N° 147, février 2018

Je suis méchante*


Faribâ Vafi
Traduit par

Zahra Hadjibâbâï


« Tu es une très jolie fille. »

Je dis cela à ma fille âgée de quatre ans. Elle gonfle les joues et s’approche de moi de façon à ce que mes doigts restent sur ses cheveux.

« Pourquoi ? »

Ma fille me demande mille fois par jour : « Pourquoi ? » et moi, qui ai fait tout ce que j’avais à faire, moi qui ai déjeuné, qui n’ai rien d’autre à faire en ce moment, aucun problème, je lui dis :

« Et bien parce que ton nez est aussi petit qu’une noisette. »

« Pourquoi une noisette ? »

Je ne compare à rien ses yeux et ses oreilles, pour qu’elle arrête de me poser des questions.

« Je suis intelligente ? »

Elle veut que je réponde à la place de sa grand-mère :

« Oui. »

« Pourquoi ? »

« Lève-toi et va chercher le coupe-ongles dans le tiroir pour que je te coupe les ongles. », lui dis-je.

Elle s’est levée, mais elle n’est pas partie.

« Mais qu’est-ce que j’ai fait pour que tu dises que je suis intelligente ? »

Je ferme les yeux et ordonne :

« Le coupe-ongles ! »

Ma fille est habituée aux paroles douces comme au lait et à son œuf quotidien.

Il arrive que je lui dise ces mots le soir, au milieu d’un jeu ou lors de sa toilette.

Si un jour j’oublie de les lui dire, elle vient s’asseoir près de moi comme une caille et regarde fixement ma bouche et mes lèvres.

Certains jours, je suis nerveuse. Je n’ai pas la tête à ce que je fais. J’apporte rapidement le repas aux enfants pour m’isoler dans un coin, loin de tous.

Dans ces moments, le moindre bruit me dérange. Je perds facilement mon attention et les rides entre mes sourcils deviennent plus profondes que jamais.

Ma fille ne s’est pas encore endormie. Je lui demande d’aller au lit. Elle va au lit sans faire de bruit.

Elle s’est habituée à ce que j’étende la couverture sur elle, de façon à ce que ses cheveux volent dans le vent de l’édredon.

J’étends la couverture sur elle et je la laisse.

J’éteins la lampe. Le téléviseur est allumé. J’appuie la tête contre l’oreiller et j’oublie tout. Du temps passe. Le film est fini. Je zappe sans but. Ma fille s’approche doucement de moi à quatre pattes et reste dans la même position. Je la regarde. La lumière de télévision éclaire une partie de son visage. Sa lèvre inférieure pend. Elle bredouille :

« Je suis un bœuf, un âne. Je suis méchante, sans honneur… » Le dernier mot, elle l’a appris aujourd’hui. Elle répète de nouveau : « Je suis un âne, méchante, méchante, un âne… »

Je regarde son visage rond, ses joues lisses et les larmes coulées de ses yeux. Je plie ses doigts un par un.

« Tu n’es pas méchante, tu n’es pas âne, tu n’es pas un bourricot… »

Mais tous ces mots n’ont aucune importance. La magie était dans d’autres mots. Ma fille ne cesse de regarder ma bouche.

« Je t’aime, beaucoup. »

A quatre pattes, de la même manière qu’elle est venue, elle repart vers son lit et s’endort tout de suite.

*Vafâ, Faribâ, « Man Badam » (Je suis méchante), nouvelle extraite du recueil Hattâ Vaghti Mikhandim (Même quand nous rions), Téhéran, éd. Markaz, 1999.


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