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La fondation Maeght est une fondation pour l’art vivant, elle a ouvert ses portes en 1964, à Saint-Paul-de-Vence, un village provençal perché, entre Cannes et Nice, sur la Côte d’Azur, à deux pas de la mer Méditerranée. Cette fondation n’est pas une galerie, car elle n’a pas avant tout de vocation commerciale, tout comme elle n’est pas un musée, dont elle se distingue, car elle ne collectionne pas seulement des œuvres qu’elle classerait, restaurerait et exposerait, elle est avant tout un lieu de vie de l’art consacré à l’art moderne et contemporain. Il faut se rappeler qu’à l’aube des années soixante, l’art moderne qui n’a pas encore été subverti par cette appellation « art contemporain », qui n’a pas encore basculé dans des formes et idéologies nouvelles de l’art, se montre principalement dans quelques dizaines de galeries parisiennes et dans les salons d’art. Il est plutôt un art de l’objet : tableaux de formats modestes, sculptures de petites dimensions ; il faut dire qu’en cette période de l’après Seconde Guerre mondiale, à Paris, les galeries sont pour la plupart toutes petites, comme le sont beaucoup d’ateliers d’artistes. Lieu de vie que se veut la Fondation Maeght, cela suppose que les œuvres montrées ne sont point hors du temps, ne soient pas de simples mémoires d’une époque, ne soient pas non plus des œuvres répertoriées comme essentielles par une institution ; les œuvres, ici sont actives, à vivre, acquises par le collectionneur Aimé Maeght et son épouse Marguerite.
Œuvres actives et vivantes car réunies par ce couple d’amoureux de l’art autant qu’amis des artistes qui en sont les auteurs. Œuvres choisies autrement que pour en tirer profit commercialement, même si la galerie Maeght de Paris dont la Fondation est issue est un commerce, une des galeries qui découvrit et exposa une partie significative du meilleur de l’art de son époque. Cette galerie Maeght de Paris sut ainsi œuvrer avec les grands artistes de son époque, sut nouer des liens d’amitié profonde avec eux : Braque, Picasso, Chagall, Giacometti, Miro, Chillida… et tant d’autres. Au-delà d’un lieu d’exposition la Fondation est, et c’est en cela qu’elle innova, ce lieu où l’on montre et fait l’art, les arts visuels disons-nous aujourd’hui, ce lieu est un lieu qui accueillit beaucoup de formes d’art et ceux qui le font, ceux qui savent en parler et le médiatiser. Ainsi, au-delà des seuls arts visuels, les fameuses Nuits de la Fondation Maeght ont été un nombre incalculable de fois l’occasion d’accueillir la musique et le chant, la danse, la littérature et la poésie et les colloques sur l’art en des manifestations d’une exceptionnelle qualité où se produisirent les meilleurs artistes de ces disciplines, les meilleurs analystes de l’art en train de se faire, critiques d’art et vrais amoureux de l’art, collectionneurs ou simples passionnés par la création contemporaine.
La fondation est née d’une idée du couple Maeght, celle de donner naissance à un lieu différent où l’art pourrait échapper à son seul destin commercial ou muséal pour vivre autrement, accompagné des artistes. Ainsi naquit un projet de construction d’un lieu différent pour l’art. Beaucoup de lieux dédiés à l’art sont des bâtiments historiques où l’architecture n’est pas nécessairement accueillante à l’égard d’œuvres modernes et contemporaines. C’est plus tard que fleurirent musées et fondations dédiés à l’art vivant, construits pour lui, c’est-à-dire pour l’art en train de se faire, pour celui qui fait nécessairement débat car il bouleverse des ordres établis en matière de finalités et usages de l’art. En France, c’est avec la Régionalisation de 1981, sous le premier gouvernement Mitterrand et durant la fonction du ministre de la Culture, Jack Lang, que fleurirent et essaimèrent les Fonds Régionaux d’Art Contemporain, non pas comme musées mais comme lieux de vie, d’expérimentation, de rencontre des publics de tous âges, dont les publics scolaires, avec l’art, ses médiateurs et avec les artistes. Lors de l’inauguration de la Fondation Maeght, en 1964, le discours du ministre André Malraux, cet homme exceptionnel, écrivain et grand ami des arts, souligna la singularité de ce lieu dédié aux arts vivants. Les témoignages recueillis auprès des artistes eux-mêmes révélèrent ce qu’il y avait d’inaccoutumé dans la conception et la mission de cette fondation.
La Fondation est bâtie sur une butte, elle est l’œuvre de l’architecte Josep Lluis Sert, une œuvre exceptionnelle, notamment pour son époque mais également bien au-delà, puisque cinquante-cinq ans plus tard, elle reste ce lieu tout aussi exceptionnel. Œuvre d’architecture innovante et même davantage car en tant que telle, elle aurait pu n’être qu’un bel écrin offert aux œuvres de la collection Maeght. Le lieu, un ensemble de bâtiments qui proposent un parcours à la fois vertical et horizontal où le visiteur passe sans cesse de l’intérieur à l’extérieur, des salles aux terrasses, avec ces percées zénithales d’où tombe la lumière, ces ouvertures très variées permettant à la fois d’anticiper les espaces que l’on va traverser et de les voir à nouveau, sans oublier son architecture tricotée avec son environnement naturel, les bassins, et d’autres ouvertures encore, sur la garrigue et les pins, d’autres encore sur le ciel. La Fondation Maeght est un lieu de parcours fait de découvertes : grandes ou petites terrasses ouvertes, ce que permet le climat de la Côte d’Azur, vues sur la mer définitivement bleue, une déambulation heureuse faite d’allers et de retours, vers et sur les œuvres, mais aussi sur les espaces conçus par l’architecte, tous à échelle humaine. Architecture à la dimension humaine - humaniste peut-on dire - où le corps sert de mesure, où quelque soit la dimension des espaces, le visiteur connait une indéniable intimité, tant avec le bâti qu’avec la nature. Promenade et parcours de découvertes ou de redécouvertes (on y revient) ponctuées de haltes en la librairie qui montre tant d’ouvrages rares et tirés en petits nombres. La Fondation est un lieu de l’art absolument idéal, loin des grands musées, surtout ceux d’aujourd’hui dont la visite est épuisante, en des parcours sans fin, des collections simplement chronologiques et des hordes de visiteurs-touristes bien peu motivés, prisonniers de séjours clés en main harassants. Depuis des décennies, depuis cette date de l’ouverture de la Fondation, en 1964, peu de lieux consacrés aux arts offrent ce sentiment de bien-être, ce désir d’y flâner, ce plaisir de prendre son temps et d’admirer les œuvres : les sculptures de Giacometti, celles de Miro, les céramiques de Braque, les tableaux de Chagall, les dessins de Picasso, pour ne citer que des noms très connus. La collection est remarquable, et elle ne cesse d’évoluer, de s’enrichir, tout cela est un échantillon très significatif de la modernité de l’art du vingtième siècle.
Et puis beaucoup d’œuvres ont été commandées pour le site, ce qui témoigne d’une sorte de complicité et d’affinité entre l’architecture et les œuvres, différemment du rôle traditionnellement attribué aux arts de la peinture et de la sculpture dans les temps antérieurs. Il y a aujourd’hui une infinité de lieux consacrés à l’art vivant, friches industrielles devenues Centres d’Art Contemporain, fondations grandiloquentes et magnifiques en elles-mêmes où l’architecture s’expose de manière justifiée (ou non) en tant qu’œuvre elle-même : Fondation Louis Vuitton, Fondation Cartier, à Paris, par exemple, où sont montrées des œuvres plus conventionnelles qu’inventives, celles qui ont défrayé une chronique de l’art tel qu’il est reconnu par le pouvoir d’argent avant tout en raison de sa cote Internet. Ainsi avec l’immense richesse de ces fondations, l’art se jauge à sa valeur marchande, sans états d’âme, art médiatique à leur mesure, art en tant que produit conforme. La Fondation Maeght, quant à elle, semble échapper à l’économie contemporaine, elle est et reste ce lieu d’exception incomparable ou comparable à ces villas et palais princiers de la Renaissance Italienne dont le charme, les dimensions et la beauté procurent un véritable sentiment de bonheur, comme savent le faire autrement, par exemple, ces anciennes maisons d’Isfahan, la Rotonda de Palladio ou ces petits châteaux des terroirs de France.
Cette fondation Maeght fut une réussite exceptionnelle en terme de lieu dédié à l’art vivant et elle sut le rester, échappant à l’industrie culturelle publique ou privée dont l’offre n’a cessé de croitre depuis des décennies, où l’œuvre d’art, œuvre de l’esprit est devenue de différentes manières objet de consommation. La Fondation avec ses quarante-cinq ans d’âge reste ce trésor un peu caché où les visiteurs semblent le plus souvent être des initiés et amoureux de l’art. Ses activités ont persisté au fil du temps, avec cet accueil intime qu’elle offre tant par sa nature architecturale que par ses petites dimensions, mais aussi en raison de son implantation géographique.