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La province de Zandjân, dotée d’une longue histoire, a été le berceau de nombreuses figures scientifiques et culturelles de l’Iran. La région montagneuse d’Abhar et plus précisément la zone de Hidadj, située à 90 km au sud-ouest de Zandjân (chef-lieu de la province) a été le lieu de naissance d’un philosophe de grande renommée qui a formé de nombreux grands philosophes iraniens contemporains : Mohammad Hakim Hidadji. Au XIe siècle de l’Hégire, Abhar était le centre du royaume des Alaouites [1]. Assiroddin Mofzel Abhari, astronome et mathématicien du XIIIe siècle est considéré comme une autre grande personnalité de la région qui, durant sa longue vie scientifique, a notamment collaboré avec Khâdjeh Nassiroddin Toussi [2] au sein de l’observatoire de Marâgheh. Nous présentons ici la vie et la pensée de Mohammad Hakim Hidadji, en tant qu’important érudit de la région.
Né en 1854 dans une famille de religieux de Hidadj, Mohammad Hidadji s’intéresse très tôt à la philosophie qu’il commence à apprendre auprès de Mollâ Mohammad. A 27 ans, il quitte son village pour Qazvin où il continue ses études auprès de Seyyed Ali Khoïni Qazvini [3]. Durant les huit années de sa résidence à Qazvin, Hakim Hidadji s’installe à l’école d’Hassan Khân et mène une vie d’une simplicité extrême. En 1889, il se rend à Téhéran et commence à enseigner la philosophie à l’école d’Abdollâh Khân située dans le Bazar des étoffes (Bâzâr-e bazâzân). Il y enseigne la jurisprudence et les principes de la religion (feqh va ossoul). Il a en outre une grande maîtrise des mathématiques, de l’astronomie et de la cosmographie. Durant cette période, il a formé de nombreux scientifiques du pays, le plus important étant Mirza Ebrâhim Hakimi Zandjâni, surnommé Mirzâ Ebrâhim Riâzi, philosophie et mathématicien. Il décéda en 1932 et fut enterré à Zandjân.
Hakim Hidadji a été fortement influencé par la pensée de son maître Hakim Mirza Abolhassan Djelveh Zavâreh qui, à l’époque, passait les dernières années de sa vie à enseigner la philosophie à l’école Dâr-o-Shafâ de Téhéran. Après la mort de ce maître, Hakim Hidadji se rend à Najaf où il reçoit une formation complémentaire dans le domaine de la jurisprudence et de la théologie. De retour à Téhéran, il enseigne la philosophie mais aussi les Asfâr de Mollâ Sadra, ainsi que le Shefâ et les Eshârât d’Avicenne. Il devient à son tour le maître de plusieurs philosophes, en s’installant à l’école Monirieh. Fondée par Monir-ol-Saltaneh, la femme de Nâsseredin Shâh Qâdjâr, cette école se trouve juste à côté de l’Emâmzâdeh Nâsser, tombeau de l’un des descendants de l’Imâm Sajjâd. A l’instar de son maître Mirzâ Abolhassan Djelveh, Hakim Hidadji a eu l’audace de faire une étude critique de certains grands ouvrages philosophiques. C’est le cas des Asfâr de Mollâ Sadrâ qu’il a enseignés jusqu’à la fin de sa vie.
Ses disciples les plus connus sont Mirza Ahmad Ashtiâni (1845-1935), philosophe chiite qui a compilé plus de 60 livres dans divers champs y compris la jurisprudence, les principes de la religion, la théologie, le mysticisme et la logique ; Sheikh Mohammad-Taghi Amoli (1887-1971) grand philosophe qui, après avoir terminé ses études théologiques à Najaf, a enseigné la philosophie au Séminaire religieux de Téhéran ; Abolhassan Sha’râni (1902-1973), connu sous le nom d’Allâmeh Sha’râni, qui avait une grande maîtrise de la théologie, de l’astronomie, des mathématiques et de la littérature, et a traduit en persan L’Astronomie populaire (1880) de Camille Flammarion [4] afin de l’enseigner à ses étudiants ; et enfin Mohammad-Hassan Shari’at Sangladhji (1893-1943). Comparé à Luther et Calvin par ses partisans, il était considéré comme un théologien réformateur et moderniste.
Hakim Hidadji a consacré sa vie à étudier des ouvrages philosophiques et mystiques. Erudit inlassable, il a rajouté des annotations et annexes à certains grands ouvrages philosophiques, et a lui-même compilé plusieurs livres et traités aux thématiques mystiques et philosophiques dont les plus importants sont les Annotations faites à Manzoumeh-ye Sabzevâri (Les poèmes de Sabzevâri), La Logique et la Sagesse (Mantegh va Hekmat), et le Traité de Dokhânieh (Ressâleh-ye dokhânieh). Il a aussi un recueil poétique intitulé Kashkoulnâmeh [5]. Cet ouvrage comprend tous ses poèmes composés à partir de son adolescence. Sa poésie est notamment inspirée par des notions philosophiques et théologiques. Selon lui, la poésie est un moyen efficace pour faire passer au lecteur les idées et les opinions personnelles du poète ; ainsi, ses poèmes contiennent essentiellement ses propres réflexions philosophiques. La priorité donnée au contenu fait que sa poésie est finalement assez pauvre du point de vue formel, et donc esthétique. En 2008, Hossein Mohammadzâdeh Seddigh, professeur et chercheur de Tabriz, a publié le Recueil poétique des poèmes en turc de Hakim Hidadji6. Le livre comporte plus de 50 poèmes sous diverses formes poétiques dont des ghassideh (ode), ghazal (poème lyrique) et masnavi (poème composé de distiques à rimes plates).
En guise de conclusion, citons quelques vers de son poème qui figure dans la préface de son Kashkoulnâmeh. Il y donne une présentation singulière du « livre » qu’il considère comme son compagnon :
Moi, j’ai choisi un compagnon pour moi-même
Dont je ne peux supporter l’absence
Il est gentil, délicat, instructif et sage
Ses discours sont justes
Il parle et il chante, bien qu’il soit muet
La production n’arrive pas en bavardant
Il ne fume pas, il ne boit pas, il ne mange pas
Il n’a besoin ni de tapis ni de coussin ni de boisson
Ce cher ami que je viens de décrire
Tout le monde le sait, n’est que le « Livre »
Source :
- Sobouti, Houshang, Târikh-e Zandjân (Histoire de Zandjân), Organisation de la culture et de l’orientation islamiques, Zandjân, 2011.
[1] Membres d’une branche du chiisme qui ont vécu notamment en Syrie et en Turquie. Les Alaouites ont régné également dans le Tabarestân - région correspondant aux actuelles provinces iraniennes de Mazandarân, Guilân et Golestân -, entre les années 864 et 928.
[2] Philosophe, homme politique, astronome, mathématicien et théologien iranien, qui construisit l’observatoire de Marâgheh. Il décéda en 672 à Bagdad.
[3] Erudit de renom qui est surtout célèbre pour ses annotations en marge du livre du Mirzây-e Qomi, Ghavânin-ol- Ossoul.
[4] Kashkoul est un mot persan ; il s’agit d’un vase pour boire fait d’une coque de noix de coco ou de métal que les derviches portaient attaché à leur ceinture par une chaîne. (Dictionnaire Gilbert Lazard, p. 336).
[5] Divân-e ash’âr-e torki-e Mollâ Mohammad Hidadji, Editions Pinâr, Tabriz, 2008.