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Je pars
Je passe mon temps à partir
Je demande parfois mon chemin
Je choisis mon interlocuteur
En fonction de sa réserve
C’est là-bas après le cimetière
Dans la rue qui monte très fort
Vous verrez
Je file à l’allemande à l’italienne
Je suis projeté dans la ville-satellite
Avec des responsabilités de grand garçon
Ça a le goût de la pluie
Il est l’heure de voir passer les missiles balistiques
Et d’en espérer quelque chose
Ce n’est pas ce que j’ai voulu
À l’origine j’ai voulu
Quelque chose de juste
On est outrageusement libre
On est vertigineusement seul
Au moment de s’arrêter
Et demander son chemin
Tout dépend sur quel passant vous comptez
J’ai oublié
Je n’ai pas suivi les instructions
Plus par distraction que par orgueil
Je me suis retrouvé dans un parc douteux
Sur les hauteurs de la ville-satellite
Il y a là une troupe de garçons sauvages
Avec des yeux fatigués
Perçant leurs visages terreux
Des yeux endurants
Qui luisent comme des lames de rasoir
Un adolescent
Se détache de la petite famille
Peut-être 13 ou 14 ans
D’une beauté violente
Il parle une langue inconnue
Je veux dire
Une langue connue que de lui-même
Il ne parle pas
Nous ne parlons pas
Rien ne nous oblige à parler
Après tout
Pourquoi parler
La parole est confusion
La parole est mensonge
La parole est trahison
Pas de bruit
Pas de réponse
Pas d’attente
Aucune tentative sans réponse instantanée
Juste la violence du regard
Et l’harmonie des corps
La gestuelle sauvage
Comme un code reconnu
La pudeur et l’impudeur promises
Nous n’imitons personne
Nous sommes des animaux de l’avant-garde
De ces cas désespérés
Gênant et distrayant le système
Nous sommes des emmerdeurs
De mauvais éléments pour la tranquillité des cons
Nous sommes des prédateurs
J’ai froid je crois que c’est la faim
C’est peut-être elle qui nous rend comme ça
Durs et émotifs
Hier il me semble avoir mangé pour deux jours
Comme un prédateur en hiver
En prévision de cela
Une solitude telle que le geste anticipe la pensée
Je cherche les stratagèmes contre la faim
Je pense et j’interprète
En ces moments primitifs
Où l’eau a une saveur miraculeuse
Sur les hauteurs de la ville
Le parc en pente raide
Un enfant au visage dur
Entonne d’une voix déchirée
Un chant d’amour terrestre
Et la ville entière se tait
Pour l’écouter
La langue est belle
Puis la vie ordinaire reprend
Son inquiétude ordinaire
Son bruit ordinaire
J’ai attendu que la pluie se calme
Mais elle ne s’est jamais calmée
Abdelrahman le Nabatéen
Il pleut depuis cent-vingt jours
Et la lumière sera
Comme le premier orgasme adolescent
Un choc anarchique
De tranquillité
Ma veste a gardé l’odeur de la mer
Des embruns hivernaux de la Corniche
Cette odeur j’ai peur de la perdre
Car c’est ma seule consolation ici
Je retrouve la rue par laquelle je me suis enfui
Le petit Serbe et son sourire en coin
D’une blondeur criminelle
Ou est-ce le fils du boulanger Lorel
Ses traits félins et taches de rousseur
Comme une espèce rare dans la zone
Je m’approche mais je ne m’arrête pas
La noblesse est dans les yeux
La noblesse est dans les actes
Ne faut-il pas connaître la laideur du monde
Pour en apprécier la beauté ?
Ceci est une étape
Vers la vérité
Tout comme la pluie est une étape
Vers l’inconnu
Les choses ont changé
Depuis la dernière fois que je t’ai vu
Pluie d’été sur les trottoirs bruns de Montrouge
Je retrouve l’odeur de l’hélichryse
Sur la manche d’une veste
Son odeur m’émeut
Car elle n’est chargée d’aucun souvenir précis
Comme un bonheur passé ou futur qui m’échappe
Un calcul mental de longue haleine
Le hasard difficile
Je pleure peut-être
Je pleure peut-être le hasard
Rien n’a changé
Sauf les accessoires
J’ai retrouvé ma solitude là où je l’ai laissée
Les rues secrètes
Les arbres devenus adultes
Tout cela m’ennuie à présent
Quand la lumière apparaîtra
Nous serons comme des enfants dans les vagues
Nous nous féliciterons
De notre endurance
Nous n’hésiterons plus
Nous nous associerons
De révolte et de pudeur
Qu’es-tu devenu ?
Toi que personne ne comprenait
Qu’as-tu appris ?
De toi et du système ?
Paris est assiégée
Paris s’israélise
Elle vous trompe
Elle vous rend malade
Les ignorants
Par leur nombre
Piétineront les savants
La névrose
Sera érigée en modèle
Et l’on criminalisera
La bonne éducation
Mais nous serons certainement là
Des restes de poésie sauvage
Coincés entre les dents
Que nous leur soufflerons à la face
Comme un gaz mortel
Le démon sioniste
Terrassé par Saint Georges à dromadaire
Formez les alliances à l’Est
Moscou-Téhéran
Nous vous attendons
La véritable lutte des classes commence ici
Dans la cage d’escalier
Bourgeoisie traditionnelle contre nouveaux riches
Travailleurs contre parasites
Et nous autres bergers
Pour combien de temps encore
Nos montagnes nous protégeront-elles
De l’horreur consumériste ?
J’ai faim au point de ne plus avoir faim
On a voulu m’empoisonner
Mais mon corps s’est bien défendu
Fondamentalement
Nous sommes des pêcheurs-cueilleurs
Et le vérifions chaque jour
En nous rapprochant
Une mangue à partager
En deux
Je reconnais
Les reflets du Nil dans tes cheveux
Je ne t’ai jamais oublié
Machinalement je retourne au dernier endroit
Où il me semble avoir été heureux
C’est la règle
Je n’ai rien à porter
Rien que toi
Le chat errant
Je n’ai rien à anticiper
Je suis seul
Quoi qu’il arrive
On n’est jamais seul
On se sacrifie
Elle nous rend cyniques
La solitude
Elle nous rend
Et le cynisme est vital
Mon ami
Je me console
De ta beauté primitive
Tes yeux tyranniques
S’attendrissent peut-être un peu
Au contact des miens
Et la cicatrice sur ton visage
Te va si bien
Tu relèves délicatement les miennes
De ton index tremblant
Je m’en vais parce que
Tout est passager
Parce que je suis assez stupide
Pour me sacrifier
Au hasard des retrouvailles
Ça me fait comme
Une histoire vraie à raconter
Pour l’orgueil
Il faut se servir de tout
Je veux dire
Tout est récupérable
Tout est fonctionnel
On n’est jamais déçu
Avec un peu d’imagination
On n’est jamais déçu
Sur les hauteurs de la ville-satellite
Une faune surprenante
Ce n’est plus un parc
C’est une forêt
Je t’ai perdu de vue
Mais je sais que chacun garde en tête
La voix de l’autre
Et l’espoir tranquille de retrouvailles
Tout nous aura servi
Une saison passe
Les premières pluies d’été
Révèlent l’odeur des bas-côtés
L’odeur rare et stimulante des orties
On joue à la balle sous la pluie
On se reconnaît sous la pluie
On est seul sous la pluie
On ne craint plus la pluie
On se retrouve
À s’abriter sous un même arbre
Par le plus perçant des hasards
Et l’amitié naît
Quelque chose comme l’amitié
Une nécessité
Une connexion organique
Alors
Essayons à présent
De rester à portée de vue
L’un de l’autre
Maintenant que nous sommes
Là
Les pluies continues
Les pluies invisibles
Je ne connais cet endroit
Que sous la pluie
Elle nous a achevés
Elle nous a réunis
Sauvés
Tout s’allège
Se détend
La lumière naît
Et
Comme dans un film de Tarkovski
Le jeune fondeur de cloches
Qui fait tinter son œuvre pour la première fois
On pourrait pleurer de joie
La lumière avance
Se propage
On dirait
Qu’elle vient de là-bas
Du royaume de Nabatène
De toi
On dirait qu’elle vient de toi
Mon ami