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Le système rafraîchisseur des bâdgirs,
un nouvel horizon vers l’architecture durable en Iran
La Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement définit en 1987 le développement durable comme celui qui permet de satisfaire les besoins de la société d’aujourd’hui tout en ne mettant pas en danger la satisfaction de ceux des générations futures. La notion de développement comprend en ce sens trois critères fondamentaux, à savoir environnement, finance et société. La réalisation d’une architecture durable implique notamment la diminution de l’emploi des matériaux et énergies non recyclables. L’idée de respect et de l’importance de vivre en harmonie avec les conditions naturelles du milieu est au centre de l’architecture traditionnelle en Iran, y compris celle du désert. Un milieu désertique possède notamment les caractéristiques suivantes :
En tant que conditions façonnant le système architectural du désert, ces éléments entrent en jeu afin de créer des édifices où l’énergie éolienne tient une place centrale.
Pour la majorité des architectes iraniens traditionnels, la nature constitue un symbole de la vérité. C’est en ce sens qu’ils cherchent à la reproduire et à l’épouser dans leurs créations architecturales, afin de se rapprocher d’une sorte d’harmonie originelle. Le désert offre depuis toujours un exemple parfait de la nature où les architectes cherchent la réalisation d’un type particulier de l’art de l’architecture marqué par un paysage vaste et coloré. Partie indissociable de notre être au monde, la nature revêt certaines valeurs intrinsèques qui apparaissent dans le désert sous forme de :
Témoignant d’une forte analogie avec l’environnement présent, les formes architecturales dans les déserts d’Iran révèlent un emploi systématique des ressources naturelles, y compris le vent et la lumière. Etant mis à profit dans le cadre des bâdgirs (les tours du vent), le vent aidait l’architecture persane à climatiser les espaces intérieurs des bâtiments. Associant aux autres espaces de l’édifice comme le sous-sol (sardâb) et l’orifice (nâkesh), les bâdgirs forment un système traditionnel et très efficace de climatisation.
La chaleur dégagée par le soleil et le sol désertique crée des masses d’air mouvantes. Ainsi, tant que le soleil brille, l’énergie éolienne est donc sans cesse renouvelée. Basée de la sorte sur une énergie renouvelable, la climatisation naturelle des bâdgirs est l’un des moyens les plus durables et bon marché de diffusion d’un air agréable à l’intérieur du bâtiment [2].
Désignant une partie importante des bâtiments construits dans les régions chaudes et sèches, le bâdgir se veut un symbole fort des maisons de la ville de Yazd. Questionné dans le cadre du changement de la structure urbaine quant au passé et dans le cadre d’un développement durable, le bâdgir se présente comme une construction architecturale ne présentant aucun risque pour l’environnement, et permettant aussi de préserver un héritage culturel.
C’est en conduisant le flux du vent que les bâdgirs utilisent la pure énergie de la nature afin de régler la température. Traditionnellement, les bâdgirs font passer le flux d’air par des jarres poreuses remplies d’eau, ce qui entraine la vaporisation de cette eau et un refroidissement de la température de l’air. Aidant à économiser l’énergie, ce système coûte bien moins cher que d’autres systèmes d’émission de froid.
Le souffle des vents saisonniers et quotidiens constituant l’une des caractéristiques principales du climat désertique en Iran, les bâdgirs des régions désertiques sont construits dans la direction des vents forts et favorables. En Iran, les bâdgirs appartiennent généralement à trois catégories : les bâdgirs d’Ardakân, ceux de Kermân, et enfin ceux de Yazd. Ayant quatre côtés, ces derniers sont très hauts afin d’aspirer un air aussi frais que possible. Du point de vue structural, ces bâdgirs sont ceux à la fois les plus complexes et les plus beaux en Iran et parmi eux, on peut citer les bâdgirs des maisons traditionnelles comme celles d’Akhavân-e Sigâri, Shafi’pour, ‘Arab Kermâni, Rasouliyân, Lâri’hâ, ‘Arab’hâ, Metrâvi, Ardakâniyân, Rismâniyân, Tehrâni’hâ, Semsâr, ‘Arab, Fâteh’hâ, Guerâmihâ, Golshan et Mortâz. Les critères distinguant l’architecture des bâdgirs de Yazd peuvent se résumer ainsi :
Plus hauts (parfois d’une hauteur de 33/5 par rapport à la cour) que les bâdgirs d’autres villes iraniennes où cet élément architectural brosse la physionomie de la ville, les bâdgirs de Yazd, avec leurs hauteurs différentes, accentuent le charme de la ligne d’horizon. Placés en général à cinq mètres du toit, ces bâdgirs se voient en général dans la partie sud de la cour où se trouvent les quartiers d’été. Situés au sud-ouest du bâtiment, ceux-ci ont pour point de jonction un espace placé sous le bâdgir. Les maisons comme celle des Fâteh’hâ, Ardakâniyân, et Rismâniyân proposent un exemple parfait de cette structure. La plupart des bâdgirs installés dans les quartiers d’été se trouvent dans des édifices traditionnels disposant d’une vaste cour centrale, où est aménagé un tâlâr. Ce dernier est un espace d’au moins 18 mètres carrés, et au maximum de 120 mètres carrés. Partie principale des ailes estivales, cet espace est en relation directe avec le bâdgir. Démuni de portes, le tâlâr ressemble la plupart du temps à une terrasse. Au bas des bâdgirs, on retrouve également en général un bassin d’eau construit dans une pièce rattachée au tâlâr.
Il arrive qu’un espace médiateur entre en jeu. Cela peut être la Chambre des bâdgirs, structure dont on voit l’exemple dans la maison des Lâri, qui abrite aujourd’hui l’Organisation du patrimoine culturel, de l’artisanat et du tourisme à Yazd. Les bâdgirs sont aussi liés au sous-sol. D’une profondeur qui peut atteindre de 3,5 à 5,5 mètres, la cave se rattache à la cour par une petite ouverture, d’où l’étroitesse de la sortie du flux d’air. Das les cas où un bassin d’eau se trouve dans le sous-sol, le flux du vent forme un angle droit et produit, après avoir touché les murs du sous-sol, un vortex qui, en tourbillonnant au-dessus du bassin, favorise une vaporisation plus intense et efficace [4]. Cet effet est accentué par un autre élément architectural, à savoir le kiosque. Il n’y a jamais de bassin d’eau dans le tâlâr. Dans les maisons de grande taille, de nombreuses pièces et caves sont construites dans le sous-sol. La salle du bassin (hozkhâneh) constitue un autre espace en rapport avec les bâdgirs. On peut en voir l’exemple avec la maison de ‘Arab-e Kermâni.
Les bâdgirs sont composés de différentes parties dont certaines revêtissent un aspect esthétique et d’autres jouent un rôle fondamental dans le fonctionnement de ces rafraîchisseurs. Le canal principal des bâdgirs est un conduit rectangulaire construit d’adobe, de briques, de mortier et de boue, dont l’extérieur est couvert de bauge et l’intérieur de plâtre. Les piliers en bois de mûrier s’installent à l’intérieur du canal, soutenant la structure principale de celui-ci. D’autres composantes essentielles d’un bâdgir sont l’"étagère", la "tige", les "cloisons principales et secondaires", et les "orifices ouverts et fermés". L’étagère constitue leur partie droite, comprenant les conduits faisant passer le flux d’air. La tige forme une partie du tronc, situé entre étagère et toit. Construites en adobe et en brique, les cloisons divisent le canal en conduits. Rallongées jusqu’à la longueur des murs extérieurs, les cloisons secondaires n’avancent pas jusqu’au centre de la tour. Depuis la façade des bâdgirs, ces cloisons ressemblent aux lames du canal d’un rafraîchisseur. Les cloisons intérieures ont des formes de ‘’X’’, ‘’K’’, ‘’I’’, ‘’H’’, et ‘’+’’. Marquée par les orifices ouverts sur la largeur du bâdgir, les cloisons perpendiculaires sous forme de ‘’+’’ sont les plus courantes à Yazd. Tout espace situé entre deux cloisons (soit principale ou secondaire) s’appelle l’orifice. Celui-ci sera appelé l’‘’orifice ouvert’’, s’il permet au flux d’air de passer, sinon on l’appellera l’"orifice fermé’’. La profondeur des orifices situés sur la longueur de cette structure est la moitié de la profondeur de ceux qui se trouvent sur la largeur. La profondeur de ceux-ci varie selon l’altitude du bâdgir, le nombre et la forme des cloisons, et mesure de 1/3 à 1/6 de la profondeur longitudinale. (Figure 6)
Selon leur plan, il existe quatre types de bâdgirs, à savoir les bâdgirs simples, sans aucun kiosque, ni aucune connexion avec le sous-sol ; les simples conduisant au sous-sol ; ceux avec un kiosque qui rafraîchissent l’air sur deux étages, c’est-à-dire au rez-de-chaussée et au sous-sol ; et enfin ceux qui, ayant un kiosque, continuent jusqu’au rez-de-chaussée. Révélant la créativité des architectes de Yazd, cette variété engendre une riche diversité sans pareille. Les bâdgirs en Iran se caractérisent le plus souvent par des plans circulaires, hexagonaux, octogonaux, carrés et rectangulaires. Aucun bâdgir triangulaire n’a été observé au Moyen-Orient.
Indissociables des maisons traditionnelles de la ville de Yazd, les bâdgirs ont progressivement perdu leur place dans les conceptions architecturales, se transformant ainsi en simples objets décoratifs. Les quartiers d’été, directement reliés aux bâdgirs, se sont vus changés en caves. Issu du développement de la technologie, ce fait s’accentue à cause de l’usage de plus en plus intensif des rafraîchisseurs évaporatifs [5]. Mais comparons le rendement des bâdgirs et celui d’un rafraîchisseur évaporatif en 15 heures du 16 septembre 2001 [6] :
Permettant un respect de la nature, la conception architecturale des bâdgirs attire de nouveau aujourd’hui l’attention de certains architectes contemporains, pour qui la valeur de l’architecture survit seulement dans le respect des lois naturelles.
Face au "tout climatiseur" électrique nocif pour la nature et la santé, une tendance de l’architecture actuelle, y compris en Iran, vise à faire baisser l’usage des systèmes rafraîchisseurs ou réchauffeurs, et cela en s’appuyant sur un mariage entre bâtiment et nature. Cette tendance s’enracine dans les faits tels que :
La restauration de l’emploi des bâdgirs, en tant que système de climatisation naturel, dans l’architecture des bâtiments, demande une analyse attentive de la direction du souffle du vent, de la pression de l’air et de sa densité, et du degré de radiation du soleil. Il arrive que les bâdgirs, exemples d’une technologie conforme à la nature, renaissent dans un autre contexte. Ils couronnent par exemple, depuis 1974, l’œuvre du grand peintre contemporain iranien Parviz Kalântari qui les met considérablement en œuvre dans une collection de peinture intitulée La bauge. De plus, la construction du Musée des arts contemporains en Iran s’inspire fortement de la structure des bâdgirs, ceux-ci lui offrant une grande originalité qui le distingue d’autres monuments iraniens contemporains.
De nombreux exemples des bâtiments recourant à un système de climatisation relié justement au toit sont aussi observés dans le monde entier. Communiquant avec les montagnes qui l’entourent, la grande tour de l’Ecole Tredal à SunndalsØra en Norvège ajoute un élément vertical introduit dans la partie horizontale du bâtiment. La tour verticale fonctionne en quelque sorte comme un bâdgir. La Construction de l’assemblée (The Kvarterhuset) à Kolding, au Danemark, propose une pile dont le toit a une aile qui emploie l’effet de Venturi afin d’augmenter la succion induite par le vent sur la sortie. La même stratégie a été appliquée dans la construction du siège social de GSW à Berlin. Représentant un autre exemple des systèmes de ventilation, la cheminée du bâtiment administratif de Deutsche Messe AG à Hanovre en Allemagne, distingue la silhouette de ce bâtiment. Les silhouettes du Bureau fiscal d’Enschede aux Pays-Bas, de la bibliothèque de Lanchester en Angleterre ou de l’Ecole Jaer à Nesodden, en Norvège se caractérisent également par des tours d’échappements favorisant une climatisation naturelle. C’est aussi le cas de la Construction de l’Environnement à Garston en Angleterre, et le Centre d’Inland Revenue à Nottingham, en Angleterre [8].
Représentatives des conséquences et des possibilités architecturales de la ventilation, de telles pratiques architecturales témoignent d’une large utilisation du concept de bâdgir depuis le passé jusqu’à nos jours. On cherche aujourd’hui à adapter le système des bâdgirs aux nouvelles méthodes de conception, aussi bien qu’aux nouveaux matériaux afin d’en tirer le meilleur résultat dans le cadre d’une architecture durable.
Bibliographie
Baharbin, Behrang, Using the concept of Badgir (wind tower) in modern sustainable architecture, in 10th European Academy of Design Conference – Crafting the Future.
Djamshidi, Mehrân ; Djamshidi Mojdeh ; Hedâyati, Râmin, Osul-e me’mâri-ye pâydâr-e Irân nahofte dar me’mâri-ye kavir (Les principes de l’architecture durable persane cachés dans l’architecture du désert), sur Archives de Sid.
Irâni, Houtan, Me’mâri-ye pâdyâr-e Kavir, diruz va emruz, (Architecture durable du désert, hier et aujourd’hui), sur Archives de Sid.
Khalili Âzâd, Narguesse Sâdât, Naghsh-e Bâdgir dar khânehâ-ye Yazd (Le rôle des bâdgirs dans les maisons de Yazd), 3e Congrès international de la durabilité en architecture et génie urbain, Mars 2017.
Mahmoudi, Mahnâz ; Pourmousâ, Mahboubeh ; « Potântielsandji-e enerji-ye bâd va naghsh-e bonyâdin-e ân dar tahviy-ye matbu’ va zodudan-e rotubat, nemune-ye moredi : shahrestân-e Rasht, mantaghe-ye Golsâr » (La potentiométrie de l’énergie éolienne et son rôle fondamental dans la climatisation et la suppression de l’humidité, exemple de la ville de Rasht, région de Golsâr), in Armânshahr, N° 4, Printemps et été 2010, pp. 147-159.
Mahmoudi, Mahnâz ; Mofidi, Madjid, « Tahlili bar gouneh shenâsi-ye me’mâri-ye bâdgir’hâ-ye Yazd va Yâftan-e gouneh-ye behineh-ye kârkardi » (Analyse de la typologie de l’architecture des bâdgirs de Yazd pour un type fonctionnel optimal), in Honar’hâ-ye Zibâ-Me’mâri va shahrsâzi, N° 36, Hiver 2008, 2009, pp. 27-36.
Pourahmadi, Mahboubeh ; Ayatollâhi, Seyyed Mohammad Hossein, « Râhkâr’hâ-ye bâz-kâr-âyi-ye anvâ’e bâdgir’hâ-ye Yazd bar asâs-e râbete-ye fazâyi bâ bakhsh-e tâbestân neshin » (Les moyens de performance ouverte de différents bâdgirs de Yazd selon la relation spatiale avec les quartiers d’été), in Shahr va mé’mâri-e boumi, N°1, Hiver 2011, pp. 5-16.
Samiee, Amir ; Khodâ Bakhshi, Sahar ; Forutan, Manoutchehr, « Motâle’e-ye tatbighi-ye bâznamâyi-ye fazâ-ye me’mâri-ye sonnati dar âsâr-e naghâshi va me’mâri-ye mo’âser-e Irân, némune-ye morédi : âsâr-e naghâshi-ye Parviz Kalântari va âsâr-e me’mâri-ye Seyyed Hâdi Mirmirân » (Etude comparée de la représentation de l’espace architectural traditionnel dans les œuvres picturales et architecturales contemporaines persanes, exemple des œuvres picturales de Parviz Kalântari et des œuvres architecturales de Seyyed Hâdi Mirmirân), in Armânshahr, N° 17, Automne-Hiver 2016, 2017, pp. 63-78.
[1] Djamshidi, Mehrân ; Djamshidi Mojdeh ; Hedâyati, Râmin, Osoul-e me’mâri-ye pâydâr-e Irân nahofteh dar me’mâri-ye kavir (Les principes de l’architecture durable persane cachés dans l’architecture du désert), sur Archives de Sid.
[2] Mahmoudi, Mahnâz ; Pourmousâ, Mahboubeh ; « Potântielsandji-e enerji-ye bâd va naghsh-e bonyâdin-e ân dar tahvieh-ye matbou’ va zodudan-e rotoubat, nemoune-ye moredi : shahrestân-e Rasht, mantagheh-ye Golsâr » (La potentiométrie de l’énergie éolienne et son rôle fondamental dans la climatisation et la suppression de l’humidité, exemple de la ville de Rasht, région de Golsâr), in Armânshahr, N° 4, Printemps et été 2010, pp. 147-159 : 148.
[3] Mahmoudi, Mahnâz ; Mofidi, Madjid, « Tahlili bar gouneh shenâsi-ye me’mâri-ye bâdgir’hâ-ye Yazd va Yâftan-e gouneh-ye behineh-ye kârkardi » (Analyse de la typologie de l’architecture des bâdgirs de Yazd pour un type fonctionnel optimal), in Honar’hâ-ye Zibâ-Me’mâri va shahrsâzi, N° 36, Hiver 2008,2009, pp. 27-36 : 34.
[4] Mahmoudi, Mahnâz ; Mofidi, Madjid, op. cit., p. 35.
[5] Pourahmadi, Mahboubeh ; Ayatollâhi, Seyyed Mohammad Hossein, « Râhkârhâ-ye bâzkâr-âyi-ye anvâ’e bâdgirhâ-ye Yazd bar asâs-e râbeteh-ye fazâyi bâ bakhsh-e tâbestân neshin » (Les moyens de performance ouverte de différents bâdgirs de Yazd selon la relation spatiale avec les quartiers d’été), in Shahr va me’mâri-e boumi, N°1, Hiver 2011, 2012, pp. 5-16 : 5.
[6] Khalili Âzâd, Nargues Sâdât, Naghsh-e Bâdgir dar khânehâ-ye Yazd (Le rôle des bâdgirs dans les maisons de Yazd), 3e Congrès international de la durabilité en architecture et génie urbain, Mars 2017.
[7] Mahmoudi, Mahnâz ; Pourmousâ, Mahboubeh, op. Cit., p. 149.
[8] Baharbin, Behrang, Using the concept of Badgir (wind tower) in modern sustainable architecture, in 10th European Academy of Design Conference – Crafting the Future.