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La matrice maternelle
Ne fut point mon début
Même la Terre
N’est pas plus ancienne que moi
Mon œuf est rendu fécond, on dirait,
Dans la chambre à coucher
De Dieu et de Satan
A l’âge classique, Hafez et Saadi furent les maîtres incontestés du ghazal (courts poèmes d’amour). La poésie contemporaine a également le sien : Hossein Monzavi. Ce dernier est considéré comme le sultan du Ghazal, et pratique ce genre avec un talent d’artisan auquel se mêle une sensibilité moderne. Il chante l’amour, mais sa poésie reste désespérément triste, parfois même pessimiste. Il garde en quelque sorte les pieds sur terre, dans le carré de la vie. La forme du ghazal fait office de repoussoir face aux atrocités de cette vie, lesquelles se font jour dans ses poèmes libres. Aussi simple que ça et Je survis avec l’amour sont les deux recueils en vers libres dans lesquels le poète révèle ses angoisses existentielles ainsi qu’un étrange sentiment de départ. Il se plaint de la fuite du temps qui, dans sa fuite, empêche " de cueillir à temps, même le fruit amer dans ce jardin ".
On trouve tout de même chez Monzavi une vision généreuse de la vie. Malgré le fait qu’il ne cesse de se confronter à la grisaille de la vie, il continue de la chanter. Il tente à ce titre de mettre en valeur les rares beautés qui s’y trouvent. Aussi, au lieu de se méprendre sur l’existence, en révèle-t-il la splendeur sous les traits d’une seule et unique fleur. " Relâche donc la gorge de la fleur ! ". Dans cette même optique, il considère le mal comme faisant partie intégrante de l’univers, lequel ne doit guère éclipser les autres aspects du monde. Même si ce mal atteint sa propre vie.
Né en 1947 à Zandjan, Monzavi a mené une vie difficile, voire miséreuse. Il mourut à l’âge de 58 ans d’un cancer du poumon.
Sur la table
Je dispose ma vie
Feuille à feuille
A Dieu
Les vies de papier
Dont le reste solennel
Dépend
Du jeu d’allumettes et du doigt !
De mon guépard le fol espoir fut
De bondir vers la lune
Pour la faire descendre de son éminence
Sur la terre
Mon guépard- mon cœur fier- bondit
Mais il érafla le vide
Car hors de portée
Etait mon amour -ma haute lune-
Adieu, ô fleur épanouie ! Bien que de ta rencontre
L’instant
Fût le début en moi d’une tentation
De voir et de cueillir
Toi et moi nous sommes ces deux lignes
Fatalement parallèles
Croyant tous les deux dès le commencement
Ne jamais nous rejoindre
Nulle fleur morte ne revint à la vie
Cependant
Le printemps n’eut de cesse de souffler
Dans la bignone
J’avais demandé du vin et pourtant la vie
Du poison me versa dans la gorge
Ce vieux malin rusé avait comme prétexte
De ne pas m’entendre
Quel triste destin que celui
Du petit ver à soie
Il s’enfermait dans un cocon la vie durant
Mais il rêvait de vol.
Et l’amour …
J’ai cachées
Dans la poche
Une lettre
Et dans la main serrée
Une fleur
J’ai une douleur
Et une flûte
S’il ne se trouve pas de cime
Donnez-moi le fond d’un puits
Où chanter
Pour mon cœur
Etroit
Est l’endroit
Pour l’amour.
Cette nuit
A un coin de l’univers
Pour moi pleure un œil
A un autre coin
Pour toi
Rit un œil
Quelque part dans un jardin
Une main tenant un œillet rouge
Attend ta chevelure
Et dans ce même jardin
Une autre main
Cueillit des lilas blancs et jaunes
A déposer sur ma tombe
Et personne n’interroge personne
Pour quelle raison
Celle-ci est jaune
Et rouge celle-là ?
Ceci fête
Et cela deuil ?
Qui a pris un exquis petit déjeuner
Avec les vivants
Ne sait rien
Et qui a goûté une agréable collation
Avec les morts
Ne dit rien
La vérité
Est peut-être cela même
Cette même main
Qui m’a bercé
Du berceau jusqu’à la tombe
Ou cette même monnaie
Qui avec ses deux faces
L’amour et la mort
Tourne en l’air
Autant que survit l’univers
Et
On dirait qu’à chaque tour
Elle rit cent fois
De la pomme rouge d’Isaac [1].
Union
En retard j’étais
Peut-être de milliers d’années
Quand un pli se formait
Sur le front de l’eau
Ou lorsque le vent emportait
La griffe sèche du sapin
Nous oublions
Cette ancienne union
Entre et le pli et l’eau
Et le vent et la feuille
Cette union pareille
A celle de l’amour et de la mort
Quand mourait une fleur
Mourait en nous quelqu’un
La tempête
Feuilletait
Nos petits calendriers.
Par ses longues intervalles
Soufflant une angoisse
Dans le temps
Et empaquetant
Les expériences humaines
Dans l’inconstance
Ce vent
Qui passe hurlant
Par-dessus ma tête
Quel monde gelé
Ruine-t-il
Sur les épaules dénudées
De l’Atlas ?
Nostalgie
Le chant
Roule sur la toile
Roule
Dans l’encensoir
Et monte
Tout vert
Dans le flacon
Orossi [2]
Couvre l’horizon
Par son arc
Pareil à l’arc-en-ciel
Glissant sur la marche
Je descends
Du grenier
De l’enfance
Et tombe
Tout droit
Dans le jardin
Du livre ancien
Dont la première illustration
Est celle d’une fille
Peignant
Sa chevelure lisse et noire
Sous la cascade
Et l’ogre épris
Avec ses yeux ronds et endoloris
Change en pierre
Dans la fissure de deux talismans
Nous sommes nous deux
De cette dynastie disparue
Dont tes yeux héritèrent le regard
Et ma gorge les sanglots
Avant que mes larmes
N’ajoutent aux tâches brunes
De ses feuilles
Je referme endolori
Le livre lithographié
* L’intitulé d’un recueil de poèmes de l’auteure