N° 15, février 2007

Littérature sans frontières


Arefeh Hedjazi


Souvent, la littérature de camp comprend et la guerre et la vie d’un prisonnier de guerre.

D’abord la guerre, puis commence la difficile vie de camp pour le soldat prisonnier.

La plus importante caractéristique de la littérature de guerre est l’expérience vécue d’une guerre où l’homme est au centre. La plupart des récits de guerre sont des "souvenirs" racontés par le narrateur écrivain. On peut dire que pratiquement tous les récits de ce genre sont présentés sous forme de journal de bord ou de romans entrecoupés de flash-back qui emportent le lecteur au monde des souvenirs du narrateur.

Le récit d’un prisonnier de guerre est ainsi pure vérité, pure réalité. Il n’est pas construit à partir d’éléments imaginaires et disparates. Il prend source dans l’existence même du narrateur.

L’intérêt que nous éprouvons pour cette forme d’écriture ne dépend que de nous, pas du narrateur. Car il s’agit d’une vie d’homme telle qu’elle est, de la vie d’un homme qui n’a peut-être, à un moment donné, même pas eu le droit de respirer. Vous et moi n’avons pas été prisonniers de guerre pour comprendre que toute l’existence d’un homme peut se résumer à un numéro. Donc, ce n’est qu’au travers d’un récit de camp que nous pouvons appréhender, un tant soit peu, la vie des prisonniers de guerre. Cela ne dépend que du besoin que nous éprouvons de connaître cette vie.

D’autres formes de littérature de camp existent également : théâtre, poésie, nouvelles, etc., dont la plus importante est la littérature épistolaire de camp. Chaque lettre d’un prisonnier est ainsi une boîte de Pandore, emplie de secrets, d’images, d’histoires imbriquées les unes dans les autres, des histoires vraies de vraies vies d’hommes pris en otage, vivant dans des conditions souvent dramatiques.

Le genre "épistolaire de camp" et les récits "souvenirs" établissent une relation beaucoup plus étroite entre narrateur et lecteur. Ils jaillissent du coeur de l’auteur, toujours à vif, toujours blessé, difficile à mettre à nu.

Kurt VONNEGUT

Pendant la guerre Iran-Irak, 6 millions de lettres furent échangées entre les prisonniers de guerre iraniens et leur famille.

La littérature de camp est un genre littéraire né au XXe siècle. Ce siècle, depuis peu achevé, a connu de nombreuses guerres meurtrières qui coûtèrent la vie à des millions de personnes et c’est la Seconde Guerre Mondiale qui donna naissance à ce genre littéraire.

Le roman l’Abattoir cinq de l’américain Kurt Vonnegut est l’un des bons exemples de ce genre littéraire. Fait prisonnier pendant la Seconde Guerre Mondiale, Kurt Vonnegut a vu mourir 134 000 personnes à Dresde sous les bombardements alliés.

Le chagrin de la détention est un chagrin profond qui coule toujours comme une rivière de lave brûlante et jaillit un jour ou l’autre du fin fond de l’âme.

Vous savez que le papier et la plume sont interdits dans les camps. Cette interdiction fut maintenue dans toute sa rigueur dans les camps irakiens où étaient prisonniers des milliers de soldats iraniens. Jusqu’à maintenant, nous ne disposons que de deux journaux de bord tenus pendant l’incarcération elle-même. L’un d’eux a été rédigé par un paysan de "Tahamtan Kala", un village perdu d’Amol. L’auteur de ce journal, Javad Mohammadpour, a réussi à consigner plusieurs années de sa vie de camp sur le fin papier à cigarettes que l’on distribuait aux prisonniers. Après sa libération et son retour en Iran, il publia ce journal intitulé " Les murs de Bagdad" comprenant deux volumes.

L’autre ouvrage écrit par les prisonniers pendant leur détention, est en fait le recueil des discours clandestins de Hadj Agha Aboutorabi, que les prisonniers réussirent à mettre sur papier et à ramener en Iran. Ce recueil d’une grande valeur, tant au niveau de la forme que du fond, a été publié sous le titre de "De la terre de Karbala…".

"Un testament espagnol" d’Arthur Koestler est un autre exemple de ce genre littéraire. Koestler, qui suivait la guerre civile espagnole en tant que journaliste, fut fait prisonnier par les franquistes. Ce livre est le fruit de cette incarcération et contient quelques passages tirés de son journal. Koestler n’est resté prisonnier qu’une centaine de jours ; pourtant, la profondeur de son récit en font une œuvre à lire absolument.

Tous les récits de prisonniers de guerre, quelque soit le sujet abordé, sont incontournables car ils traitent de la vie humaine et de la liberté.

Près d’une centaine de récits de ce genre ont été publiés par des Iraniens anciens prisonniers de guerre. Ces livres contiennent tant de sujets variés, tant de regards divers qu’ils forment en fait un champ d’exploration inépuisable pour n’importe quel chercheur avisé.

Le rire par exemple. Le rire d’un prisonnier de guerre ne ressemble pas à celui des autres. Pour pouvoir rire dans un camp de prisonnier, il faut un humour particulier. Le rire d’un prisonnier est le fruit d’un humour tendrement protégé des vicissitudes de la vie de camp. C’est le rire d’un homme qui n’a aucune raison de rire, c’est un rire grave et bon. C’est un rire désabusé, un peu triste mais vrai. En vérité, l’humour a besoin d’une culture humoristique puissante pour naître et heureusement, les prisonniers de guerre iraniens avaient ce don spécial qui leur permettait de rire de tout et de n’importe quoi. Nos soldats étaient pour la plupart de jeunes gens rieurs par nature et par jeunesse et l’on riait souvent de la guerre, même si on était en plein dedans. Et quand ces jeunes hommes étaient fait prisonniers, ils gardaient leur gaieté et leur joie de vivre. Grâce à ce rire, ils supportaient mieux leur détention et leur jeunesse qui se perdait derrière les barbelés de ces terrifiants camps de la mort que les Irakiens appelaient camps de prisonniers. Grâce à ce rire, ils tournaient en dérision Saddam et son régime tyrannique. Ce rire leur permettait de mieux supporter la brutalité, la promiscuité, les coups, les humiliations et la mort lente qui les guettait au camp.

Arthur KOESTLER

La première chose qu’apprend un prisonnier de guerre est de préserver son sentiment d’exister. Nos jeunes gars avaient appris cela, surtout grâce aux efforts du grand monsieur qu’était Aboutorabi.

L’arme du prisonnier de guerre est la parole et le geste, l’ironie désabusée, non pas méchante mais vivifiante. Continuer d’exister corps et âme dans un camp est plus difficile que de se battre au front.

Ce qui est intéressant, c’est que les anciens prisonniers de guerre iraniens ou non ne prennent pas la plume que pour parler d’eux-mêmes. Ils parlent aussi de leurs compagnons, morts ou vivants, qui n’écriront jamais. Ils parlent également d’eux, de leur vie, de leur amitié et des dégradations qu’ils ont subies. Les souvenirs de guerre ne sont pas des souvenirs égoïstes, ils sont des souvenirs d’amitié, de camaraderie, d’amour, et de fraternité. Le prisonnier de guerre n’écrit pas seulement sa vie, il écrit celle de tous ceux qui ont partagé ses peines ou ses joies tout au long des tristes années de détention. Ils se font aider par ceux-là même qui n’écriront jamais pour se rappeler un détail ou compléter leur récit.

On dit que les guerres sont plus grandes que les hommes. C’est vrai et c’est beau.

Si vous savez pourquoi vous mourez, vous savez aussi pourquoi vous êtes blessé, pourquoi vous êtes paralysé, pourquoi vous êtes prisonnier. Pour moi, le sens de cette compréhension réside dans le mot "défense" ; une défense calquée sur la nature humaine, sur ce qu’elle a de plus belle. Dans les guerres défensives, les hommes sont plus grands que leur guerre car ils défendent un idéal qui leur tient à coeur. Les Russes étaient plus grands que les Allemands car ils se défendaient, ils défendaient leur pays, leurs idéaux, leur existence. Les Vietnamiens étaient plus grands que les Américains. Les Iraniens qui se défendaient contre l’armée irakienne des dix-sept pays [1] étaient plus grands que la guerre, car leur guerre avait un sens.

Dans les camps iraniens, il y avait des prisonniers de dix-sept pays arabes qui s’étaient battus sous l’uniforme irakien. Mais l’Iran était seul, pourtant il a gagné car sa guerre n’était pas qu’un simple conflit de territoire. L’Iran put résister à l’ennemi car la volonté de se défendre l’animait.

Et de cette défense sacrée découla naturellement une littérature magnifique, faite par des hommes qui savaient ce que vivre voulait dire. Ces hommes n’attendirent pas la permission des lettrés et des historiens pour laisser jaillir du plus profond de leur être l’essence de leur guerre en traits de feu sur le papier. Ils fournissent un témoignage humain et plus " réel " que les vérités souvent fabriquées à posteriori par les hommes politiques.

Notes

[1Coalition de pays comprenant notamment la Jordanie et la Syrie, qui ont soutenu l’Irak durant la guerre contre l’Iran.


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1 Message

  • Littérature sans frontières 2 septembre 2010 18:34

    UN COOURT POEME 54. EXTRAIT DE SOUS PEI8NE DE MORT .RECUEIL EDITE EN ALGER .EDT/ DALIMEN


    I’AI VU
    LA NEIGE MORIBONDE
    DEVENIR DE LA BOUE
    ET LE SOLEIL
    MOURIR DE GRANDE MORT SANGLANTE
    AU BAS DU CIEL SANGLANT

    J’AI VU
    UN ANGE DANS MA NUI8T
    PROLONGER SA CANDEUR

    MAIS AU REVEIL
    MON ANGE ETAIT BOUEUX ETTRISTE
    ET MON SOLEI8L
    DU SANG HUMAIN VERSE POUR RIEN

    DEPUI8S
    JE NE CROIS PLUS A LA CANDEUR DES ANGES
    ET J’AI HORREUR DU SANG QUI8 SE MELE A LA BOUE

    A
    A MON ENCONTRE SONT VENUS LES CHIENS LES HAINES
    ET JE CONNUS LES SAISONS DURES.

    repondre message