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Entretien avec Youssef Hosni A’zami, traducteur azéri de chefs-d’œuvre persans
Propos recueillis par Mahdi Pirayesh
Traduit par
Mahdi Pirayesh : Pourriez-vous, s’il vous plaît, vous présenter pour nos lecteurs ?
Youssef A’zami : Au nom de de Dieu, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux. C’est une clé qui se trouve dans le trésor du sage. [1](Poème de Nezâmi).
Bonjour à vous, cher monsieur, aux amis et aux lecteurs de la Revue de Téhéran. Je m’appelle Youssef Hosni A’zami, fils de Mohammad, né le 7 mai 1968 à Tabriz. Mes parents étaient tous deux originaires de Tabriz. Mon père était retraité de l’armée. Je suis diplômé en sciences de la communication sociale de l’université Azâd de Tabriz. J’ai eu un goût pour la poésie et la littérature dès l’école primaire. J’ai donc commencé à composer des poèmes qui ont été publiés dans les revues Javânân et Ettela’ât Haftegî au début des années 1980. Après avoir obtenu mon baccalauréat, j’ai travaillé comme présentateur et traducteur aux services étrangers de la radio de Tabriz, qui diffusait ses émissions pour la République d’Azerbaïdjan voisine. Très tôt, les services de production et de diffusion de la radiotélévision m’ont invité à présenter des programmes locaux de la province. Au 18e Festival des productions de l’IRIB, la radiotélévision nationale, j’ai remporté le prix du meilleur présentateur. En 2016, j’ai pris ma retraite et je me suis consacré davantage à la traduction et à la publication de nouveaux ouvrages, environ une douzaine. Trois de mes livres vont bientôt être publiés. En 2016, j’ai été invité à lire des poèmes de Shahriyâr au Congrès littéraire de la commémoration du maître Shahriyâr à Bursa en Turquie. En septembre 2019, j’ai été invité à Bakou, en Azerbaïdjan, pour participer au Congrès littéraire de commémoration d’Imâdeddine Nassimi, grand poète du VIe siècle de l’hégire (XIVe et début du XVe siècle), mais aussi pour négocier la publication en République d’Azerbaïdjan de mes traductions de deux grands poètes de Tabriz, Shahriyâr et Parvine E’tessâmi.
Voici mes principaux livres :
-Une grammaire simple de l’azéri : La conjugaison. Dans ce livre, j’ai essayé d’enseigner la grammaire azérie d’une manière simple aux apprenants.
-Les paroles de mon cœur : ce livre est un recueil de mes poèmes en persan et en azéri.
-Les Khamseh de Nezâmi contient Le Trésor des mystères, Khosrow et Chirine, Leïli et Madjnoun, Les sept Beautés et Le Livre d’Alexandre. J’ai traduit cet ouvrage du persan en turc, et j’ai facilité sa compréhension en le traduisant en prose.
-Traduction des Robâ’iyat d’Omar Khayyâm. Dans cet ouvrage j’ai traduit cent quatrains de Khayyâm du persan au turc, en préservant la métrique propre des poèmes.
-Traduction de poèmes de Parvine E’tessâmi. Il s’agit de la traduction de quelque 1600 vers de E’tessâmi du persan au turc en gardant la métrique propre de ces poèmes.
-Golchan-e Râz : c’est un ouvrage philosophique et théologique écrit par Sheikh Mahmoud Shabestari. Je l’ai traduit du persan au turc en conservant la métrique de cet ouvrage.
- Traduction de quelques quatrains de Rûmî : traduction de cent quatrains de Rûmi du persan au turc.
- L’art oratoire : c’est un ouvrage écrit en persan que j’enseigne dans différents instituts.
- Traduction de La Conférence des oiseaux de ‘Attâr. J’ai traduit cet ouvrage du persan au turc sous forme de conte. L’histoire de Sheikh San’an est l’un des contes de ce livre.
-Traduction d’ouvrages sélectionnés de Shakespeare : traduction de cinq pièces (Hamlet, Macbeth, Othello, Le Marchand de Venise, Roméo et Juliette) et de quelques poèmes de Shakespeare en turc. J’ai aussi comparé Roméo et Juliette aux poèmes de Mohammad Fuzuli, poète du Xe siècle de l’hégire et j’ai créé une nouvelle histoire.
- Salabiyyeh ou le Livre de renard. Mohammad Bâqer Khalkhali, qui vivait à l’époque de Nâssereddin Shâh au XIXe siècle, a composé quelque 2500 vers en langue turque dans cet ouvrage. Je l’ai imprimé en prose puis je l’ai traduit en persan.
- Commentaire simple de Heydar Baba de Shahriyar. Dans ce livre, j’ai expliqué ligne par ligne cette œuvre poétique de Shahriyar.
- Traduction des poèmes de Shahriyar. J’en ai traduit plus de mille vers et continue ce travail afin d’arriver à deux mille vers.
- Mes murmures : ce livre va être bientôt publié. Il contient des poèmes turcs et persans et quelques traductions de poèmes classiques et contemporains.
- 200 points sur l’art oratoire : ce livre va aussi être bientôt publié et je l’enseigne déjà dans des instituts.
Je dois ajouter que ma femme est ma collègue, elle écrit et traduit aussi. Elle a déjà publié deux ouvrages concernant les histoires du Masnavi de Rûmi et la traduction des contes de l’écrivain danois Hans Christian Andersen. Elle continue également à écrire des nouvelles.
Quand et comment avez-vous commencé votre carrière littéraire ? Qui vous a encouragé à le faire ?
Dès l’enfance, j’ai senti une sorte de tendresse dans mon être, de sorte qu’une musique pure, un poème ou bien un film pouvait me faire monter les larmes aux yeux. Au lycée, j’écrivais déjà quelques textes. Mais il ne faut pas oublier le rôle de mes enseignants. Toujours au lycée, j’ai commencé à écrire des proses poétiques et mes professeurs me soutenaient par leurs encouragements, surtout mon professeur de littérature. Mon père, aussi, m’a beaucoup encouragé, mais malheureusement je l’ai perdu très tôt, lorsque j’étudiais encore au lycée. En outre, un autre événement m’a poussé davantage vers la littérature : mon frère a disparu pendant la guerre Iran-Irak. Plus tard, nous avons appris qu’il n’était pas mort et qu’il était prisonnier de guerre. Sa détention a duré cinq ans. Vingt jours après la mort de mon père, nous avons reçu de la Croix-Rouge la première lettre de mon frère. Ces événements m’ont fait composer un poème à propos de ma famille pendant l’emprisonnement de mon frère. J’ai lu ce poème et je l’ai enregistré sur un magnétophone. L’un de nos proches qui était producteur de cinéma a entendu cet enregistrement et l’a arrangé de sorte que je sois invité à la radiotélévision où j’ai fini par être engagé. Il faut ajouter que les poèmes folkloriques azéris (les Bayatis) que nous lisait ma mère ont eu un rôle important dans mon orientation vers la littérature azérie, surtout il y en avait un qu’elle lisait tout le temps :
Ce monde est éphémère
Qui peut rester dans ce monde ?
Un monde qui a privé les rois de leur royaume ! [2]
Qu’est-ce qui vous a mené vers la traduction des chefs-d’œuvre de la littérature iranienne ?
En réalité, je n’avais aucun plan préétabli pour la traduction d’œuvres littéraires, mais mon professeur de littérature, monsieur Mehrang, m’a dit un jour que ce n’est pas nous qui choisissons la littérature, mais c’est la littérature qui nous choisit. En fait, mon professeur a mis l’accent sur un point très important, qui peut arriver à tout le monde. Tous les gens qui mènent une carrière ne choisissent pas eux-mêmes ce métier, mais peut-être ont-ils été choisis en quelque sorte par ce métier. J’ai commencé la traduction par celle des poèmes de Khayyâm. Comme je l’ai déjà dit dans la préface de la traduction des Quatrains d’Omar Khayyâm, un jour, j’ai entendu une voix intérieure alors que je me trouvais dans la bibliothèque. J’ai inconsciemment choisi le livre de Khayyâm. Après quelques instants, j’ai senti que je voulais et que je pouvais le traduire en turc. J’ai commencé et j’ai fini par la traduction de cent quatrains. J’en ai ressenti un grand plaisir. J’ai donc continué ce travail par la traduction des œuvres de Shabestari, d’E’tessâmi, etc.
Parlez-nous de l’ouvrage de Nezâmi que vous avez sélectionné pour le traduire.
En 2016, j’ai commencé à traduire le Khamseh de Nezâmi du persan au turc, et cela a duré un an. Dans le domaine de la poésie lyrique, le Khamseh est l’ouvrage le plus important et le plus célèbre de Nezâmi. Ce chef-d’œuvre, comme l’indique son titre, contient cinq masnavis : Le Trésor des mystères, Khosrow et Chirine, Leïli et Madjnoun, Les sept Beautés et Le Livre d’Alexandre qui lui-même comprend deux parties, à savoir Le Livre de Dignité et Le Livre de Fortune. Cet ouvrage contient au total 29 129 vers. À travers la création des caractères principaux et secondaires dans ses histoires et à travers des mises en scène parfaites, Nezâmi a essayé de nous représenter les comportements éthique, pédagogique et social de son époque. Il s’est aussi efforcé de présenter sa vision de l’homme idéal aux lecteurs. En bref, je peux dire que le Khamseh contient des thèmes majeurs dont l’amour, la lutte entre le bien et le mal, l’éthique, l’avidité de l’homme et des conseils moraux.
Parlez-nous des caractères spécifiques du Khamseh de Nezâmi.
Comme vous le savez, aucune histoire ne peut se faire sans la présence de personnages. Le point central de chaque histoire est donc le personnage. Tout comme la fondation sur laquelle on construit un bâtiment, dans les histoires de Nezâmi, les personnages qui se présentent par leurs comportements, leurs manières de parler et de penser, sont des bases de l’histoire. Dans Le Trésor des mystères, les protagonistes sont des souverains, et les histoires allégoriques de Nezâmi prennent forme autour de la vie des rois. Dans Khosrow et Chirine, Khosrow aime Chirine qui est la maîtresse de Khosrow, tandis que Farhâd est un adversaire de Khosrow. Leïli et Madjnoun s’aiment fortement, mais les traditions tribales les empêchent de se marier. Le héros des Sept Beautés est Bahram V Gour, un jeune prince débauché qui veut se marier avec les filles originaires de sept pays différents. Le héros du Livre d’Alexandre est un homme appelé Alexandre qui a une personnalité positive, mais se trompe parfois. C’est un guerrier, pur et généreux.
Quels sont les apports ou bien les conséquences positives de la traduction des chefs-d’œuvre persans surtout les œuvres de Nezâmi ?
La littérature contient des dits et des écrits esthétiques qui ont pour but d’indiquer le chemin du bonheur et du bien-être à une génération, et du progrès à la prochaine génération. Les œuvres littéraires sont des cristallisations de la pensée humaine et sociale et influencent le progrès culturel et social d’une communauté. La littérature est un grand trésor qui comprend des faits divers, des valeurs, des traditions, de l’histoire ancienne et des changements sociaux. Les effets de la littérature sur la société et de la société sur la littérature sont indéniables et indissociables. L’indépendance culturelle, la propagation des valeurs morales et éthiques, mais aussi ce que l’individu fait pendant son temps libre et la santé mentale de l’homme et de la société, dépendent tous de la littérature. Il ne faut donc pas oublier la littérature qui est bien utile et bénéfique pour l’homme. La traduction des chefs-d’œuvre étrangers est une porte vers la connaissance de différentes ethnies et de différentes cultures, sociétés et littératures. Moi, j’ai essayé d’amener mes lecteurs à connaître le monde des poètes par la traduction des œuvres persanes en turc pour que les jeunes puissent préserver leur langue maternelle et soient encouragés à lire ces ouvrages.
Le Khamseh de Nezâmi comporte des mots, expressions et proverbes turcs. Pouvez-vous en citer quelques-uns ?
La mère de Nezâmi n’était pas turque. Un vers de Nezâmi nous le dit clairement : « Ma mère était une femme kurde brave. Elle est morte comme une vraie mère. » Dans ses ouvrages, il a néanmoins utilisé un certain nombre de proverbes turcs. L’un d’entre eux dit : « La mort du cheval est la fête du chien. » Nezâmi a utilisé la traduction persane de ce proverbe dans Khosrow et Chirine : « Comme l’un des habitants de Lahore a dit à l’un des habitants de Toûs, la mort de l’âne est la fête du chien. [3] » Un autre exemple est l’utilisation de « mondjoug », un mot turc qui signifie « bille » : « Le flot du sang montait jusqu’au ciel, les bols de billes étaient pleins de sang. » [4] Il a aussi utilisé des suffixes turcs « -lâkh » (suffixe de lieu) et « -tâche » (suffixe d’accompagnement) dans sa poésie persane. Par exemple, dans Le Livre d’Alexandre, il a eu recours au terme « Sanguelâkh » [5], « sang » signifiant « pierre » ; l’expression désigne donc un lieu plein des pierres. Il a aussi employé le terme « khâdjetâsh » [6]qui signifie le valet. Dans Les Sept Beautés, il emploie le mot « divlâkh » [7] pour désigner la place des « divs » qui veut dire « monstre ».
D’autres poètes ont-ils été influencés par Nezâmi, et ont-ils mentionné son nom dans leur poésie ?
Dans la composition de leurs œuvres, presque tous les poètes se sont inspirés de leurs pairs. Nezâmi, aussi, s’est inspiré d’autres poètes. Et des poètes se sont à leur tour inspirés de lui comme Amir Khosrow Dehlevi, Fayzî et Nami d’Ispahan. Hâfez aussi admirait beaucoup la poésie de Nezâmi et il s’est inspiré de ses leçons morales, par exemple dans le vers suivant de Hafez :
« Hâfez, ta poésie fragile et nouvelle est comme une chaîne de perles bien colorées qui vient de la poésie de Nezâmi. » [8]
Un autre exemple : Nezâmi a écrit : « Elle déstabilise les violettes par ses cheveux. », [9]et Hâfez imite ce vers en disant : « Ses cheveux parfumés déstabilisent la violette. » [10]
Dans le vers suivant, Hâfez défend l’altruisme en des termes similaires à ceux de Nezâmi (« Demandez l’abri du soleil pour les chevaliers, demandez l’aisance des amis, même si cela vous rend mécontent. ») ; « [11]L’aisance de la vie de ce monde et la vie éternelle se trouvent dans ces deux principes : la tendresse avec les amis et la tolérance avec les ennemis. » [12]
En plus, une partie des poèmes de Shakespeare dans Le Marchand de Venise fait écho à un poème de Nezâmi :
« De quelle substance êtes-vous donc fait, vous qu’escortent des millions d’ombres étranges ? Chaque être n’a qu’une ombre unique, et vous, qui n’êtes qu’un pourtant, vous prêtez votre ombre à tout.
Qu’on décrive Adonis, et le portrait n’est qu’une pauvre imitation de vous-même ; qu’on déploie toutes les beautés de l’art sur la joue d’Hélène, et vous voilà peint à nouveau sous le costume grec ;
Qu’on parle du printemps et de la saison féconde : l’un n’est qu’une ombre de votre beauté, l’autre que le reflet de votre bonté ; et nous vous reconnaissons sous toute forme bénie.
Il n’est pas de grâce extérieure où vous n’ayez quelque part ; mais nul ne vous ressemble et vous ne ressemblez à nul par la constance du cœur. »
Nezâmi dit : « Mon cœur n’accepte que toi, tu es différente des autres et les autres sont différentes de toi. Ton chagrin est éternel chez moi et je ne changerai jamais avec la joie. » [13]
Il y a de nombreux autres exemples, et je souhaite que cet entretien motive les lecteurs à connaître et à lire davantage les œuvres de Nezâmi, surtout en France, pays considéré comme berceau de la littérature ayant de grands poètes comme Victor Hugo, Paul Eluard, Chateaubriand, La Fontaine, ou Anatole France.
[1] بسم الله الرحمن الرحیم / هست کلید در گنج حکیم
[2] بو دنیا فانی دیر فانی، بو دنیا دا قالان هانی، داوود اوغلی سلیمانی، تخت اوستوندن سالان دنیا
[3] چه خوش گفتا لهاوری به طوسی/ که مرگ خر بود سگ را عروسی
[4] ز موج خون که بر میشد به عیوق/ پر از خون گشته طاسکهای منجوق
[5] برون برد شه رخت از آن سنگلاخ/ عمارت گهی دید و جایی فراخ) اسکندرنامه - رسیدن اسکندر به عرض جنوب و ده سرپرستان(
[6] در این بندگی خواجه تاشم تو را/ گر آیم به تو بنده باشم تو را )اسکندر نامه – احوال سقراط با اسکندر(
[7] آن بیابان که گرد این طرفست/ دیو لاخی مهول و بی علفست )هفت پیکر - نشستن بهرام روز چهارشنبه در گنبد پیروزه رنگ و افسانه گفتن دختر پادشاه اقلیم پنجم(
[8] چو سلک در خوشاب است شعر نغز تو حافظ/ که گاه لطف سبق میبرد ز نظم نظامی )حافظ(
[9] از زلف بنفشه را دهد تاب
[10] تاب بنفشه میدهد طره مشک سای تو
[11] سایه خورشید سواران طلب/ رنج خود و راحت یاران طلب )نظامی-مخزن الاسرار(
[12] آسایش دو گیتی تفسیر این دو حرف است/ با دوستان مروّت با دشمنان مدارا )حافظ-غزلیات(
[13] دل من کجا پذیرد عوض تو دیگری را /دگری بتو نماند تو بدیگری نمانی
غم تو خجسته بادا که غمیست جاودانی/ ندهم چنین غمی را به هزار شادمانی