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Au fil des siècles, le mois de Ramadan est devenu un élément à part entière de la culture iranienne, avec ses rites et pratiques spécifiques. Ainsi, par le passé, afin d’accueillir le Ramadan, les Téhéranais, un bol d’eau et un miroir à la main, montaient sur le toit pour voir de leurs yeux la lune nouvelle, et annonciatrice du Ramadan. Aujourd’hui encore, pour beaucoup, c’est l’un des rituels précédant le mois saint, dont les cérémonies commencent dès le mois de Sha’bân. Étroitement liés aux situations ethnique, sociale et économique diverses du pays selon les régions, ces rites s’inscrivent aujourd’hui dans l’héritage culturel iranien. Les femmes ont toujours joué, aussi bien dans le passé qu’aujourd’hui, un rôle primordial dans l’accomplissement de ces cérémonies.
Durant les derniers jours du mois de Sha’bân, les habitants des différentes régions iraniennes aménagent leur maison et leur quartier afin d’accueillir le mois de Ramadan. Puis, les mosquées et les hosseiniyeh où se dérouleront les différentes cérémonies du mois de Ramadan sont rafraîchies. A Mehrestân, ville du Sistan-et-Baloutchistan, cette activité est menée par les femmes. Chez les Turkmènes également, ce sont les femmes qui aménagement les lieux, en commençant une semaine avant le Ramadan. Le dernier vendredi de Sha’bân est réservé au ménage de la mosquée. Parfois, elles font don à la mosquée d’un tapis de prière qui s’appelle namâz liq.
Jusqu’à il y a une vingtaine d’années, l’arrivée du Ramadan était l’occasion pour les Téhéranaises de faire de grandes courses et de préparer des plats spécifiques. Si la coutume s’est perdue aujourd’hui dans la capitale, à Ardebil, aujourd’hui encore, les femmes accueillent le Ramadan en préparant de la confiture de roses. Dans le Fârs, elles préparent du fâloudeh, une pâtisserie à base d’amidon de riz et d’eau de rose. Celles de Shirâz préparent quelques jours avant l’arrivée du mois sacré, différents types de tourchiya, de distillats, d’épices et de condiments. A Kâzeroun, dans le Fârs, les femmes préparent encore parfois une sorte de pain appelé tanak, qu’elles conservent dans un keretchdân, vaisselle cylindrique dont la partie supérieure est tissée en branches de saule ou d’amandier sauvage.
La préparation des repas qui ouvrent et referment le jeûne, c’est-à-dire le sahari [1] et l’iftâr
[2] est un autre rite accompli par les femmes iraniennes. Dans le passé, à l’aube, avant le commencement du jeûne, on jouait à Bojnourd trois airs différents de tambour, dont le premier, titré ’Qara Khâtun toplu pishar (La Dame prépare le repas) était destiné à réveiller les maîtresses de maison. Le deuxième, à savoir Qara khâtun fâzânâ dishar (La Dame sert le repas) était joué pour réveiller les autres membres de la famille. Dans le Lorestân, une partie de ce repas est offert aux voisins ; ce rite est appelé dans le langage local le Kâssem sâ.
De nombreuses recettes sont spécifiquement liées aux rites du Ramadan, ce qui donne aux mets de ce mois une saveur particulière. Préparé à base de raisin, le qâyqânâq est une pâtisserie traditionnelle de l’Azerbaïdjan Oriental, concoctée par les femmes et consommée pour rompre le jeûne. Très sucré, il augmente la glycémie. Les femmes de Khouzestân sont également connues pour leurs pâtisseries du Ramadan telles que le leguimâti, le lemâghut, le sh’eriyeh, le ranguinak ou le masghati, etc. pendant le mois de Ramadan. Autre choix pour rompre le jeûne, le pakora est l’une des spécialités culinaires de Sistân et Baloutchistân que les femmes baloutches préparent de diverses façons. Il y a entre autres le pakora à la pomme de terre, le pakora à la Zurich, le pakora à la Jaipur ou le pakora aux épinards, etc. A Yazd, le chouli, sorte de potage traditionnel, est le repas le plus courant, auquel s’adjoignent parfois du halva au riz, du âsh-reshteheh, du sholezard et même parfois le fâloudeh de Yazd. Dans le passé, les femmes de Kermân préparaient chaque après-midi quelques miches de pain. Cette tradition est encore observée dans la province Markazi où la majorité des maîtresses de maison, en zone rurale ou urbaine, préparent au four le pain traditionnel fatir, qui sera consommé pour la rupture du jeûne.
Dans la quasi-totalité du pays, la récitation intégrale du Coran fait partie des pratiques du Ramadan. A Yazd, comme dans de nombreuses autres régions, cette récitation se fait en groupe. Ayant quotidiennement lieu chez l’une des membres du groupe, les séances durent jusqu’au dernier jour du mois. Chaque jour, un juz’ (partie) du Coran est récité. Les tours de récitation sont choisis à l’avance et les femmes de Yazd croient que celle qui récitera la 112e sourate du Coran [3] mènera pour l’année une vie pleine de bonheur et de prospérité. A Qom, les séances de récitation coranique sont aussi destinées aux morts.
Les sunnites de Mehrestân font une prière de vingt séquences (rak’ah) qui s’appelle le tarâwih. Prière menée pendant le Ramadan, le tarâwih est accompli par les femmes baloutches dans les mosquées de la ville. De fait, celles-ci ne se rendent à la mosquée que pendant le mois de Ramadan, et cela, afin de faire cette prière spécifique.
A Shirâz, les femmes sont les acteurs principaux d’un rite intitulé djom’eh vedâ’, c’est-à-dire ’’le vendredi d’adieu’’. Dès les premières heures du matin du dernier vendredi du Ramadan, elles partent, avec leurs vœux et leurs désirs, dans les mosquées de la ville pour prononcer la Prière des Quarante clés qu’elles attribuent à Fatima Zahra.
Autrefois, à Téhéran, les gens laissaient leurs portes ouvertes au tout-venant au moment de la rupture du jeûne et quiconque était libre d’entrer et de partager leur iftâr. A ce moment-là, les femmes se rendaient ainsi parfois chez leurs voisins en vue d’accomplir un rite destiné à faire un vœu. Pour ce, les femmes lavaient toute la vaisselle de l’iftâr en s’installant dans les jardins, partie essentielle de l’architecture traditionnelle persane. D’une manière similaire, les femmes d’Azerbaïdjan espèrent voir leurs vœux exaucés grâce à l’invocation intitulée « Les Quarante prières ». Les femmes de Hamedân distribuent pour la même raison des assortiments de fruits secs, nommés âdjil-e moshkel goshâ (noix qui résorbent les problèmes) avant la rupture du jeûne. C’est dans ce même but que la veille du 15e jour du mois de Ramadan, date de naissance du deuxième Imâm chiite, l’Imâm Hassan, les femmes du Mâzândarân offrent à la mosquée de leur quartier du sucre carré, du thé, des dattes et du charbon. Elles distribuent aussi parmi les personnes en état de jeûne différentes spécialités locales, y compris toutes sortes de halva, d’âsh et des pâtisseries comme entrées, ainsi que des repas à base de riz comme plat principal. A Sâri, les habitantes ont coutume de se rendre dans les prisons pour faire des dons aux personnes incarcérées.
Selon certains écrits, Ibn Muljam, l’assassin kharijite de l’Imâm Ali, fut exécuté au 27e jour du mois de Ramadan. C’est la veille de ce jour que se rassemblant chez l’une des participantes les femmes d’Ardabil pour organiser une fête et partager leur joie à l’annonce de la mort d’Ibn Muljam. La même cérémonie peut être observée dans le Khorâssan méridional. Lors de cette cérémonie, les femmes et les jeunes filles de cette province se voilent le visage et rendent visite à leurs voisins avec un panier ou un plateau dans lequel se trouve un miroir et une louche pour demander un cadeau. Dans la province du Kurdistân, la tradition veut que les femmes préparent un pain régional et en distribuent la veille du 27e jour du Ramadan, appelé dans la culture kurde koleyreh.
A Yazd, les femmes assistent à des cérémonies appelées rozeh-ye Ghanbar. Ayant lieu du 19 au 27 Ramadan, elles commémorent le martyre de l’Imâm Ali. Rassemblées dans les maisons plutôt situées dans le Vieux Yazd, les femmes accomplissent durant ces cérémonies des activités caritatives.
Barakat kisa si ou la « bourse de bénédiction » est un petit sac à monnaie cousu par les femmes des provinces de l’Azerbaïdjan de l’Est et de l’Ouest au mois de Ramadan. La confection de cette bourse se fait durant le dernier vendredi du Ramadan durant lequel, dans différentes régions de l’Azerbaïdjan, les femmes et les jeunes filles se rassemblent pour coudre cette bourse pour leur famille. Après l’avoir cousue, une petite somme d’argent est déposée dans la bourse avec des prières. La bourse de bénédiction est précieusement gardée jusqu’à l’année suivante. Dans la culture régionale de l’Azerbaïdjan, cette bourse est le symbole de la grâce divine et les femmes croient qu’elle les préservera de la pauvreté.
Pour accomplir ce rituel, à Zanjân, les mères vont à la mosquée au moment des prières du midi et de l’après-midi, et la confection se fait entre les deux prières. Le tissu de la bourse doit être neuf et précieux. Le fil utilisé pour la couture n’est pas coupé avec des ciseaux mais à la main. Le tissu est également prédécoupé. Une coutume similaire existe aussi à Hamedân où les femmes accomplissent cette petite cérémonie le 27e jour du Ramadan. Les femmes de Hamedân estiment que Dieu accordera une grâce infinie à celui ou celle qui possède la bourse de bénédiction.
Kelidzani ou « frapper aux portes » désigne un rite pratiqué par les femmes et les jeunes filles de la province de Kermân. La personne qui fait le kelidzani annonce préalablement l’objectif charitable qui la pousse à mener cette cérémonie et la manière dont les dons qu’elle récoltera seront utilisés. Elle se voile ensuite le visage pour ne pas être reconnue et frappe aux portes. Soit le ou la propriétaire de la maison la reçoit en disant : « Apporte une lampe ! Apporte du sucre ! Apporte de la pâtisserie ! » pour annoncer sa décision d’aider, soit il(elle) jette de l’eau sur elle, pour déclarer son refus. Ce rituel se pratique plutôt lors de la Nuit du Destin.
D’après une tradition ancienne, les jeunes hommes de Hamedân apportent quelques miches de pain traditionnel, du riz, du poulet ou du poisson, des pommes rouges, de la pâtisserie, de l’angosht pitch
[4] ou des fruits de saison comme cadeaux de rupture de jeûne à leur fiancée. C’est après ce rite que la famille de la fiancée invitera un jour la famille du fiancé pour prendre l’iftâr. Dans la province de Fârs également, les familles dont la fille s’est récemment mariée envoient chez elle des petites portions de nourriture appelées rouz vâloun, accompagnées de bouquets de fleurs.
Au soir du dernier vendredi du mois de Ramadan, les femmes azerbaïdjanaises qui n’ont pas d’enfant vont à la mosquée de leur quartier et y font une prière en deux séquences, demandant ainsi l’assistance divine pour concevoir. Après quoi, elles sortent de la mosquée et se rendent chez sept femmes dont le prénom est Fatima pour leur demander un morceau de tissu. Avec les sept pièces de tissus ainsi obtenus, elles cousent un vêtement d’enfant appelé ’’La robe de Fatima’’. Cette robe est censée leur permettre d’enfanter durant l’année qui vient.
Les femmes baloutches accueillent la fin du Ramadan et la fête de Fetr en cousant des vêtements. Ces vêtements pour femmes ou enfants sont ornés de broderies appelées souzandouzi. Les femmes baloutches préparent également le dernier soir du Ramadan des mixtures de henné destinées à être utilisées le lendemain, jour de la fête de Fetr. La cérémonie de la pose du henné s’appelle le hanâbandân. Ce rite est célébré aussi bien au moment de la fête de Fetr que lors de la fête du sacrifice (’id al-adhâ).
Cette riche participation des femmes à ces rites peut être observée dans presque toutes les régions iraniennes et s’enracine dans la longue histoire culturelle de ce pays. C’est dans ce contexte que chaque rite et tradition se veut un signe permettant de découvrir les croyances propres à une ethnie. Ainsi, bien que certains de ces rites soient accompagnés de superstitions, ils reflètent à merveille les vœux et les désirs d’un peuple et de ses communautés au fil des siècles.
[1] Le mot sahar signifie “aube” et sahari, sahar ou sahour se réfèrent au repas consommé avant l’aube et le commencement du jeûne.
[2] L’iftâr est le repas du soir avec lequel les musulmans rompent leur jeûne au coucher du soleil.
[3] Sourate Al-Ikhlas. Traduction libre : La pureté de la foi.
[4] Spécialité culinaire de la province de Hamedân, l’angosht pitch est un plat sucré à base de blanc d’œuf, de sucre, d’eau et d’eau de rose.