N° 18, mai 2007

Hivâ Massih


Au nom du Dieu des eaux, des jardins et des pommes

Rouhollah Hosseini


… Alors

Je te parlerai

Du poème qui vient

Pour que tu ouvres la fenêtre

Pour toujours

Que tu emportes dans ta chambre

La lune

Et mon poème

Qui vient du silence du monde…

 

Ainsi commence la vie : par une fenêtre ouverte par où entre la lune. Mais hélas ! Nous vivons une époque où les hommes se tiennent debout très loin d’eux-mêmes…personne ne croit en la fenêtre de l’autre ; personne n’entend la voix de la solitude des rideaux, lorsqu’on les ferme doucement, et derrière restent seuls la chambre et l’homme. Cette fenêtre n’a rien d’ordinaire, car elle connaît bien les gouttes fines de la pluie. Et cette voix est la plus silencieuse du monde. Il faut seulement apprendre à écouter, à regarder autrement les choses ; "il faut laver les yeux", nous conseille encore, et si joliment, Sépehri.

Hivâ Massih, en disciple fervent de Sohrâb, adhère, certes avec un style qui lui est propre, au mysticisme de son maître, à son culte de la simplicité et à son amour pour la nature. Mais son œuvre est surtout et profondément marquée par les rêveries de l’enfance. En effet, Massih ne cesse d’évoquer le bonheur du monde de l’enfance ; d’où le titre d’un de ses ouvrages : J’ai peur d’un monde sans enfant. La pluie et la lune ainsi que "le parapluie que je tiens à la main jusqu’à la fin du monde" constituent d’autres thèmes dominants dans le texte du poète.

Né en 1965, Hivâ Massih a commencé sa carrière d’artiste par la peinture, pour passer au théâtre et ensuite à son art de prédilection, la poésie. Dans ses textes, poésie et prose sont étroitement associées, entrelacées. Parmi ses oeuvres, Je suis le fils de toutes les mères de la terre, Toujours, jusqu’à je ne sais quand et Le berger qui lavait les mains de Dieu, méritent tout particulièrement d’être citées.

 

La veille

Je me brouillai avec le monde

Au ciel je tournai le dos

Mes épaules ne purent cependant supporter

Le regard lourd de la lune et des étoiles

Qui me fixaient de derrière les nuages

Je ne savais auprès de qui m’épancher

Ni même que dire.


Mort à la Lune

Ni la pluie, ni l’amour, ni les yeux regardant vers la lune

C’était au soir de ce même "sans pluie et sans amour"

Que je m’éloignai sur les chemins

Sans voyageur ni chant

C’était au soir de ce même "ni les yeux regardant vers la lune"

Que la lune

Dans mes yeux

Vint rejoindre les voix et les visages

De toutes ces années

C’était au soir de l’un de "ces pluies et l’amour"

Que yeux dans les yeux de la lune

Je m’éloignai de ma mère

Sur le chemin

Des lèvres épuisées me disaient

Qu’avec moi je portais

Les yeux de l’enfance

Rêvant de la nuit de la lune

Elles me disaient

Qu’avec moi je portais une voix

Parlant des soirées de la lune

Elles me disaient

Que mes pas resteront inachevés

A côté

Du dernier silence de la lune

En quel lieu sur la terre

A quel endroit de l’attente de ma mère

Regardant vers la lune

En quel point des mains errantes de ma mère

Je serai oublié ?

Dans la nuit de la pluie et de l’amour

Dans la nuit du dernier silence de la lune

Ô mère !

Lève ton index vers la lune

Là je mourrai.


Songe dans le vent

Ton songe

Tu le perds

Quand la pomme

Tourne dans l’air

Et se perd

Dans le tumulte de mille mains

Poussant des fenêtres

Ton songe

Tu le perds

Quand tombe le rideau

Et le ciel

Devient noir

Ton songe perdu

Tu ne le trouves

Ni dans les journaux

Ni dans les bibliothèques du monde

Tu ne trouves pas ton songe

Et une nuit

Tu te perds dans le tumulte de mille mains

Tu te perds.


Une place

Donnez-moi une place !

J’ai en moi

Le plus lointain chagrin de l’homme

Un jour

La pluie humectera la mer

Arrivera le jour le plus triste

Du mois

La plus amère des distillations

Noircira le ciel

Donnez-moi une place !

J’ai en moi

Tout le chagrin du ciel

J’avais dit qu’une nuit

La lune se liquéfiera

Toutes les fenêtres

Deviendront étrangères

Et la terre

En solitaire mourra

Donnez-moi une place !

J’ai en moi toute la solitude de la terre

J’avais dit qu’un jour

Nous recouvrerons de la vie

Toutes nos photographies

J’avais dit

Qu’il ne passera plus d’avion

Dans le ciel

Qu’aucun passager n’atteindra plus le monde

Nous naîtrons avec des parapluies clos

Nous dormirons avec des parapluies ouverts

Donnez-moi une place !

Peut-être que quelqu’un parmi nous

Se souviendra

De la petite nuit de notre premier bonheur

Cette petite nuit sous la lune

Cette petite nuit tout près

De quelques poèmes clairs et simples

Cette nuit du commencement des mots

Donnez-moi une place !

Une place pour sourire

Une place pour m’éblouir

Je n’ai en moi du monde entier

Qu’une petite nuit


Encore

Ici commencent mes pleurs :

Un drapeau noir sur le mur

Je ne sais si c’était

L’avant-dernière année de la pluie

Ou l’année précédente des ruelles "du venir"

Quand un homme ne rentra plus

De cette nuit de neige

Il avait même reçu la pluie

Il était tombé aussi

Dans la bouche bée de la neige

Et il était mort auprès de ces mêmes instants

Et le "dépêche-toi !"

Beaucoup d’ombres ont passé la ruelle

Et l’homme toujours,

Mais encore

Fut plein de chants.


La saison

La saison passe

Sans que tu te rappelles

Le printemps passé

Tu ne te rappelles guère

Et tu ne vois point

Et passe la saison

Dans le frisson

Des feuilles estivales

Une main alors

Cueillit une grappe de raisin

De la vigne de derrière ta fenêtre

Et toi le jour

Toujours

Tu sors dans la rue

Et rentres

A la tombée de la nuit

Sans te rappeler

D’aucune grappe de raisin

Tu ne te rappelles guère

Et tu ne vois point

Et passe la saison

Dans la chute

Des feuilles automnales.


Café noir

Il suffit de prendre un café noir

Et d’oublier le monde

Les passagers te regardent

Par la fenêtre

Ils vont et viennent

Te regardent encore par la fenêtre

Tu prends un café noir

Tu baisses la tête

Et sur ton front haut

Arrive un simple accident :

Une mèche de cheveux fins

Glisse et s’arrête

Les passagers te regardent toujours

Sur le front du monde

Arrive un simple accident :

Tu tombes sur la table et t’arrêtes

Les passagers se collent à la fenêtre :

Leurs nez élargis

Leurs yeux grands ouverts

Derrière la table

Un monde noir

S’est penché.


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