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La tour Toqrol
chef-d’œuvre de l’astronomie et de l’art architectural de la Perse
,Au cours des siècles, la Perse a toujours brillée de par sa civilisation, ses expériences scientifiques et ses érudits. En nous léguant des chef-d’œuvres uniques, ils ont pu immortaliser leur génie de telle manière que jusqu’à aujourd’hui, ces monuments recèlent toujours des merveilles et des mystères à découvrir. En témoigne d’ailleurs cette célèbre citation chantant les louanges de ce pays oriental : "L’art ne se trouve que chez les Persans [1]". L’histoire emporte avec elle les souvenirs précieux de chaque dynastie mais en épargne certains, dont l’un a été édifié au XIe siècle en Perse, à Shahr-e-Rey, lieu de résidence de la grande dynastie seldjoukide.
Ce chef-d’œuvre de l’époque seldjoukide est la tour Toqrol située aux alentours de Téhéran, dans le quartier de Ebn-e-Bâbouyeh à Shahr-e-Rey. Bien qu’elle tende aujourd’hui à être noyé au milieu de nombreux gratte-ciels et bâtiments modernes de la capitale, elle garde cependant toute sa splendeur, après neuf siècles. Cette tour a été baptisée d’après le nom de son fondateur, Toqrol Beyke [2], qui fut le premier roi seldjoukide. Selon l’historien de l’époque Mohammad Mohit Tabâtabâi [3], on y enterra non seulement Toqrol Beyke et sa mère, mais également de plusieurs savants et érudits de l’époque seldjoukide, étant donné que Toqrol Beyke l’avait bâtie pour honorer le souvenir de ces derniers. Cependant, il faut rappeler que le lieu exact de leur tombe n’a pas encore été découvert [4]. A l’époque qâdjâre, cette tour a subi plusieurs opérations de rénovation. Attiré par l’originalité de la tour, Nâser-e-din Shâh Qâdjâr ordonna en 1860 à Hâdj Bol-Hassan Mémar Bachi de réparer les parties les plus délabrées. Une épigraphe figurant, sur sa commande, au seuil du porche d’entrée illustre les différentes étapes de la reconstruction.
Cette tour fut construite sur une superficie de 48 mètres carrés et est haute de 20 mètres. Sa structure est si solide et résistante qu’elle a résisté aux tremblements de terre et autres désastres qu’a subis cette région durant des siècles. En effet, le secret d’une telle stabilité réside notamment dans sa charpente faite d’un mélange de briques, de vitriol, de blanc d’oeuf et de terre. Malgré un intérieur en forme de cylindre, son aspect extérieur évoque la forme d’une étoile à 24 branches. L’intérieur a un diamètre de 11,20 mètres tandis que celui de l’extérieur est de 17,70 mètres, démontrant que le mur doit avoir une épaisseur considérable qui est comblée jusqu’à une hauteur de 4 mètres. Le reste est vide jusqu’au bout de la tour, où ont été construits une porte et des escaliers. Voilà pourquoi le son se reflète plusieurs fois tel un écho, une fois produit dans le centre de la tour. En conséquence, un orateur ou un chanteur pourraient bien prononcer un discours ou bien chanter à l’intérieur sans recours à un micro. Il y avait jadis un toit conique qui renforçait cet effet acoustique, mais il fut malheureusement détruit au cours des siècles suivants. Sous le plancher, dans les deux côtés de la tour, deux canaux d’aération sont bâtis de manière à ce que l’air puisse y circuler librement afin de protéger les murs de l’humidité et ses conséquences. Cette tour recèle, en outre, d’autres secrets qui la classent dans la catégorie des monuments les plus atypiques de ce pays.
La nuit, les flambeaux allumés sur ses hauts remparts éclairaient le chemin des caravanes de la Route de la Soie. Ces dernières venaient de Khorasân et passaient par cette tour pour ensuite arriver à Rey. Durant la journée, elle servait à mesurer le passage du temps. C’est en raison de cette utilité que le terme "Bordj" est attribué à cette sorte de construction [5]. A savoir, l’ombre du soleil et l’intensité de son rayonnement sur les différentes parties de la tour permettaient à l’homme d’autrefois de déterminer le mois, le jour et l’heure. Ceci s’explique par le fait que chaque mois, la hauteur du soleil à l’horizon ainsi que son orientation géographique vers chaque région varient. Nous avions également évoqué que la tour possède 24 créneaux. Ceux-ci font référence à une période de 24 heures. Il est extraordinaire de voir qu’à l’aube, avec l’apparition des premiers rayons du soleil, le premier créneau de l’Est s’éclaire peu à peu. Après une demi-heure, une moitié de créneau. Après une heure, un créneau entier. Après deux heures, deux créneaux et cela continue jusqu’à ce que le soleil se situe sur le méridien de la région, autrement dit, juste au-dessus du fronton du porche Sud. A ce moment-là, il est dans la position la plus éloignée de l’horizon car les deux porches se superposent au méridien. Au moment où le soleil commence à se coucher, les créneaux de l’Ouest ainsi que ceux de l’Est s’éclairent un à un jusqu’à ce que le soleil disparaisse dans le crépuscule. C’est en fait l’un des attraits les plus séduisants de cette horloge solaire unique dissimulée dans les fins créneaux, et qui fait d’elle un bâtiment historique rare.
La tour Toqrol est sans aucun doute un des grands chef-d’œuvres architecturaux et astronomiques de la Perse. Bien que le passage du temps ait atténué son aspect lumineux d’antan et malgré l’assaut de la modernité, elle conserve toute sa splendeur et nous parle de l’ancienne grandeur de Rey, ancienne capitale de la dynastie des Seldjoukides.
[1] Citation perse ancienne : "Honar Nazd-e Irâniân ast o bas."
[2] Toqrol Beyk, premier roi seldjoukide qui, après avoir conquis la ville de Rey en 1004, la choisit comme capitale de sa dynastie.
[3] Ce grand historien est, selon son propre testament, enterré dans la cour Nord de la tour.
[4] On ne fait plus de fouilles pour retrouver les sépultures car elles risqueraient d’abîmer la structure de la tour.
[5] Le terme "Bordj" fut pour la première fois utilisé pour désigner le passage annuel du soleil dans l’écliptique. Il signifie également "mois".