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"Kermân est le cœur du monde " disait autrefois le poète soufi du XIVème siècle, Shâh Nematollah Vali. Cela ne semble plus être aujourd’hui une évidence pour bon nombre de voyageurs. Il y a cinq ans, on aurait peut-être encore pu le penser. Car il y avait Bam et sa forteresse. Réel château de sable, cette forteresse était un monument unique au monde. Mais en décembre 2003, le rêve s’envola. Un tremblement de terre de forte magnitude fit s’écrouler la magie de ce lieu. Bam ravagé, Kermân reste-t-elle à visiter ? La route qui mène à Kermân est en outre très longue. Il s’agit de centaines de kilomètres de fournaise et de montagnes désertes. Concernant les abris et les rencontres, mieux vaut ne pas compter dessus dans ce grand désert baloutche qui semble avoir décidément tout ensablé.
Kermân était autrefois un carrefour et non une ville en marge d’un pays. C’est une des plus anciennes villes d’Iran. Mais ce long passé ne fut que très peu marqué par des périodes de paix et de prospérité. Fondée au IIIème siècle avant J-C, sous le règne d’Ardeshir 1er, fondateur de la dynastie sassanide (226-651), elle servait d’avant-poste aux conquêtes vers l’est de l’Empire, c’est-à-dire vers les Indes. Par ailleurs, cette ville se trouvait sur les routes menant au Golfe Persique. Entre le VII et XIIIème siècle, ce point stratégique fut tour à tour dirigé par les Arabes, Bouyides, Seldjoukides, Turkmènes et Mongols. A partir de l’ère safavide et surtout à l’époque des Qâdjârs, la ville connut enfin le calme et la sérénité. Alors que l’on pouvait penser que ce climat allait lui porter avantage, ce fut cette fois son éloignement par rapport à la capitale qui fut l’obstacle majeur à son essor économique. Ainsi, aujourd’hui, Kermân est détrônée par la ville portuaire de Bandar Abbâs. Difficilement accessible par l’intérieur du pays, la cité a été ces dernières années fortement dépendante de ce port. Désormais, l’arrivée du train et la nette amélioration du réseau routier participent à son désenclavement national. Mais des efforts restent encore à faire.
De cette histoire tumultueuse, il reste des témoins prestigieux. En premier lieu, il s’agit de monuments historiques qui sont pour le plus souvent répertoriés comme patrimoine mondial de l’Unesco.
Il y a l’incontournable mosquée du vendredi, un des plus beaux monuments de la ville. Elle fut édifiée au XIVème siècle par une dynastie locale et réaménagée aux XVII, XIX et XXèmes siècles. Ses mosaïques turquoise et blanches, sa faïence et la décoration de la cour centrale intérieure avec ses quatre hauts iwans marquant le style Qâdjâr sont remarquables. Une porte dérobée de la mosquée débouche sur le bâzâr-e Vakil (bazar du régent). Ce bazar, comme tous les bazars iraniens, renferme des caravansérails, des maisons de thé. Par exemple, le bâzâr-e Ganj Ali Khân est disposé autour d’une cour intérieure charmante où se trouve un vieil hammam aménagé en musée ethnologique. En dehors de la rue et des quartiers principaux, se trouve la mosquée de l’Imam. Construite sous les Seldjoukides à la fin du XIème siècle, elle garde de cette époque un minaret et un mihrab. Et, en marge de la ville, demeure un vestige de l’époque où l’Iran tout entier était zoroastrien. Temple de feu ou mausolée, le Gonbâd-e Jabaliye a été construit à l’époque sassanide. S’aventurer jusqu’à ce lieu permet de recueillir quelques impressions de la nature environnante. Les montagnes arides et calcaires encerclent toute cette partie de la ville. Le grand désert baloutche est là, aux portes de la ville. Ainsi, sous le soleil de midi, Kermân peut-elle paraître déchue et fade. La lumière blanche et tremblante du soleil, le ciel bien trop blanc voilent la ville pour lui donner ce petit cachet démodé, mortuaire. Enseveli par cet océan de poussières qui s’étend autour d’elle, la ville semble avoir du mal à respirer dans cet environnement hostile.
La particularité de Kermân ne se limite pas à ces monuments, certes magnifiques. S’aventurer dans cette ville ne se fait pas uniquement avec un guide touristique à la main. Un œil curieux et vif permet de s’imprégner de la culture de ce lieu, apprivoiser la féerie de la cité du désert. En effet, l’atmosphère de Kermân reflète la diversité du pays tout entier. Aux Persans se mêlent les Baloutches de l’est, emportant avec eux un soupçon d’influence indienne. A ce tableau ethnique s’ajoute la présence des zoroastriens, faible mais notoire.
Kermân à la lisière des montagnes arides et sèches au nord-est, Kermân au commencement du désert offre une facette de l’identité complexe iranienne.