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Avec une superficie de 884 km², Kangâvar est un petit département de la province de Kermânshâh et ne représente que près de 3, 5% de la superficie totale de la province. Situé à l’extrémité est de la province, le département de Kangâvar avait plus de 81 000 habitants (22 665 foyers) selon le recensement de 2011. Le chef-lieu du département est la ville de Kangâvar qui se situe à 142 km de Kermânshâh, capitale de la province. La ville se situe également à 88 km de Hamadân (capitale de la province voisine), et à 417 km de Téhéran.
Dans le centre de la ville moderne de Kangâvar, on peut visiter le célèbre temple d’Anâhitâ vieux de 1200 ans. Anâhitâ ou Nâhid (en persan moderne) signifie « immaculée », et désigne une ancienne divinité de la période préislamique. Anâhitâ fut vraisemblablement la déesse la plus aimée de toute l’Antiquité iranienne.
Anâhitâ est la déesse de l’eau. [1] Les textes avestiques décrivent Anâhitâ comme une déesse qui accroît la richesse et la postérité. Elle est également l’incarnation parfaite de la beauté. Dans Abân Yasht (Hymne aux Eaux), nous pouvons lire : « Alors Zarathoustra s’avance et dit : Ô Anâhitâ, qui proviens du créateur Mazda, tes bras sont beaux et dorés, larges comme un cheval. Avance vers nous avec bienveillance, ô belle, ô sainte ; viens rapidement, avec tes larges bras, roulant dans ton esprit ces pensées […] Du fait de son éclat et de sa majesté, je veux honorer par des chants de louange, par un culte convenable, Anâhitâ, pure et sainte. » [2] Après Persépolis, le temple d’Anâhitâ à Kangâvar est le deuxième grand monument de pierre en Iran.
Isodore de Charax, un géographe et voyageur grec né au Ier siècle av. J.-C., visita la ville de Kangâvar en 37 apr. J.-C. et relata qu’il y vit un temple d’Artemis, déesse de la chasse dans la mythologie grecque, souvent associée à Anâhitâ dans la mythologie perse. Pendant de longs siècles, Kangâvar fut une escale importante sur la Route de la Soie. Les habitants actuels de Kangâvar sont Kurdes ou Lors. Dans le district de Fash qui regroupe plusieurs villages se trouve aussi un nombre très réduit d’Arméniens qui se présentent comme les descendants des Arméniens s’étant installés dans cette région à l’époque du règne de l’empereur sassanide Khosrow II (590-628 de notre ère), appelé Parviz (le Victorieux). L’existence d’un très ancien cimetière juif au nord du Temple d’Anâhitâ et son épigraphe en hébreu prouve qu’autrefois, une communauté juive vivait à Kangâvar.
Sous le règne des Safavides (1501-1736), des habitants turcophones des régions voisines vinrent s’établir à Kangâvar. Ils apportèrent avec eux leurs langues, ainsi que leurs us et coutumes. Par conséquent, on peut entendre aujourd’hui les habitants du département parler parfois un mélange de plusieurs langues et dialectes comme le persan, le lor, le kurde et le turc.
La grande majorité des habitants sont des chiites duodécimains qui coexistent avec les Kurdes sunnites et une petite minorité yarsaniste, adepte de la religion Yarsan, fondée probablement au XIVe siècle en Iran occidental (Kurdistan) et dans le nord de l’Irak. Un très petit nombre de chrétiens et de juifs vivaient également dans le département de Kangâvar.
L’économie de Kangâvar a été pendant une longue période une économie rurale fondée sur l’élevage et l’agriculture. Les habitants s’occupaient également d’artisanat, notamment de sculpture sur bois et de fabrication d’instruments de musique, surtout le tanbour. Le tanbour est encore produit dans le village de Fash selon les méthodes traditionnelles. C’est un instrument de la famille de luths à long manche très populaire en Iran, au Moyen-Orient, aux Balkans et dans les pays de l’Asie centrale.
Les agriculteurs du département de Kangâvar produisent chaque année plus de 400 000 tonnes de céréales, de fruits et de légumes, mais aussi près de 54 000 tonnes de viande (moutons, vaches, poissons). En dépit de la fertilité des terres et l’existence de bons pâturages, les activités furent peu rentables pendant plusieurs siècles en raison du retard de la mécanisation et du regroupement des petites terres agricoles. Ceci a conduit de nombreux habitants à quitter leurs villages pour s’installer dans le chef-lieu du département, puis dans les grandes villes comme Kermânshâh, Hamâdan ou Téhéran. Beaucoup de villageois ont travaillé ainsi dans les petits ateliers et les grandes usines de briques, qui ont fait de ce département un pôle important de la fabrication de briques dans toutes les régions de l’ouest du pays. Ces dernières années, de nombreux projets ont été mis en place à Kangâvar pour relancer les activités agricoles. La pisciculture a connu un essor dans le département, et le développement de la production agricole sous serre permet aux habitants de continuer leurs activités en cultivant des produits « hors saison ».
La ville de Kangavâr est surtout connue pour son temple d’Anâhitâ. Le temple qui se situe au centre de la ville moderne date de la période préislamique.
A cette époque, de nombreux temples auraient été dédiés aux dieux et aux déesses. En ce qui concerne Anâhitâ, la déesse des eaux, il existe aujourd’hui les ruines de deux temples lui étant dédiés ; l’un à Kangâvar et l’autre à Kâzeroun, situé au sud de la province du Fârs. Le temple d’Anâhitâ de Kangâvar est le plus grand monument en pierre de tout l’Iran de l’époque préislamique, après le palais royal des Achéménides à Persépolis. Le temple se trouvait sur la route ancienne qui reliait autrefois la ville historique de Hamedân (autrefois Hegmataneh ou Ecbatane, littéralement « Ville des rassemblements »), une ancienne capitale des Mèdes puis des Achéménides, à la célèbre inscription de Bistoun (ou Behistun) de l’époque du grand empereur de la dynastie achéménide, Darius Ier (550-486 av. J.-C.). Le Temple de Kangâvar, dont les ruines s’étendent aujourd’hui sur un terrain de 4.6 hectares, avait été construit, comme plusieurs autres monuments de pierre de la période préislamique, sur une plateforme surélevée de plusieurs mètres par rapport à son environnement immédiat. Pourtant, les recherches indiquent que le temple d’Anâhitâ n’est pas aussi ancien que les monuments achéménides de Persépolis. Le temple fut construit sans doute à l’époque de la dynastie parthe des Arsacides qui fondèrent leur empire en 250 av. J.-C. et qui régnèrent jusqu’en 224 de notre ère. Dans les fouilles de Kangâvar qui ont commencé à partir de 1968 par une équipe archéologique iranienne, plusieurs tombes taillées dans la pierre de l’époque arsacide furent découvertes sur le site du temple d’Anâhitâ. Les experts y découvrirent aussi des morceaux de poterie et des pierres ouvragées de la même période, datant essentiellement du 1er siècle av. J.-C. et du 1er siècle apr. J.-C. Les corps humains qui avaient été inhumés dans ces tombes avaient été placés sur le dos. La tête de chaque corps était tournée vers le temple et la main gauche était placée sur la poitrine, peut-être en signe de respect. Dans ces tombes, des objets et des pièces de monnaie de l’époque des rois arsacides furent trouvés par les archéologues.
Le temple d’Anâhitâ fut utilisé aussi à l’époque des empereurs sassanides qui régnèrent de 224 de notre ère jusqu’à l’invasion des Arabes en 651. Les archéologues ont également trouvé au temple d’Anâhitâ les vestiges de l’époque islamique, depuis le règne des Seldjoukides (XIe-XIIe siècles) jusqu’à des périodes plus récentes comme celles des dynasties des Safavides (1501-1736) et des Qâdjârs (1786-1925).
Cependant, il faut souligner que l’histoire de Kangâvar est beaucoup plus ancienne que celle de son célèbre temple. Au début des années 1960, les archéologues découvrirent dans la vallée de Kangâvar un site beaucoup plus ancien que le temple d’Anâhitâ. Le site de Godine Teppeh (colline de Godine) se trouve à 12 kilomètres au sud-est de la ville. Les premières recherches archéologiques furent effectuées dans les années 1970 par une mission canado-américaine dirigée par Cuyler T. Young Jr. La colline Godine date, d’après les découvertes archéologiques, de plus de 5000 ans av. J.-C. et a joué dans l’Antiquité un rôle important dans le commerce du lapis-lazuli entre les civilisations mésopotamiennes et la région de Badakhchan dans l’Afghanistan actuel. Le commerce était très probablement contrôlé par les Élamites qui vivaient dans les régions du Sud-ouest iranien avant l’avènement des civilisations perses en Iran actuel. Dans les couches les plus anciennes, les archéologues ont découvert des indices qui prouveraient que le site a été abandonné vers 3000 av. J.-C. en raison d’un incendie. Les maisons et les grandes salles de la citadelle auraient été abandonnées rapidement après cet incendie dont les origines restent inconnues. Les tablettes d’argiles et les sceaux cylindriques découverts dans ces couches anciennes appartiennent à la période protoélamite (3300-2800 av. J.-C.). La plupart des tablettes contiennent des comptes et les listes de produits commerciaux.
Des couches plus récentes de la colline Godine datent de 750 av. J.-C. et contiennent les vestiges d’un ensemble architectural militaire dont des murs fortifiés appartenant à la civilisation médique. Ces vestiges comprennent des éléments architecturaux qui rappellent également les traditions de l’Empire perse achéménide, dont des salles à colonnes qui ressemblent aux monuments de Pasargades, de Suse et de Persépolis.
[1] Naghizâdeh, Mohammad : L’eau dans la culture iranienne (1ère partie), traduit par Ershadi, Babak, in : La Revue de Téhéran, n° 99, février 2014. pp. 54-62. Accessible à : http://www.teheran.ir/spip.php?article1858#gsc.tab=0
[2] Abân Yasht, in : Eslâmi-Nadoushan, Mohammad-Ali, « Âyâ irâni hamân irâni ast ? » (L’Iranien est-il ce qu’il était avant ?), in : Revue Hasti, 2e année, n° 1, printemps 1931, p. 14.