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Ville d’Ouzbékistan, Boukhara a été très tôt un centre commercial et culturel important sur la route des échanges entre la Chine et le Moyen-Orient. Prise par les Arabes au VIIIe siècle, elle devint le principal foyer du rayonnement de l’islam en Asie centrale. Les Turcs prirent la ville en 999 et la conservèrent jusqu’au XIIe siècle, mais en furent chassés par les Kara-Khitaïs nomades. De la fin du XIIe siècle jusqu’en 1920, Boukhara resta sous l’autorité directe d’émirs musulmans. En 1220, la ville fut mise à sac et brûlée par Gengis Khân. Au XIVe siècle, elle fit partie de l’empire de Tamerlan. La cité déclina lorsque le commerce maritime entre l’Europe et l’Asie remplaça la traditionnelle route des caravanes. Au XVIe siècle, les émirs durent accepter l’autorité despotique des princes ouzbeks, mais ils conservèrent leur influence spirituelle. Boukhara devint, au XIXe siècle, l’enjeu de la rivalité anglo-russe en Asie centrale. Les troupes russes s’emparèrent de la ville en 1868 et forcèrent l’émir à signer un traité par lequel il se plaçait sous le protectorat du tsar. Lors de la Révolution de 1917, Boukhara, ainsi que d’autres villes et régions d’Asie centrale, essaya de se libérer de la domination russe, mais en 1920, la cité fut brutalement soumise par les communistes, qui déposèrent le dernier émir. Placée sous l’autorité de Tachkent, la ville est majoritairement peuplée de Tadjiks persanophones.
Pour connaître les origines des villes comme Samarcande et Boukhara, il faut sans doute remonter à l’Antiquité, à l’époque de l’établissement progressif de nombreuses oasis aux alentours de la rivière Zeravchan (Zarafchân, en persan) dans la région historique de la Sogdiane. La région de Boukhara est habitée depuis au moins cinq millénaires. D’après les recherches archéologiques, il est raisonnable de penser qu’au Ier millénaire avant notre ère, le développement des méthodes d’irrigation pour utiliser l’eau de la rivière Zaravchan permit à une population de peuples indo-européens sans cesse croissante d’étendre ses terres arables autour de l’oasis qui prit plus tard le nom de Boukhara. L’oasis de Boukhara existe au moins depuis trois mille ans.
L’Avesta, texte sacré du zoroastrisme, mentionne la Sogdiane et les « Sogdiens », sans qu’il y ait d’indices permettant de dater une période historique quelconque. En tout cas, cela remonte à une haute Antiquité et se réfère à une période où les Sogdiens nomades (les Scythes, en grec) sont devenus sédentaires. Le sogdien était une langue iranienne orientale.
Selon les traditions mazdéenne et zoroastrienne, la Sogdiane fut le deuxième « territoire glorieux » créé par Ahura Mazda (Seigneur Sagesse), après l’Airyana Waejah (territoire aryen), terre légendaire du peuple aryen (indo-iranien), quelque part entre le Caucase et l’Asie du Sud.
Selon des documents historiques, la Sogdiane fut une région historique recouvrant en partie l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et l’Afghanistan, et englobant les villes de Samarcande et Boukhara ainsi que la vallée irriguée de Zeravchan. La Sogdiane fut la 18e satrapie de l’Empire perse des Achéménides (559-330 av. J.-C.), selon l’inscription de Behistun (province iranienne de Kermânshâh) datant de l’époque de Darius Ier le Grand (empereur de 521 à 486 av. J.-C.).
Après la chute de l’Empire achéménide (330 av. J. -C.), Alexandre conquit la région et y fonda une nouvelle satrapie en 327 av. J.-C. en unissant la Sogdiane avec la Bactriane voisine. Cette période hellénistique dura pendant une centaine d’années. Pendant les périodes arsacide et sassanide, Boukhara et Samarcande firent partie du Grand Khorâssân et de la Transoxiane, régions historiques correspondant à l’Afghanistan actuel, et incluant l’est de l’Iran, le Tadjikistan, le Turkménistan, l’Ouzbékistan et même le Kirghizistan. Certaines villes principales de l’histoire de l’Iran se situaient dans le vieux Khorâssân : Hérat, Balkh et Ghazni (Afghanistan), Neyshâbour (Iran), Merv et Sanjân (Turkménistan), Samarcande et Boukharâ (Ouzbékistan), etc.
La Transoxiane est l’ancien nom d’une grande région historique de l’Asie centrale, située au nord du fleuve Oxus (aujourd’hui Amou-Daria). Au moment des conquêtes arabes en Transoxiane, la ville de Boukhara fut gouvernée par les Bokhâr Khodât (Seigneurs de Boukhara), une dynastie locale sogdienne de religion zoroastrienne. La première apparition des armées arabes en Transoxiane eut lieu quand les troupes des Omeyyades franchirent l’Oxus et se présentèrent à Boukhara en 673 de notre ère.
Boukhara était alors dirigée par une femme, surnommée « Reine de Boukhara » (Khâtoun-e Bokharâ). Pour défendre la ville face aux armées omeyyades, la reine dut faire appel aux tribus turques voisines. Elle sut retarder les attaques des Arabes pendant deux semaines et la guerre éclata quand les renforts turcs arrivèrent. Les Omeyyades réussirent à envahir une partie du royaume des Boukhar Khoda, mais la ville leur résista. La reine réussit par des moyens diplomatiques à conclure un accord avec les Arabes qui lui demandèrent un tribut d’un million de dirhams et 4000 esclaves. Khâtoun accepta ces conditions et régna avec son fils sur Boukhara pendant près de trente ans jusqu’en 706. D’après les historiens, pendant cette période, les Omeyyades dominèrent la région, mais il est clair qu’il n’y eut aucun contrôle arabe sur la ville sogdienne de Boukhara qui resta zoroastrienne. Dans la culture actuelle de Boukhara, Khâtoun est synonyme de sagesse et de bonne gouvernance.
Ce fut en 706 que les Arabes finirent par briser la résistance des Sogdiens et de leurs alliés turcs, et réussirent à envahir enfin la ville de Boukhara. Les Omeyyades imposèrent à la ville un tribut de 300 000 dirhams. Ils exigèrent l’implantation d’une garnison arabe et obligèrent chaque propriétaire de maison à partager sa résidence avec des Arabes. Dans les années 712-713, les Arabes fondèrent à l’intérieur de la citadelle de Boukhara la première mosquée de la ville, sur le site d’un ancien temple dont on ne sait pas s’il était zoroastrien ou bouddhiste.
Plus tard, les Sogdiens et leurs voisins turcophones et persanophones, qui étaient tous mécontents de la discrimination et du régime fiscal cruel des Omeyyades, se révoltèrent contre ces derniers et s’allièrent avec les Abbassides pour chasser les Omeyyades de la Transoxiane. Les Abbassides dominèrent le Grand Khorâssân et la Transoxiane de 747 à 820.
Au IXe siècle (IIIe siècle de l’Hégire), la ville de Boukhara entretenait des liens plus étroits avec la capitale des gouverneurs arabes du Khorâssân, Merv (aujourd’hui « Mary » au Turkménistan), puis avec la capitale des gouverneurs de la dynastie des Tahirides (820-872), Neyshâbour, mais aussi avec les secteurs plus orientaux de la Sogdiane ou Samarcande et Balkh, les deux épicentres du pouvoir des Samanides.
Le grand ancêtre des Samanides, Sâmân Khodâ, vécut dans la première moitié du VIIIe siècle. Les Samanides étaient une famille ancienne de la ville de Balkh (ancienne Bactres) située aujourd’hui dans le nord de l’Afghanistan. Faisant partie de l’aristocratie locale, les Samanides, d’abord zoroastriens puis convertis à l’islam, faisaient remonter leurs origines à Bahrâm Chubin, un grand général des Sassanides vers 590. Sâmân Khodâ se mit au service du gouverneur califal du Khorâssân et fut nommé gouverneur de Balkh.
En 819, le calife abbasside al-Ma’moun (813-833) récompensa les quatre petits-fils de Sâmân Khodâ (Nouh, Ahmad, Yahyâ et Eliâs) pour leurs bons services en leur attribuant à chacun le poste de gouverneur d’une province du Khorâssân et de la Transoxiane. Nouh gouverna à Samarcande (819-842), Ahmad à Ferghana (819-865) et à Samarcande (852-865), Yahyâ à Tchatche - aujourd’hui Tachkent - (819-855) et à Samarcande (852-855), et Eliâs à Hérat (819-856).
Ismâïl Ier (mort en 907), fils d’Ahmad, fut l’émir samanide de la Transoxiane de 892 à 907 et du Khorâssân de 900 à 907. Son règne vit l’émergence des Samanides comme grande puissance politique.
Durant le règne de son frère Nasr Ier (mort en 892), Ismaïl fut chargé de prendre la ville de Boukhara qui venait d’être ravagée par les troupes turques du Khârezm. Les habitants de Boukhara accueillirent Ismâïl à bras ouverts et virent en lui un souverain pouvant leur apporter sécurité et stabilité.
Peu de temps après, un désaccord eut lieu entre les deux frères sur la distribution des impôts. Une guerre s’ensuivit dont Ismâïl sortit vainqueur. Bien qu’il se fut emparé de facto du pouvoir, il ne renversa pas formellement son frère Nasr Ier et le laissa gouverner à Samarcande. Il préféra rester à Boukhara et en faire sa capitale. Sa décision de laisser son frère rester au pouvoir était purement politique, car Nasr était celui à qui le calife abbasside avait donné une investiture formelle sur la Transoxiane. Autrement dit, pour le califat, Nasr Ier était le seul dirigeant légitime de la région. Nasr garda sa place de souverain jusqu’à sa mort tardive en 892, date à laquelle Ismâïl prit officiellement le pouvoir. Même après la mort de Nasr, le calife abbasside ne reconnut pas officiellement son rôle de souverain à Boukhara. Une guerre éclata en 898, dont les batailles se tinrent majoritairement au sud de l’Oxus, et dura jusqu’en 900. Les Samanides gagnèrent la guerre et le calife abbasside finit par reconnaître l’autorité des Samanides sur la Transoxiane et le Khorâssân.
Pendant cette période, Boukhara entama une période de prospérité de près d’un siècle et demi et devint un centre culturel de la Transoxiane et du Khorâssân. Elle fut notamment le lieu du développement spectaculaire de la nouvelle littérature persane, développement dû en grande partie au mécénat des émirs samanides. C’est aussi à partir de la période samanide que nous possédons des informations plus détaillées sur la topographie et la structure urbaine de la ville au Xe siècle. Il en ressort que, contrairement à de nombreuses villes de l’est du monde iranien où des déplacements de sites urbains furent relativement fréquents, Boukhara est restée essentiellement au même endroit depuis la conquête arabe.
Les géographes du Xe siècle (IVe siècle de l’Hégire) mentionnent la division tripartite habituelle d’une citadelle (kohandej), une ville proprement dite (shahrestân), et d’une banlieue entre la ville d’origine et le mur des débuts de l’ère islamique. Le mur de Boukhara avait sept portes de fer. La citadelle abritait le palais Bokhâr-Khodât de l’époque sogdienne et la première mosquée construite par les Arabes. À l’est de la ville et dans une zone entièrement séparée du Shahrestân, il y avait un espace sablonneux ouvert appelé Rigestân, où les Samanides construisent plus tard un palais et y installèrent leur divân (salle de conseil et services administratifs). Au cours du Xe siècle, un autre mur extérieur fut construit avec onze portes, ce qui témoigne du développement urbain de Boukhara.
Après la chute des Samanides à la fin du Xe siècle, les Qarakhanides turcs reprirent la Transoxiane. Pendant un siècle et demi, Boukhara fit partie du khanat occidental des Qarakhanides (840-1212). Gouvernée sous le système décentralisé et tribal des tribus turques des steppes, la ville de Boukhara perdit inévitablement une grande partie de son prestige politique, social et culturel au XIe siècle.
Dans la seconde moitié du XIe siècle, les Qarakhanides construisirent une nouvelle mosquée du Vendredi et deux nouveaux palais, ainsi qu’un enclos de jardins et de terrains de chasse appelé Shamsâbâd.
Le roi Alâeddin Mohammad (1200-1220) de la dynastie turque kiptchake des Khwarezm-Shâhs arriva à Boukhara après des négociations avec le dernier gouverneur de la dynastie des Qarakhanides et y reconstruisit la citadelle. En 1218, Alâeddin Mohammad donna l’ordre d’omettre le nom du calife abbasside des sermons de la prière du vendredi de Boukhara et nomma un nouveau gouverneur pour la ville. En 1220, la ville tomba aux mains de l’armée des Mongols de Gengis Khân.
La ville de Boukhara fut conquise par Gengis Khân (1206-1227) le 4 décembre 1220 et la citadelle tomba douze jours plus tard. Tous les habitants furent chassés de la ville, leurs biens furent pillés et la ville incendiée. Les défenseurs de la citadelle furent massacrés. Les gouverneurs mongols de Boukhara et de Samarcande, nommés directement par Gengis Khân, y restèrent jusqu’en 1260. La dernière référence historique à deux gouverneurs mongols de la région date de 1268. À cette date, Ögedeï Khân, troisième fils de Gengis Khân, confia l’administration civile de toutes les régions urbaines de la Transoxiane à Mahmoud Khârezmi, un marchand musulman, qui fut probablement l’un des ambassadeurs de Gengis Khân envoyés plus tôt à la cour des Kharezmshâh. Il résidait à Khojand et rapportait directement au grand khân mongol. Son fils, puis ces trois petits-fils lui succédèrent pour gouverner la Transoxiane jusqu’au début du XIVe siècle.
L’historien Atâ-Malek Juvaini (1226-1283) rédigea au XIIIe siècle une histoire de l’Empire mongol intitulée L’histoire du Conquérant du monde. Dans cet ouvrage, il prétendit que la reconstruction de Boukhara commença sous le premier gouverneur mongol et que la ville fut aussitôt repeuplée et prospère. Cependant, il faut admettre que pendant près d’un siècle après l’invasion mongole, les efforts visant à rétablir une vie normale à Boukhara furent interrompus à plusieurs reprises et parfois totalement réduits à néant du fait de querelles internes, de guerres et de révoltes.
Abaqa Khân (1265-1282), successeur de Houlagou Khân et deuxième souverain de la dynastie mongole des Ilkhanides, attaqua Boukhara en 1273. Ses troupes pillèrent la ville pendant sept jours et en détruisirent la majeure partie. Selon certains documents historiques, après cette attaque, la ville resta quasi inhabitée pendant sept ans. En dépit de ces désastres, Boukhara et la Transoxiane, en général, se remirent peu à peu de l’invasion mongole pendant la seconde moitié du XIIIe siècle, mais pas aussi rapidement que le prétendit Juvanini.
Pendant la période mongole, Boukhara devint le centre le plus important du soufisme en Asie centrale. La confrérie soufie Naqshbandi en profita pour accroître son expansion en termes d’importance spirituelle et surtout politique. Mohammad Bahâeddin Naqshband, né en 1317 dans le village de Qasr al-Ârefân, près de Boukhara, est considéré comme le maître de la confrérie Naqshbandi.
Sous les Timourides (1370-1500), dynastie fondée par les descendants de Tamerlan, la ville de Boukhara joua un rôle relativement peu important dans la vie politique de la Transoxiane dont la capitale fut Samarcande. Durant cette période, Boukhara ne retrouva jamais sa taille d’avant l’invasion mongole, la ville restant pratiquement dans les limites du mur reconstruit après la conquête mongole. De vastes zones de terres autrefois irriguées de l’oasis de Boukhara furent cependant récupérées, en particulier pendant la seconde moitié du XVe siècle.
Vers la fin du XVe siècle, un chef de guerre ouzbek, Shâhbakht (ou Shpaybak), connu plus tard sous le nom du Chayban Khân (1451-1510), fuit ses ennemis et se réfugia à Boukhara pour profiter de la protection du gouverneur timouride de la ville. Il passa deux ans au service du gouverneur timouride et se rapprocha idéologiquement de la confrérie soufie Naqshbandi. Ce fut probablement le début des liens étroits qui se nouèrent entre les Naqshbandis et les Ouzbeks de la future dynastie des Chaybanides. En tant que chef des Ouzbeks, Sheybâni Khân s’insurgea contre les Timourides en déclin et s’empara de Boukhara en 1500, après un siège qui ne dura que trois jours. Quelques mois plus tard, un complot contre lui fut déjoué. Chayban Khân punit les conspirateurs, infligea une lourde indemnité à la ville et donna l’ordre de détruire les murs de Boukhara.
Les chefs de la confrérie Naqshbandi, installés depuis des décennies à Samarcande, finirent par soutenir les Timourides dans les guerres les opposant aux Ouzbeks. Quand Khâjeh Yahyâ, chef spirituel des Naqshbandi à Samarcande, fut tué en 1500, la direction de la confrérie fut transmise aux cheikhs Naqshbandis à Boukhara, qui s’étaient déjà ralliés aux Ouzbeks. Cela renforça encore davantage les liens entre la confrérie et les successeurs de Chayban Khân. Ce dernier fut tué à Merv en 1510 lors d’une guerre contre les troupes d’Ismaïl Ier, fondateur de la dynastie des Safavides. Un an plus tard, Boukhara s’insurgea contre les Ouzbeks, mais Ubaydullah Khân (1534-1539), un neveu de Chayban Khân, réprima la révolte et reconquit la ville.
En 1512, le royaume des Chaybanides fut divisé en plusieurs apanages dont Samarcande, Boukhara, Tachkent, Balkh et leurs provinces respectives, chacune gouvernée par un prince ouzbek. À Boukhara, le premier dirigeant fut Ubaydullah Khân. Il devint le Khân suprême de la dynastie ouzbèke et fit de Boukhara sa capitale. Il gouverna à ce titre de 1533 à 1539.
Pendant le long règne d’Abdullah Khân (khân de Boukhara de 1557 à 1598, Khân suprême de 1583 à 1598), le système d’apanages princiers fut aboli. Sa capitale, Boukhara, atteignit le sommet de sa puissance militaire et politique. La ville devint particulièrement prospère et réalisa sa plus grande expansion urbaine. Cette période fut également marquée par une grande floraison économique et culturelle au cours de laquelle de nombreux bâtiments et monuments de grande qualité architecturale furent construits. La superficie de la ville intra-muros augmenta au détriment des villages voisins qui furent progressivement incorporés dans les nouveaux quartiers de Boukhara. Cette expansion urbaine fut parrainée non seulement par Abdullah Khân lui-même, mais également par ses émirs. Ce processus ne se limita pas à Boukhara, bien que d’autres villes du khanat, notamment son rival historique Samarcande, aient reçu beaucoup moins d’attention. À la campagne, le système d’irrigation fut étendu, à la fois dans le bassin de la rivière Zeravchan et ailleurs dans le khanat. De grandes superficies de terres furent récupérées pour la culture.
La première rupture politique entre la Transoxiane et le monde iranien eut lieu en 1469, lorsque l’Empire timouride fut définitivement divisé en deux États indépendants : la Transoxiane dirigée par les descendants d’Abou Saïd, et le Khorâssân gouverné par les descendants du Sheikh Omar.
La rupture politique devint définitive vers 1500 avec la conquête ouzbèke de l’Asie centrale par les Chaybanides et l’unification de la Perse par la dynastie des Safavides, initiée par le fondateur de l’Empire safavide, Shâh Ismâïl Ier -1501-1524). À partir de là, le khanat ouzbek de Boukhara et le Khorâssân perse devinrent politiquement étrangers l’un à l’autre.
Dès le début, les relations politiques entre l’État safavide et les Chaybanides ouzbeks devinrent conflictuelles au sujet du contrôle du Grand Khorâssân. Ce problème domina les relations entre les deux parties, et ce jusqu’au XIXe siècle.
Les Chaybanides s’emparèrent du Khorâssân de 1506 à 1508, pour ensuite le perdre progressivement au cours de la période de 1510-1513 au profit de Shâh Ismaïl Ier. Pendant les vingt-cinq années suivantes, les Ouzbeks tentèrent à plusieurs reprises de compenser cette perte. Le personnage principal de ces tentatives était Ubaydullah Khân, qui gouvernait à Boukhara, d’abord en tant que dirigeant de l’apanage de Boukhara, puis comme Khân suprême des Ouzbeks.
Les Ouzbeks, dirigés par Ubaydullah Khân, envahirent le Khorâssân à cinq reprises (1524-25, 1526-28, 1529-31, 1532-33 et 1535-38). Parfois, ils réussirent à occuper toute la province du Khorâssân jusqu’à Astarâbâd (Gorgân moderne) dans la région littorale de la mer Caspienne. Hérat (ouest de l’Afghanistan) fut occupé à deux reprises par les Ouzbeks, en 1529 et 1536.
Pourtant, la seule bataille décisive qui se déroula à Khosrowjerd (province iranienne du Khorâssân Razavi) en 1528 fut remportée par les Qizilbashs, troupes d’élite des Safavides, sous le règne de Shâh Tahmasb Ier (1524-1576). À partir de cette date, les Ouzbeks durent se retirer chaque fois que l’armée royale des Safavides venait libérer une partie occupée du Khorâssân. Balkh (Afghanistan actuel) fut la seule grande ville du Khorâssân que les Ouzbeks purent conserver. Les Ouzbeks occupèrent la ville en 1526. Depuis lors, Balkh devint une colonie ouzbèke et un tremplin pour de nouvelles invasions ou attaques contre le Khorâssân.
Plus tard, les Chaybanides échangèrent des lettres avec les sultans ottomans en proposant une alliance active contre les Safavides. D’après des lettres conservées jusqu’à nos jours, cette correspondance diplomatique contenait des incitations mutuelles à la lutte contre un ennemi commun, mais aucun effort ne vit le jour pour coordonner efficacement une telle alliance.
En 1598, le roi safavide Shâh Abbâs Ier reconquit le Khorâssân. La tentative de Shâh Abbâs pour libérer Balkh se solda toutefois par un échec.
Après la mort du fondateur de la dynastie des Safavides Shâh Ismâïl Ier, dans tous les conflits militaires entre les Ouzbeks et les Safavides aux XVIe et XVIIIe siècles, les Safavides étaient très clairement dans une position défensive. Leur action consistait toujours à repousser les offensives ouzbèkes contre le Khorâssân. En réalité, les Safavides ne tentèrent jamais, à leur tour, d’envahir la Transoxiane. D’autre part, à l’exception des campagnes d’Ubaydullah Khân et d’Abdullah Khân, les Ouzbeks ne tentèrent d’occuper aucune partie du Khorâssân de façon permanente (à l’exception de Balkh).
La première et unique conquête iranienne de Boukhara et du Khwarezm fut entreprise au XVIIIe siècle par le fondateur de la dynastie des Afsharides, Nâder Shâh, en 1740. Cette conquête n’aboutit cependant pas à l’instauration d’une domination efficace, car les relations vassales de Boukhara avec l’Iran prirent fin aussitôt après la mort de Nâder Shâh (1747).
Le khanat de Boukhara a maintenu des relations pacifiques avec le Khorâssân au XIXe siècle, à la fois en raison de sa relative faiblesse et du fait qu’il cessait d’être un voisin immédiat du Khorâssân, étant donné l’apparition du territoire des tribus turkmènes indépendantes à l’ouest et au sud, entre la Transoxiane et le Khorâssân.
Certains historiens supposent que la nature des relations entre les khâns de Boukhara et la cour safavide depuis le début du XVIe siècle était déterminée par une sorte de « clivage sectaire » après que le chiisme devint la religion d’État en Iran sous Shâh Ismâïl Ier. Pour d’autres, ce n’est qu’une simplification excessive. Il est vrai que les hostilités religieuses étaient parfois intenses et que les sheikhs Naqshbandis de la Transoxiane se présentaient souvent comme les défenseurs d’un islam orthodoxe sunnite face à la menace chiite des Qizilbashs. Les récits d’atrocités commises contre les sunnites par les Qizilbashs en Iran et surtout dans le Khorâssân lors des conquêtes de Shâh Ismâïl Ier, de même que les récits de pillages et d’actes de violence perpétrés au Khorâssân contre les chiites par les Ouzbeks, donnent naturellement plus d’importance à cette supposition de clivage sectaire. Pourtant, de nombreux indices historiques montrent que cela n’affectait pas nécessairement les relations politiques basées plutôt sur la « Realpolitik » que l’idéologie, sans oublier que les politiques se servaient souvent de la haine sectaire comme d’un prétexte pour justifier les pillages ou les règlements de compte.
Les hostilités fréquentes entre les deux parties contribuèrent sans doute au déclin économique progressif de la Transoxiane et du Khorâssân. Les échanges entre eux continuaient, certes, bien que probablement à une échelle moindre et souvent interrompue par des conflits militaires. Le principal obstacle au commerce n’était pas les différences religieuses, mais l’insécurité des routes commerciales.
Si l’antagonisme sectaire et idéologique avait une influence profonde, il est à rechercher dans le domaine des échanges culturels. La propagande anti-chiite à Boukhara et la propagande anti-sunnite étaient malheureusement fortes. Bien que ces propagandes sectaires aient rarement eu une influence directe sur la « Realpolitik » des deux gouvernements, elle eut de graves conséquences sur le plan social et émotionnel. Les échanges de lettres polémiques entre les théologiens de la Transoxiane et de l’Iran, cités dans certains ouvrages historiques, contribuèrent à l’aggravation de cette situation, car ces correspondances étaient surtout destinées à une lecture populaire.
Une sorte de boycott culturel s’établit donc sur la circulation d’œuvres littéraires et de tous genres entre la Transoxiane et le Khorâssân. Un examen des catalogues de collections de manuscrits en langue persane montre que contrairement à la période d’avant le XVIe siècle, l’échange de livres entre les deux parties diminua de manière considérable. Ce boycott bilatéral créa une sorte d’isolement culturel dans les régions persanophones de la Transoxiane et fut également préjudiciable au Khorâssân sur le plan culturel et artistique.
Au XVIIIe siècle et pendant la première moitié du XIXe siècle, Boukhara redevint le centre principal de l’artisanat traditionnel de l’Asie centrale. Une étude ethnographique moderne a recensé 99 métiers traditionnels pendant cette période. Le commerce avec l’extérieur, en particulier avec la Russie, se développa rapidement. Le pouvoir politique et militaire du khanat de Boukhara diminua cependant au niveau régional en raison de la puissance accrue de ses rivaux. Des portions importantes du territoire du khanat furent perdues au profit du khanat de Kokand à l’est et de l’Afghanistan au sud. La ville de Boukhara conserva néanmoins son prestige de fief de l’orthodoxie sunnite et de centre d’enseignement religieux dans toute l’Asie centrale. À cette époque, il y avait une très forte concentration de madrasas (entre 100 et 200 écoles théologiques, selon différentes sources) avec près de 10 000 étudiants originaires de toutes les régions centrasiatiques.
Vers les années 1800-1820, le souverain du khanat de Boukhara fut le premier à adopter le titre d’émir, estimant que le titre de Khân devait être réservé exclusivement aux descendants des khâns mongols de la lignée de Gengis Khân. Le khanat de Boukhara devint ainsi l’émirat de Boukhara.
Bien que la superficie de la ville n’ait pas changé après le XVIe siècle, sa population augmenta, ce qui nécessitait une plus grande densité de construction. Cependant, la qualité des constructions était généralement médiocre. Vers 1860, la population totale de la ville était d’environ 90 000 personnes, répartie dans 220 Godârs (quartiers). La majorité parlait le tadjik (persan), y compris certains groupes d’origine turque assimilés par les Tadjiks persanophones. Il y avait également une grande communauté juive.
En 1868, le khanat de Boukhara fut conquis par les Russes. L’émirat devint ainsi un vassal de l’Empire russe. Au début de leur domination, les Russes ne s’immiscèrent pas dans les affaires intérieures de Boukhara et la souveraineté de l’émir ne fut pas formellement restreinte. La vraie influence russe commença à se faire sentir après la construction du chemin de fer de l’Asie centrale sur le territoire du khanat de Boukhara en 1887, puis avec le démarcage de la frontière administrative et douanière de l’Empire russe pour inclure le khanat en 1895.
Des colonies de peuplement russes, protégées par les droits extraterritoriaux, furent établies le long du chemin de fer et de l’Amou-Daria (Oxus). La colonie russe la plus importante, Nouveau Boukhara (Novaya Boukhara), où vivaient les autorités politiques russes, était située à la gare de Boukhara, à douze kilomètres au sud de la ville. Avec le développement rapide de ces colonies, au moins 50 000 Russes vivaient dans le khanat en 1914. Des lignes téléphoniques reliaient la colonie russe à la citadelle de la vieille ville, et la centrale électrique des Russes fournissait de l’électricité à la capitale.
Les produits manufacturés russes et autres produits coloniaux se vendaient en quantités croissantes dans les bazars de Boukhara. Néanmoins, cette première étape de la modernisation n’affecta pratiquement pas la vie quotidienne des habitants de la capitale.
Après 1905, un mouvement de réforme libéral se développa à Boukhara, mais il se heurta à une vive opposition des conservateurs et fut réprimé par l’émir de Boukhara.
Après la Révolution bolchévique de 1917, les troupes russes du Soviet de Tachkent tentèrent de s’emparer de Boukhara en mars 1918, mais après avoir pilonné la ville pendant deux jours, elles se replièrent. À la fin du mois d’août 1920, le dernier émir de Boukhara, Âlim Khân (1911-1920), fut renversé à la suite d’une invasion de l’Armée rouge. Le 6 octobre 1920, le khanat fut aboli et les Soviétiques proclamèrent la République soviétique populaire de Boukhara. Âlim Khân s’enfuit vers l’est du pays, puis vers Kaboul (1921) où il mourut en exil en 1944.
La résistance armée aux Soviétiques se poursuivit jusqu’en 1926, mais après 1923, elle se limita aux régions montagneuses de l’est. Fin 1923, à la suite des purges politiques organisées par les représentants de Moscou, le gouvernement de Boukhara fut totalement placé sous le contrôle de la Russie. En octobre 1924, le khanat de Boukhara fut démembré dans le cadre du plan soviétique de démarcation des frontières en Asie centrale. La plus grande partie de son territoire faisait désormais partie de la République socialiste soviétique d’Ouzbékistan nouvellement formée. La perte de son statut de capitale eut de graves conséquences pour Boukhara.
Selon le recensement de 1926, la population de Boukhara était passée à 41 839 habitants, soit la moitié de sa population d’avant la conquête soviétique. Un grand nombre de personnes avaient fui Boukhara pendant la guerre civile, principalement en Afghanistan, et d’autres s’étaient réfugiées dans les campagnes et d’autres villes d’Ouzbékistan.
Le centre historique de Boukhara et ses 140 monuments les plus importants sont protégés par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) qui les a inscrits sur sa liste du Patrimoine mondial en 1993. En effet, le centre historique de Boukhara est considéré comme l’un des meilleurs exemples de l’architecture et de l’urbanisme islamiques de l’Asie centrale du Xe au XVIIe siècle, d’autant plus que le tissu urbain du centre de Boukhara est resté largement intact par rapport aux autres villes anciennes de cette vaste région.
L’ancienne cité perse fut, en réalité, le noyau principal de la culture islamique et persanophone de la Transoxiane et de l’Asie centrale pendant de longs siècles. Cependant, à l’exception de quelques vestiges importants des Xe et XIe siècles, la plupart des monuments anciens de Boukhara qui ont été préservés jusqu’à nos jours, sont ultérieurs à l’invasion mongole de Gengis Khân en 1220 et à l’invasion turco-mongole de Tamerlan en 1370. Cela dit, la majeure partie de l’héritage architectural et historique du Boukhara moderne date de l’époque de la dynastie ouzbèke des Chaybanides.
L’importance réelle du patrimoine historique et architectural de Boukhara tient non pas à ses monuments pris individuellement, mais plutôt à l’ensemble de son paysage urbain témoignant de l’urbanisme de la période des rois ouzbeks de la dynastie des Chaybanides, construit sur l’ancienne ville perse.
Parmi les rares monuments des périodes plus anciennes, il faut surtout citer le mausolée d’Ismâïl Ier de la dynastie iranienne des Samanides. Ce mausolée, qui est connu aujourd’hui sous le nom de « Mausolée des Samanides », se situe dans un parc juste à l’extérieur du centre urbain historique de Boukhara. Considéré comme l’une des œuvres les plus estimées de l’architecture de l’Asie centrale, il fut construit entre 892 et 943, où reposait Ismâïl Ier de la dynastie persane des Samanides qui régnèrent en Asie centrale aux IXe et Xe siècles. Outre Ismâïl Ier, son père Ahmad et son neveu Nasr ainsi que plusieurs autres membres de sa famille furent inhumés dans ce mausolée.
Ce mausolée est considéré comme l’un des monuments les plus anciens de la région de Boukhara. Au moment de l’invasion de Gengis Khân, il aurait déjà été enseveli sous la boue à la suite d’inondations. Ainsi, lorsque les Mongols arrivèrent à Boukhara, le sanctuaire fut épargné. Le site ne fut redécouvert que beaucoup plus tard, par les archéologues de l’époque soviétique, en 1934. Il fallut deux ans de travaux d’excavation.
Selon les spécialistes, ce monument marque le début d’une nouvelle ère dans le développement de l’architecture de la Perse et de l’Asie centrale après la conquête arabe. La structure générale est semblable à celle des anciens temples de feu des zoroastriens, communément appelée « Tchârtâqi » en persan, signifiant littéralement « Quatre arcs », c’est-à-dire une unité architecturale composée de quatre arcs et d’un dôme.
Les architectes du Mausolée des Samanides voulaient utiliser une ancienne tradition sassanide de construction en briques cuites, mais ils le réalisèrent à un niveau beaucoup plus élevé que celui observé auparavant. Le site est unique par son style architectural qui combine à la fois des motifs zoroastriens des cultures sogdiennes et sassanides, ainsi que des motifs islamiques introduits par les Arabes.
La façade de l’édifice est recouverte d’un travail de briques finement décorées, qui présente des motifs circulaires rappelant le soleil, une image commune de l’art zoroastrien de la région, qui symbolise le dieu de la religion zoroastrienne, Ahura Mazda. Le style syncrétique du mausolée, rassemblant des symboles de plusieurs cultures, rappelle qu’aux IXe et Xe siècles, la région comptait encore de grandes populations de zoroastriens ayant commencé à se convertir à l’islam à cette époque.