N° 16, mars 2007

Hossein Monzavi
Avec l’amour dans le voisinage du désastre*


Rouhollah Hosseini


La matrice maternelle

Ne fut point mon début

Même la Terre

N’est pas plus ancienne que moi

Mon œuf est rendu fécond, on dirait,

Dans la chambre à coucher

De Dieu et de Satan

A l’âge classique, Hafez et Saadi furent les maîtres incontestés du ghazal (courts poèmes d’amour). La poésie contemporaine a également le sien : Hossein Monzavi. Ce dernier est considéré comme le sultan du Ghazal, et pratique ce genre avec un talent d’artisan auquel se mêle une sensibilité moderne. Il chante l’amour, mais sa poésie reste désespérément triste, parfois même pessimiste. Il garde en quelque sorte les pieds sur terre, dans le carré de la vie. La forme du ghazal fait office de repoussoir face aux atrocités de cette vie, lesquelles se font jour dans ses poèmes libres. Aussi simple que ça et Je survis avec l’amour sont les deux recueils en vers libres dans lesquels le poète révèle ses angoisses existentielles ainsi qu’un étrange sentiment de départ. Il se plaint de la fuite du temps qui, dans sa fuite, empêche " de cueillir à temps, même le fruit amer dans ce jardin ".

On trouve tout de même chez Monzavi une vision généreuse de la vie. Malgré le fait qu’il ne cesse de se confronter à la grisaille de la vie, il continue de la chanter. Il tente à ce titre de mettre en valeur les rares beautés qui s’y trouvent. Aussi, au lieu de se méprendre sur l’existence, en révèle-t-il la splendeur sous les traits d’une seule et unique fleur. " Relâche donc la gorge de la fleur ! ". Dans cette même optique, il considère le mal comme faisant partie intégrante de l’univers, lequel ne doit guère éclipser les autres aspects du monde. Même si ce mal atteint sa propre vie.

Né en 1947 à Zandjan, Monzavi a mené une vie difficile, voire miséreuse. Il mourut à l’âge de 58 ans d’un cancer du poumon.

Sur la table

Je dispose ma vie

Feuille à feuille

A Dieu

Les vies de papier

Dont le reste solennel

Dépend

Du jeu d’allumettes et du doigt !


La lune et le guépard

De mon guépard le fol espoir fut

De bondir vers la lune

Pour la faire descendre de son éminence

Sur la terre

Mon guépard- mon cœur fier- bondit

Mais il érafla le vide

Car hors de portée

Etait mon amour -ma haute lune-

Adieu, ô fleur épanouie ! Bien que de ta rencontre

L’instant

Fût le début en moi d’une tentation

De voir et de cueillir

Toi et moi nous sommes ces deux lignes

Fatalement parallèles

Croyant tous les deux dès le commencement

Ne jamais nous rejoindre

Nulle fleur morte ne revint à la vie

Cependant

Le printemps n’eut de cesse de souffler

Dans la bignone

J’avais demandé du vin et pourtant la vie

Du poison me versa dans la gorge

Ce vieux malin rusé avait comme prétexte

De ne pas m’entendre

Quel triste destin que celui

Du petit ver à soie

Il s’enfermait dans un cocon la vie durant

Mais il rêvait de vol.


Et l’amour …

J’ai cachées

Dans la poche

Une lettre

Et dans la main serrée

Une fleur

J’ai une douleur

Et une flûte

S’il ne se trouve pas de cime

Donnez-moi le fond d’un puits

Où chanter

Pour mon cœur

Etroit

Est l’endroit

Pour l’amour.


Pomme et monnaie

Cette nuit

A un coin de l’univers

Pour moi pleure un œil

A un autre coin

Pour toi

Rit un œil

Quelque part dans un jardin

Une main tenant un œillet rouge

Attend ta chevelure

Et dans ce même jardin

Une autre main

Cueillit des lilas blancs et jaunes

A déposer sur ma tombe

Et personne n’interroge personne

Pour quelle raison

Celle-ci est jaune

Et rouge celle-là ?

Ceci fête

Et cela deuil ?

Qui a pris un exquis petit déjeuner

Avec les vivants

Ne sait rien

Et qui a goûté une agréable collation

Avec les morts

Ne dit rien

La vérité

Est peut-être cela même

Cette même main

Qui m’a bercé

Du berceau jusqu’à la tombe

Ou cette même monnaie

Qui avec ses deux faces

L’amour et la mort

Tourne en l’air

Autant que survit l’univers

Et

On dirait qu’à chaque tour

Elle rit cent fois

De la pomme rouge d’Isaac [1].


Union

En retard j’étais

Peut-être de milliers d’années

Quand un pli se formait

Sur le front de l’eau

Ou lorsque le vent emportait

La griffe sèche du sapin

Nous oublions

Cette ancienne union

Entre et le pli et l’eau

Et le vent et la feuille

Cette union pareille

A celle de l’amour et de la mort

Quand mourait une fleur

Mourait en nous quelqu’un

La tempête

Feuilletait

Nos petits calendriers.


Ce vent

Par ses longues intervalles

Soufflant une angoisse

Dans le temps

Et empaquetant

Les expériences humaines

Dans l’inconstance

Ce vent

Qui passe hurlant

Par-dessus ma tête

Quel monde gelé

Ruine-t-il

Sur les épaules dénudées

De l’Atlas ?


Nostalgie

Le chant

Roule sur la toile

Roule

Dans l’encensoir

Et monte

Tout vert

Dans le flacon

Orossi [2]

Couvre l’horizon

Par son arc

Pareil à l’arc-en-ciel

Glissant sur la marche

Je descends

Du grenier

De l’enfance

Et tombe

Tout droit

Dans le jardin

Du livre ancien

Dont la première illustration

Est celle d’une fille

Peignant

Sa chevelure lisse et noire

Sous la cascade

Et l’ogre épris

Avec ses yeux ronds et endoloris

Change en pierre

Dans la fissure de deux talismans

Nous sommes nous deux

De cette dynastie disparue

Dont tes yeux héritèrent le regard

Et ma gorge les sanglots

Avant que mes larmes

N’ajoutent aux tâches brunes

De ses feuilles

Je referme endolori

Le livre lithographié


* L’intitulé d’un recueil de poèmes de l’auteure

Notes

[1Isaac Newton.

[2Chambre aux portes vitrées donnant sur la cour.


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