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L’Iran antique demeure, comme toutes les anciennes civilisations, inconnu ou peu connu ; et nous ne savons guère comment vivaient nos ancêtres il y deux mille ou trois mille ans. Mais l’Histoire garde la trace de la grandeur de cette civilisation. L’une des caractéristiques des cultures développées est l’intérêt qu’elles portent aux sciences, garantes du progrès. En Iran, cet intérêt existait, ainsi que l’atteste les vestiges des grandes universités antiques qui formèrent pendant des siècles les pionniers du savoir humain. La plus importante de ces universités est l’université de Gondi Shâpour.
L’époque sassanide fut marquée par l’accroissement des échanges politiques, culturels et scientifiques avec les grandes puissances. Les connaissances augmentèrent ainsi que l’intérêt de la nation par rapport à la culture.
Les rois sassanides suivirent ce mouvement d’expansion culturelle, notamment en s’intéressant aux sciences diverses et en ordonnant la traduction des grandes œuvres mondiales en pahlavi ainsi que la construction de nombreuses bibliothèques publiques.
A l’époque achéménide, les grandes villes et les capitales avaient toutes leurs centres d’archives et leurs bibliothèques publiques, mais Alexandre le Macédonien ordonna de grands autodafés, plongeant ainsi la Perse dans une stagnation culturelle qui dura près de deux siècles.
Les choses changèrent avec les Sassanides qui tentèrent de redonner à leur pays la place scientifique et culturelle qui lui était dûe. Cet effort se matérialisa à travers le nombre croissant d’instituts éducatifs, de centres d’archives et de bibliothèques qui furent construits sous le règne des Sassanides.
C’est dans ce climat de renaissance scientifique que la ville de Gondi Shâpour se fit remarquer. Bien située, cette ville au doux climat et au commerce florissant proche de la capitale possédait déjà, du fait des chrétiens qui y vivaient en majorité, de nombreux établissements d’enseignement privé. C’est ainsi qu’elle devint rapidement le plus grand pôle scientifique de l’époque, remplaçant ainsi Alexandrie.
L’Alexandrie de cette époque était le centre universitaire le plus moderne du monde. La qualité de l’enseignement et des recherches tant dans le domaine des sciences humaines que des mathématiques était unique, et on peut dire que l’on avait réuni dans cette ville le meilleur de la science mondiale, qu’elle soit occidentale ou orientale. De grandes figures scientifiques de l’époque y vivaient, tels Archimède, Euclide, Plotin, Hippocrate, Ammonies, Philon, Ptolémée et Hipparque.
L’université de Gondi Shâpour fut bâtie en l’an 271 av. J.-C. dans la ville de Gondi Shâpour, l’une des sept villes les plus importantes de la Perse sassanide, par l’empereur Valérien qui avait été fait prisonnier avec toute son armée après sa défaite face aux Sassanides. A l’époque, il était de coutume que les prisonniers de guerre soient commis aux travaux de constructions. D’autre part, on avait besoin d’un camp de prisonniers pour la grande armée romaine tombée aux mains des Perses. Le roi sassanide Shâpour Ier ordonna donc l’agrandissement de Gondi Shâpour, c’est-à-dire du " camp de Shâpour ". On appelait cette ville ainsi car c’était dans ce même lieu que le roi sassanide avait rassemblé son armée pour faire face aux ambitions belliqueuses de l’empereur romain Julien.
C’est ainsi que naquit la ville de Gondi Shâpour, d’abord camp de prisonniers mais qui se transforma très vite en l’une des sept villes les plus importantes de l’Empire perse. Certains l’ont même comparée à Ctésiphon, capitale sassanide.
Cette ville dut sa rapide mutation d’abord à son climat assez doux, puis aux marchands, surtout chrétiens qui vinrent très tôt s’y établir. A la suite de l’immigration massive des chrétiens nestoriens qui bâtirent de nombreuses églises et lieux de culte, la ville commença à être dotée d’une réelle envergure universitaire et scientifique.
Shâpour Ier caressait l’idée de faire de cette ville la plus importante cité universitaire du monde, plus éminente même qu’Alexandrie. Il ordonna donc qu’on y bâtisse une grande bibliothèque qui rassemblerait toutes les grandes œuvres scientifiques et littéraires de l’époque. Puis, toujours insatisfait, il ordonna la fondation d’un centre d’enseignement supérieur qui devint par la suite l’université de Gondi Shâpour, et ce surtout grâce aux efforts des savants chrétiens qui avaient fuit Byzance pour se réfugier en Perse. Grâce à ce centre universitaire, la ville de Gondi Shâpour se fit une place à part parmi les villes importantes et influença non seulement la vie scientifique et universitaire de tout l’empire, mais eut également un poids politique important. Ainsi, elle fut pendant trente ans la capitale du roi Shâpour II sous le nom arabe de " Zolaktaf ".
Shâpour Ier avait l’ambition de transformer Gondi Shâpour en une cité universitaire plus importante qu’Alexandrie et il y réussit, car Gondi Shâpour devint la ville des scientifiques exilés qui subissaient l’anathème des empereurs romains très chrétiens. C’est ainsi que les néo-platoniciens vinrent se réfugier dans cette ville après avoir été frappé d’ostracisme par les Athéniens. Ainsi, après sept ans d’efforts courageux, Shâpour Premier inaugura cette université en prononçant ces paroles : "Nos épées nous ouvrent les frontières. Notre culture et notre science nous feront dominer les cœurs et les esprits."
C’est sous le règne d’Anoushirvan le Sassanide que l’université de Gondi Shâpour connut son âge d’or. Sur la demande de ce roi éclairé, des recherches scientifiques inédites débutèrent, se traduisant par une constante augmentation du niveau scientifique.
La plupart des chercheurs pensent que la faculté de médecine et l’hôpital de Gondi Shâpour ont été fondés en même temps que la nouvelle ville. En outre, certains historiens du Xème siècle estiment que c’est sous le règne d’Artaxerxés que de grands médecins syriaques vinrent s’installer à Gondi Shâpour. En outre, au IVème siècle, de nombreux chrétiens nestoriens immigrèrent de Byzance pour s’installer définitivement à Gondi Shâpour, avec parmi eux de nombreux médecins et philosophes qui enseignèrent désormais à l’université. C’est surtout la faculté de médecine de cette université qui était célèbre. Les manuels de base étaient des œuvres grecques auxquelles on avait rajouté des textes syriaques, indiens et persans.
Le personnel médical enseignant de Gondi Shâpour était hiérarchisé. Le meilleur des médecins devenait chef du corps médical sous le titre de "Dorostbad". Le Dorostbad était souvent le médecin personnel des rois sassanides.
On y enseignait également la médecine chinoise et indienne. On peut donner l’exemple du médecin Borzooye, connu sous le nom de Bozorgmehr et de Bouzarjmehr, qui était le ministre d’Anoushirvan. Il partit parfaire ses études médicales en Inde et c’est dans ce pays qu’il écrivit en sanskrit l’ouvrage Panchatantara qu’il traduisit, dès son retour, en pahlavi sous le titre de Kelile va Demneh. Il était le chef des médecins de Gondi Shâpour et doyen de la faculté de médecine.
Il introduisit avec succès la médecine des plantes parmi les matières enseignées à cette époque qui étaient la médecine générale, la chirurgie, l’alchimie, la dentisterie, la chirurgie vétérinaire, l’ophtalmologie et la guérison par les plantes et par la magie.
La faculté de médecine de Gondi Shâpour était, du fait du grand mélange de cultures et de traditions dont elle était témoin, une faculté laïque où les rites religieux étaient parfaitement séparés de l’étude et du travail. Ce qui reste des travaux de cette faculté a simplement un caractère scientifique sans traces d’une quelconque philosophie à caractère théologique.
La médecine enseignée dans cette faculté étant une fusion bénéfique, nouvelle et constructive des médecines de plusieurs civilisations et non pas simplement l’enseignement d’une seule médecine qu’elle soit grecque, persane ou indienne, elle fournit un terrain propice à de nouvelles découvertes et de nouveaux résultats scientifiques. Le progrès de la médecine dans cette faculté dépassait largement les progrès obtenus par les facultés de médecine romaines ou les écoles chrétiennes de l’époque.
L’université de Gondi Shâpour était située en Iran, mais l’amalgame constant des cultures multiples en a fait une vraie " univers-cité " dotée d’une dimension scientifique et universelle.
Les cours, l’étude et les recherches étaient faits en pahlavi et les étudiants étrangers suivaient d’abord des cours pour apprendre cette langue. Mais on utilisait également des sources syriennes ou indiennes, et certains cours étaient dispensés en syriaque ou en sanskrit.
La faculté de médecine était surnommée " la ville d’Hippocrate " tant la qualité de l’enseignement et le travail de recherche qui y était réalisé étaient bonnes.
Il y avait également un hôpital, où les médecins enseignaient la médecine à côté de l’exercice de leur métier. La plupart d’entre eux étaient des Persans chrétiens et même ceux d’entre eux qui n’étaient pas Persans étaient diplômés de la faculté de médecine.
Plus tard, les hôpitaux et les facultés de médecine de l’Occident moyenâgeux prirent modèle sur la faculté de Gondi Shâpour et plusieurs siècles durant, le système éducatif médical européen fut celui de Gondi Shâpour.
" Philosopher " n’est pas une action réservée à une seule nation. Cependant, certaines d’entre elles ont davantage mis par écrit leurs pensées, les préservant ainsi de l’inexorable érosion du temps. De cette manière, les Grecs ont conservé leurs œuvres philosophiques, dans lesquelles on peut voir la trace de courants de pensée orientale. On peut citer par exemple les œuvres de Pythagore, Platon et Aristote.
Les maîtres de la faculté des sciences humaines de Gondi Shâpour développèrent d’une part la philosophie perse sous le nom de " Sagesse de Khosrow " et d’autre part, étendirent les philosophies grecques, parvenues par voie de traduction aux mains des Perses, en les amalgamant aux diverses courants de pensée orientale, c’est-à-dire la philosophie indienne, syrienne, persane et chinoise. Malheureusement, ce courant de pensée eut une courte vie car l’empire sassanide s’écroula au moment de l’invasion musulmane.
L’une des écoles philosophiques de Gondi Shâpour était celle des néoplatoniciens. Ce courant de pensée était une réunification harmonieuse de la philosophie platonicienne et aristotélicienne. Les maîtres de ce courant de pensée étaient Platon, Saccas, Plotin et Porphyre.
Ce courant philosophique était très à la page à Athènes et à Alexandrie jusqu’en l’an 529, année où l’empereur romain Justinien exila les maîtres de cette pensée et ordonna la fermeture de leur école. Les philosophes néoplatoniciens durent donc quitter leur pays et s’installer aux quatre coins du monde.
Sept d’entre eux élirent la Perse, où l’on connaissait et utilisait couramment les sciences grecques et romaines dans l’enseignement et la vie de tous les jours. Ils vécurent à Gondi Shâpour et c’est dans cette université qu’ils développèrent leur philosophie.
Ainsi, on peut dire que les Perses connaissaient déjà, avant l’islam et l’immense mouvement de renaissance scientifique qu’il provoqua, les philosophies occidentales. Et les œuvres grecques furent traduites plus tard du pahlavi à l’arabe et non du grec.
Si la philosophie était communément enseignée à Gondi Shâpour, on y enseignait également l’astronomie, l’éthique, la géographie, le droit, les sciences administratives, les arts plastiques et la littérature.
Les recherches faites de nos jours tendent à prouver qu’il y avait des organisations et des associations d’enseignements et de recherche au sein même de l’université de Gondi Shâpour. On peut donner l’exemple de l’Association pour la recherche astronomique qui finança la construction d’un observatoire, ou l’association de recherches mathématiques de la faculté des mathématiques. Ces organisations étaient inspirées du modèle de "la Maison des sciences" d’Alexandrie.
L’astronomie de l’époque consistait surtout en géométrie spatiale et en la mise en place des tableaux astronomiques représentant les différentes sphères célestes et les degrés d’inclinaison des orbites. L’astronomie ne prenait donc pas en compte la réalité de l’existence des sphères célestes, domaine qu’elle estimait réservé à la philosophie naturelle. Elle ressemblait en fait beaucoup à l’astronomie ptoléméenne. Les ouvrages astronomiques de cette époque furent par la suite très utilisés par les géographes musulmans pour tracer leurs plans.
Les astronomes étaient également chargés de codifier et de préparer le calendrier au jour le jour car le calendrier avait une importance très grande dans la vie sociale et politique des Perses. Le calendrier des années bissextiles était organisé avec la collaboration des grands statisticiens, mathématiciens, mages, administrateurs et astronomes. Son organisation faisait l’objet d’une grande fête que Birooni, mathématicien et astronome du XIIème siècle, appellait "Fête du bissextile ".
L’une des autres merveilles de l’université de Gondi Shâpour était son immense bibliothèque, l’une des plus grandes au monde. On y trouvait des ouvrages de médecine, botanique, astronomie, mathématiques, philosophie, littérature, géographie, histoire, géométrie et droit, en pahlavi, sanskrit, chinois, syriaque, grec et latin.
L’apparition de multiples écoles et centres d’enseignement supérieur, dont le plus important reste l’université de Gondi Shâpour, mondialement reconnue comme la plus ancienne et la plus importante des universités du monde antique, prouve l’existence d’une renaissance scientifique dans un pays par ailleurs rigide et conservateur dans les domaines politique et sociaux.
L’université de Gondi Shâpour, fondée à l’époque sassanide, ne perdit pas sa place unique après l’invasion musulmane et continua son existence en tant que lieu par excellence d’échanges et de recherches scientifiques, jusqu’au troisième siècle de l’hégire.
Au milieu des pires troubles historiques de la Perse, cette université se présenta comme la gardienne des sciences et de la culture mondiale. Et quand le calme revint et annonça une nouvelle renaissance scientifique, selon le conseil de l’islam qui veut que chaque humain consacre sa vie à la Recherche, elle confia tous ses trésors aux nouvelles générations de savants musulmans ou non, qui surent s’en servir et maintenir haut le flambeau de la science qui éclaira le monde de sa lumière dans les siècles qui suivirent.