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En opposant toujours les deux tendances de l’âme humaine et en méditant sur leur effets respectifs, Gérard de Nerval a pu expliquer l’influence qu’elles peuvent avoir sur la vie de l’homme.
L’homme est tantôt enclin à la charité et tantôt à la culpabilité, et n’a qu’un seul recours pour être sauvé : la pensée religieuse qui le conduit vers la clarté et la rédemption.
Son ouvrage Aurélia, dans lequel les thèmes du rêve et de la réalité sont abordés à plusieurs reprises, est le champ d’une bataille acharnée entre les deux dimensions de l’âme. Cette lutte qui relève d’une recherche aspirant à connaître la réalité du monde conduit parfois au désespoir, au suicide.
Dans le dénouement d’Aurélia, la réalité de la vie vaincra le songe par la mort. La tentation du suicide est le dernier rappel de Faust dans la vie de Nerval, mais sa réalité modifie la donnée mystique. Le magicien prestigieux n’a plus de recours, plus de ressources. Il n’a pu atteindre ni la plénitude de l’amour, ni la science, ni le bonheur éternel. La clé des songes ne lui a apporté que fantasmes et ruines. Nerval explique d’ailleurs la cause de cet échec dans Aurélia : " Le désespoir et le suicide sont le résultat de certaines situations fatales pour qui n’a pas foi, dans l’immortalité, dans ses peines et dans ses joies " [1]. La tentation du suicide lutte manifestement, dans l’esprit de Gérard de Nerval, avec l’espérance mystique : " A plusieurs reprises, je me dirigeai vers la Seine, avoue-t-il, mais quelque chose m’empêchait d’accomplir mon dessein " [2]. Il dit encore : " Lorsque l’âme flotte incertaine entre la vie et le rêve, entre le
désordre de l’esprit et la froide raison, c’est dans la pensée religieuse que l’on doit chercher des secours " [3].
Nerval a essayé d’achever les grandes lignes d’un édifice spirituel qui, vibrant au vent de la folie, connaissent l’instabilité d’une pauvre âme livrée à ses croyances tout autant qu’à ses démons. Il a cherché jusqu’à la fin de sa vie l’issue salvatrice et l’apaisement de ses tortures de damné dans les fables et les mythes dont il évoquait les symboles comme une réalité tangible. " Il est bien difficile, dès que nous en sentons le besoin, de reconstruire l’édifice mystique dont les innocents et les simples admettent dans leurs cœurs la figure toute tracée", écrit ainsi Nerval dans la seconde partie d’Aurélia [4]. C’est à travers cette "reconstruction de l’édifice mystique " que Nerval est conduit au christianisme.
Pourtant, malgré les fluctuations et les hésitations de sa pensée et de sa foi, un fond salutaire subsiste en lui : l’idée d’un dieu personnel, de bonté et de mansuétude, qui voudra peut-être lui pardonner et lui rendre le bonheur sacré : "Toutefois, dit Nerval, je ne me sens pas heureux des convictions que j’ai acquises" [5]. La foi en Dieu réduit l’inclination de l’âme vers les passions, fortifie sa tendance vers la pureté et remplit le cœur d’une joie éternelle. Dans ce sens, Nerval écrit dans Aurélia que " La conscience que désormais, j’étais purifié des fautes de ma vie passée, me donnait des jouissances morales infinies." [6]
Enfin cette volonté de connaître l’inconnaissable qui entraîne vers le divin les esprits insatisfaits des déductions positives, le conduit à affirmer que : "...Dieu est partout, (...) il est en toi-même et en tous. Il te juge, il t’écoute, il te conseille ; c’est toi et moi qui pensons et rêvons ensemble, - et nous ne nous sommes jamais quittés, nous sommes éternels ! " [7]
[1] Gérard de Nerval, Œuvres, t.1, Aurélia, éd. Garnier Frères, Paris, 1966, p.799.
[2] Ibid, p.802.
[3] Ibid, p.788.
[4] Ibid, pp. 788-789
[5] Ibid, p. 824.
[6] Ibid, p. 823.
[7] Ibid, pp. 791-792.