleue conçue comme la probité de l’esprit mystique. Hâfez, dont la poésie est reprise dans le déploiement de l’image de la bien-aimée, apparait sous l’identité d’un ange gardien : « Au chapeau de soleil cinq rangs de bleus rubans (pour votre ange gardien ces portées de plain-chant où les notes sont des bleuets) ; sur votre nuque bleutée, mêmes rubans, mais qui font la culbute. » [7] Le bleu de Paul Fort paraît donc évoquer la couleur locale d’un Iran glorieux où l’art trouve ses gemmes dans la méditation des poètes mystiques, et où le bleu est le signe d’une beauté céleste.
Paul Fort semble avoir découvert chez Hâfez une pudeur d’esprit qui l’encourage à célébrer sa bien-aimée vêtue d’une tourangelle bleue, symbole de pureté féminine. Le charme séduisant de Germaine Tourangelle provient d’une part de sa ressemblance à Hâfez, et d’autre part de l’éclat du bleu reflété dans son apparence.
Plus fondamentalement, notre poète s’efforce de montrer la douceur de sa bien-aimée, et ce grâce à la figure mystique de Hâfez, dont la poésie jalonne tout trait désirable par un bleu ravissant : « Belle à ressusciter Mistral en ces beaux lieux, que savourent, les adorant, vos grands beaux yeux, comment vous nomme-t-il ? – son Ombre n’est plus feue ! – doucement, tendrement : « la tourangelle bleue » [8].
Dans la réflexion de Paul Fort, Hâfez est la matrice esthétique d’une féminité fascinante ornée d’une tourangelle bleue. La beauté de Germaine Tourangelle est ainsi enrichie par le poète persan, pour qui le raffinement de l’être enchanté est lié à un esthétisme pictural.
Bibliographie :
Azar, Ismaïl, La Littérature de l’Iran dans la Littérature du Monde, Editions Sokhan, Téhéran, 1387.
Castex, P.G., Histoire de la littérature française, Hachette, Paris, 1974.
-Encyclopedia Universalis du XXème siècle, Albin Michel, Paris, 2000.
Hélène Potelet, Mémento de littérature française, Hatier, Paris, 1990.
Paul Fort, Ballades Françaises, Flammarion, Paris, 1983.
[1] En 1935, Paul Fort a assisté au millième anniversaire de Firdûsî en Iran. Il a été également le représentant des poètes français à cette cérémonie commémorative. (Ismaïl Azar, La Littérature de l’Iran dans la Littérature du Monde, Editions Sokhan, Téhéran, 1387, p. 462. C’est nous qui traduisons).
[2] Encyclopedia Universalis du XXème siècle, Albin Michel, Paris, 2000, p. 297.
[3] Paul Fort, Ballades Françaises, Flammarion, Paris, 1983, p. 311.
[4] Paul-Ambroise Valéry.
[5] Ibid., p. 312.
[6] P. G. Castex, Histoire de la littérature française, Hachette, Paris, p. 792.
[7] Paul Fort, op. cit., p.311.
[8] Ibid., p. 312.