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Shams-u-shumūs, un titre attribué aux Imâms shiites
Seyyed Ibrâhim Mortazavi
Docteur en théologie
« Shams-u-shumūs » ou Soleil des soleils fait référence à un titre attribué, dans les manuels de visites pieuses ou d’invocations, à certains Imâms shiites comme l’Imâm Rezâ, l’Imâm ‘Ali, ou encore l’Imâm Al-Mahdi. Dans son éloge de l’Imâm Rezâ, Ibrâhîm Ibn ‘Ali Kaf’ami (XVe siècle) a recours à cette formule : « Sham-u-shumūs, anis-u-nufūs, al-madfūn bi arḍi Ṭūs. » (Soleil des soleils, féal des esprits, enterré au royaume du Khorâsân. » [1] Dans son livre intitulé Biḥâr al-anvâr (Océans des lumières), Allâmeh Madjlisi (XVIIe siècle) se sert de cette locution pour parler du Seigneur du Temps ; [2] alors qu’Ibn Shahr Âshūb (XIe- XIIe siècle) l’emprunte pour rendre hommage à l’Imâm ‘Ali. [3] Ce titre est aussi décerné au Prophète dans l’introduction de certains livres traitant de sa vie. [4] Une étude attentive des sources islamiques indique que ce pseudonyme n’a guère été revendiqué par des Imâms eux-mêmes, mais qu’il est utilisé par des savants en sciences islamiques pour désigner les Imâms. Ibn Shahr Âshūb semble avoir été le premier à conférer cet attribut à l’Imâm ‘Ali. Pourtant, dans le langage courant et dans les éloges adressés aux Imâms, nous le trouvons aussi attribué au huitième Imâm shiite. [5] Il semble que Kaf’ami ait emprunté cette expression à Zarnadi Hanafi (XIVe siècle/ VIIIe siècle de l’hégire lunaire) ou à quelqu’un d’autre. [6] Quoi qu’il en soit, l’analyse formelle du sermon cité affirme que le titre « Shams-u-shumūs » n’est utilisé qu’afin de respecter la prosodie de la langue. Et puisque cette dénomination n’est pas mentionnée dans les traditions liées à l’Imâm Rezâ, il paraît impossible de déterminer la règle qui régirait son emploi.
Ainsi, à l’instar de la plupart des titres attribués aux Imâms qui sont absents des traditions, il semble qu’on puisse aussi l’utiliser pour désigner les autres Immaculés, même si son emploi est limité dans la culture populaire à l’Imâm Rezâ. Or, certains événements historiques et traditions peuvent permettre d’approcher les racines de cette appellation, notamment les dissensions liées à la succession de l’Imâm Moussâ Kâzem et l’affirmation de l’Imâm Rezâ comme huitième Imâm par le shiisme duodécimain, qui a également conduit à la dissolution de certaines sectes à son époque et après lui, ainsi qu’à la structuration du shiisme duodécimain. [7] Il ne faut pas cependant oublier une tradition rapportée de l’Imâm Sâdiq au sujet du lieu du sanctuaire de l’Imâm Rezâ : « Dans quelque temps, y sera enterré l’un de nos descendants qui brillera sur cette terre comme un soleil. » [8]
[1] Kaf’ami, Ibrâhim ibn ‘Ali, Almiṣbâh, Qom : Dâr-al-raḍī, 1984 (1405 hégire lunaire), p. 719 ; Voir. Zarandi Hanafi, Muhammad Ibn Yusef, Ma’âridj-ul-vuṣūl ila-l ma’rifata âli-rasūl va-l-batūl, Madjma’ Iḥyâ’al Saghâfat-al-Islâmiyya ; Madjlesi, Muhmmad Bâqer ibn Muhammad taqi, Mafâtīḥ al-djinân, Beyrouth, Mu’assassat-al-’alami lil maṭbū’ât, 2002 (1423 de l’hégire lunaire), p. 403.
[2] Madjlisi, Biḥâr al-anvâr (L’Océan des lumières), Beyrouth, Dâr-i Iḥyâ-’e turâthil ‘arabī, 2018 (1403 hégire lunaire), V. IC, p. 284.
[3] Voir Ibn Shahr Âshūb, Muhammad Ibn ‘Ali, Manâqibi âli Abī Ṭâlib (Des vertus des descendants d’Abi Tâlib), Qom, Allâmeh, 1959, V.III, p. 284.
[4] Voir. Albakeri, (VIIe ou Xe siècle de l’hégire lunaire/ XIIe ou XVe siècle), Aḥmad Ibn Abdullâh, Al-anvâr fī mawlidin nabī (Lumières de la vie du Prophète), Qom, Dâr-a-sharīf al-raḍī, 1990.
[5] Voir Ahmadi Birdjandi, Ahmad ; Naghi Zâdeh, Seyyed Ali, Madâyeh-e razavi dar she’r-e fârsi (Éloges de l’Imâm Rezâ dans la poésie persane), Mashhad, Institut des recherches islamiques de l’Âstân-e Ghods-e Razavi, 1998, p. 256.
[6] Dans le livre Al-miṣbâh, il fait appel au terme « certains savants » dont il cite un sermon faisant l’éloge de l’Imâm Rezâ.
[7] fa.shafaqna.com/news/967103l, entretien avec Mahmud Abulghâsemi ; 2 juillet 2020.
[8] http://shabestan.ir/detail/News/808278؛, entretien avec Ibrâhim Bahâri ; 11 juillet 2019.
Cependant, malgré nos recherches dans diverses ressources, nous n’avons trouvé aucune tradition ayant une signification similaire. En revanche, nous constatons la présence du même énoncé dans la plupart des traditions : « Sa-tadfan-u biḍ’ata minni bi-arḍ-i khurâsân lâ yazūruhâ muminun illâ awdjaba-llâh-u ‘azza va djall-lahu-l-djanna va ḥarrama djasadahū ‘alan-nâr » , ce qui veut dire : « Dans quelque temps, une partie de mon cœur sera enterré au Khorâssân ; tout croyant qui y fera pèlerinage, fera partie des habitants du paradis, et son cœur sera interdit au feu [de l’enfer]. » Pour trouver de pareilles traditions, voir. Attâri, ‘Aziz-o-llâh, Masnad al-Imâm Ṣâdiq, Tehran, Atârod, 2005, V. XV, p. 320.