|
Championne de tennis franco-iranienne, Aravane Rezaï affiche un parcours étonnant :
de 140ème joueuse mondiale l’année dernière et grâce à sa volonté et au soutien de ses parents - notamment de son père qui est aussi son entraîneur-, elle est devenue cette année 40ème mondiale et 5ème joueuse française. Elle a accepté de nous accorder un entretien lors d’un séjour en Iran en décembre dernier, avant de s’envoler pour l’Open d’Australie.
Bonjour. Pourriez-vous vous présenter car ici en Iran vous n’êtes pas connue, alors qu’en France vous commencez à être célèbre.
Aravane Rezaï : Je m’appelle Aravane Rézaï, j’ai 19 ans, je suis née à Saint-Etienne, en France. [1] J’ai commencé le tennis à l’âge de sept ans avec mon père. Mon grand frère, qui a 5 ans de plus que moi, a commencé à jouer à l’âge de deux ans jusqu’à ses sept ans. Mon père disait que j’avais un potentiel plus important que mon frère. Je gagnais des compétitions françaises d’abord au niveau départemental, puis régional contre des filles qui avaient deux ans de plus que moi. J’avais donc du potentiel et au fur et à mesure, mon père a essayé de réduire l’entraînement de mon frère et de plus se consacrer à moi. Jusqu’à maintenant, ça a marché puisque je suis 41ème mondiale et j’espère l’année prochaine être dans le " top ten ", parmi les dix meilleures joueuses mondiales.
Et au niveau français, quel est votre classement ?
Je suis 5ème mais je pense qu’avant l’Open d’Australie, je serai 4ème française. Actuellement, en premier il y a Amélie Mauresmo, en deuxième Marion Bartoli, en troisième Tatiana Golovin, en quatrième Séverine Bremond qui est aussi 40ième mondiale. J’espère qu’avant de jouer l’Open d’Australie, je serai 4ième, mais tout sera fonction de mes résultats futurs.
Avez-vous passé toute votre vie en France ?
J’ai passé presque toute ma vie en France. Jusqu’à l’âge de 15 ans, j’ai beaucoup participé aux tournois français. J’ai été dans une école privée du primaire jusqu’en 5ème et à partir de la 4ème, j’ai pris des cours par correspondance jusqu’en 1ère. J’ai arrêté mes cours il y a deux ans et j’ai l’intention de reprendre dans quatre ou cinq ans. J’ai presque passé toute ma vie en France mais de temps en temps, j’ai voyagé en Iran pour voir ma famille, ce qui est très important pour moi.
Pour l’instant, vous consacrez-vous entièrement au tennis ou avez-vous d’autres activités ?
Non, je m’y consacre complètement.
Cette vie vous plait-elle ?
Oui, bien sûr. C’est une vie complètement différente des autres vies que je vois partout dans le monde. Je suis fière de faire ce sport. Si j’avais fait du foot, de la danse ou de la gymnastique, je pense que je n’aurais pas eu une vie pareille. Le tennis est un sport qui permet de voyager beaucoup. Et dans n’importe quelle situation, on est très médiatisé, car il y a beaucoup de choses en jeu. Pour moi, le tennis est le sport parfait et j’en suis fière.
Quels ont été vos résultats ? Quels prix avez-vous obtenus ?
L’année dernière, je n’ai pas eu de bons résultats mondiaux. J’ai eu de bons résultats français en tant que championne de France junior, vice-championne d’Europe junior avec l’équipe de France, et j’ai également reçu un prix de 50 000$ à Saint-Godains. Mais au niveau mondial, je n’ai rien eu de spécial. Et au début de l’année [2006], j’ai commencé à avoir de bons résultats, notamment à Roland Garros, en passant les trois tours de qualification. J’ai perdu au troisième tour du tableau final, mais pour une fille qui était la 141ème mondiale, c’est quand même pas mal ! Les gens ont beaucoup apprécié ma façon de jouer, et ma façon de me comporter sur un terrain de tennis. J’essaye d’être ouverte vis à vis des gens qui me posent des questions, d’être naturelle. Après cela, j’ai joué à l’US Open, un grand chelem qui est assez médiatisé dans le monde, où j’étais partie avec mon frère. J’ai eu un bon résultat sans passer par les qualifications en perdant au quatrième tour contre la 4ème mondiale.
Contre qui avez-vous joué ?
J’ai obtenu mon meilleur résultat à Roland Garros où, au deuxième tour, j’ai gagné contre la numéro un japonaise Ai Sugiyama, classée 20ème mondiale. A l’US Open, j’ai battu l’allemande Anna-Lena Groenefeld, la 15ième mondiale. J’ai également battu une fille qui était très médiatisée par les sponsorings, la russe Maria Kirilenko qui était la chouchoute du public, la poupée Barbie du monde du tennis. Sans aide, sans mes parents à côté du terrain, j’ai quand même réussi a gagner ce match alors qu’elle était complètement sous la charge du sport management, de l’IMG, et totalement médiatisée par la télé, les magazines, les journaux. Quand ils ont vu que j’avais battu cette joueuse, on a beaucoup parlé de moi dans les médias américains. Il y a eu un grand boum médiatique et cela a été quelque chose d’inoubliable, en France pendant Roland Garros et surtout aux Etats-Unis où vivent beaucoup d’iraniens, et où on accorde beaucoup d’attention aux sportifs de haut niveau qui sont très encouragés, et j’ai beaucoup aimé ce moment là.
Vous considérez-vous plutôt iranienne ou française ?
Je ne peux pas choisir les deux. Je suis franco-iranienne. C’est comme si vous demandiez à une mère quel enfant elle préférait. A la maison, je parle iranien avec mes parents. Je n’ai pas été élevées selon les traditions françaises, je suis restée dans un milieu iranien tout en vivant en France. J’ai été éduquée de façon différente. Mais je joue pour la France.
Est-ce que vous aimeriez jouer pour l’Iran ?
J’ai déjà joué pour l’Iran aux jeux des pays islamiques, mais ce n’était pas quelque chose d’homologué, de réglementé ; c’était juste un regroupement de femmes musulmanes. Mais jouer un grand chelem au nom de l’Iran n’est pas possible. Les conditions vestimentaires ne me permettent pas de représenter l’Iran, mais bien sûr je joue pour la France. Mais on voit sur le circuit féminin des filles qui ont des jupes de plus en plus courtes. J’ai essayé de demander de changer une règle pour que l’on puisse autoriser les filles à jouer en pantalon avec une chemise longue et un foulard. Je crois qu’il y a beaucoup de filles musulmanes qui voudraient jouer au tennis mais qui pour ces raisons ne le peuvent pas. Il y a notamment la joueuse musulmane et indienne Sania Mirza qui a eu énormément de problèmes avec les autorités islamiques. Il y a beaucoup de gens qui lui en veulent de jouer en jupe malgré sa religion, mais le règlement du monde du tennis féminin ne l’autorise pas à jouer en pantalon.
Pensez-vous que le règlement pourrait éventuellement changer ?
Peut-être. Si j’arrive dans le top 10, il pourrait y avoir un petit changement. On va essayer et je vais faire de mon mieux pour changer le règlement. C’est en tout cas un rêve de représenter le tennis féminin musulman. Si l’on me voit sur un terrain de tennis, on m’oblige à jouer en jupe et on voit de plus en plus de débardeurs. J’essaye d’être beaucoup plus classique et je pense que c’est beaucoup plus joli, et cela, beaucoup de gens le comprennent et le respectent.
Pensez-vous que pour les femmes, jouer en tenue islamique est une chose possible ?
Si on a un objectif, tout est possible. J’ai commencé à jouer avec des tenues ouvertes, mais je n’avais pas la tenue islamique. Cependant, je portais toujours un pantalon. Quand je suis venue en Iran, j’ai respecté la tenue islamique. Cela ne me gêne pas et même j’étais fière de porter ces vêtements là ; de montrer que je pouvais porter un voile et en même temps faire du tennis.
Quels sont vos entraîneurs ? Je pense que c’est votre père.
Oui, je m’entraîne avec mon père pratiquement tout le temps. J’ai commencé avec lui et je continuerai avec lui. Et en contrepartie, ma mère m’aide beaucoup sur les circuits et se déplace avec moi dans les tournois. Mon frère, qui est mon partenaire, et ma sœur m’aident également beaucoup.
C’est donc une affaire familiale !
Oui, c’est une affaire familiale et c’est une motivation en plus qui peut aider et encourager.
Le fait que votre père soit votre entraîneur vous a-t-il causé des difficultés ?
Oui, il y a eu des problèmes avec la Fédération [Française de Tennis]. Elle a une mentalité très fermée et ne veut pas que je m’entraîne avec mon père. Elle voudrait que je sois attitrée à son nom. Mais tout le monde sait que des joueurs qui ont atteint un haut niveau, notamment Mary Pierce, y sont arrivés grâce à leurs parents comme les sœurs Williams, Martina Hingis, Agassi,… L’aide de leurs parents a été pour eux primordiale et cela, la Fédération ne l’a pas encore compris.
Avez-vous demandé à certaines marques iraniennes de vous sponsoriser ?
Je n’ai encore eu aucun contact avec des marques iraniennes qui pourraient me sponsoriser. Bien sûr, je suis à l’écoute de tout le monde mais il faut bien réfléchir aux propositions et voir si cela me convient, et ce que je dois faire en contrepartie.
Tout ce que vous faites est à vos frais, y compris les déplacements.
Oui, et même pour les grandes joueuses et le numéro un mondial, tout est à leurs frais.
Vous n’avez donc ni aides ni sponsors ?
Je ne reçois pas d’aide de la Fédération. Bien sûr, j’attends un sponsoring mais l’année dernière, au même moment, j’étais 140ième mondiale et les contrats que l’on pouvait me proposer dépendaient de mon classement du moment. Cependant, en un an, j’ai gagné 100 places, ce qui fait que le budget du contrat a totalement changé. Je ne peux pas me permettre de signer un contrat en début d’année et avoir le même en fin d’année alors que j’ai gagné des places. J’attends pour signer un éventuel gros contrat.
J’imagine qu’à cause du manque de sponsoring, les débuts ont dû être très difficiles.
Toutes les autres joueuses savent mon histoire, qui est totalement différente de celles des autres. Durant ces sept dernières années, j’ai fait mes tournois en camping-car. [2] C’est très différent des autres qui avaient des budgets familiaux considérables et qui pouvaient se déplacer et avoir des conditions favorables pour jouer au tennis et moi, je n’avais pas ces conditions là pour pratiquer le tennis et avoir de bons résultats. Donc j’ai joué mes matches avec plus de difficultés que les autres et cela fait ma force sur un terrain de tennis devant des milliers de gens. Je me dis qu’avec ce que j’ai enduré maintenant, je sais que je peux me battre, et peut-être que si je n’avais pas eu ces moments difficiles, je ne serais pas aussi combattante aujourd’hui. Je le prends bien, je n’ai pas de mauvais souvenirs. Au contraire, cela reste pour mon une expérience positive et qui peut-être me donne plus de force qu’aux autres joueuses.
Maintenant que vous avez définitivement abandonné votre camping-car, êtes-vous hébergée par la fédération ?
Non. Même pour la numéro un mondiale, les déplacements ne sont pas payés. Tout est aux frais de la personne. La Fédération est un rassemblement de dirigeants qui aident pour certaines choses mais pas dans ce domaine, à part pour la Féd Cup [3] où il y a une cotation mais sans plus. Tout reste donc à la charge des joueuses.
C’est peut-être pour cela que l’on dit que le tennis est un sport de riches ?
C’est certainement cela. En Iran, je sais que le tennis est un sport difficile à pratiquer si on n’a pas beaucoup de moyens. En France, c’est devenu totalement différent. Chaque enfant peut aller dans un club qui lui prête une raquette et il peut jouer au tennis. Mais les conditions en Iran sont différentes, et font qu’un jeune enfant qui n’a pas les moyens ne peut pas jouer au tennis. En France, même si on n’a pas les moyens, comme ce fût mon cas, on peut avoir accès à un terrain de tennis. Cependant, en Iran, le monde du tennis peut évoluer. Si la Fédération iranienne consacre une partie de son budget pour aider les jeunes enfants qui viennent de commencer, les encourage et les motive, je crois que le tennis en Iran aura beaucoup d’avenir. Je sais que dans les arts martiaux et les sports de combat, l’Iran est toujours en tête de chaque compétition. Je sais aussi que les jeunes d’ici sont très combattants et très sportifs, et si on leur donne les moyens de jouer dans de bonnes conditions, je crois qu’ils peuvent aller beaucoup plus haut qu’ils ne le sont actuellement.
Est-ce que vous pensez que les infrastructures du tennis en Iran sont suffisamment développées ?
Quand je suis venue ici l’année dernière, il n’y avait pas de terrain en dur mais maintenant à Karadj, il y en a un grand nombre. En un an, il y a eu des changements incroyables. Il y a deux différents clubs ici à Karadj. Il y a aussi des terrains en terre battue à Téhéran. Je pense donc qu’ici, les conditions sont assez bonnes. Bien sûr, il y a des choses à régler, à changer ; il y a des terrains qui ne sont pas standards, mais ils ont fait le plus difficile qui est de construire des terrains dans des villes comme Karadj qui n’ont pas beaucoup de budget. On peut espérer que ce sera comme une locomotive qui suscitera d’autres projets.
Selon vous, y a-t-il de grands joueurs de tennis en Iran ?
En Iran, oui, mais qui ne sont pas classés au niveau mondial. Ici, il n’y a pas de jeunes qui peuvent exploser d’un seul coup car comme je l’ai dit, il n’y a pas de budget suffisant pour les motiver. Mais si il y avait davantage de moyens, il pourrait y avoir une concurrence et le niveau pourrait augmenter.
Revenons à vous, quels terrains préférez-vous ?
J’adore le dur et les surfaces rapides, mais j’ai eu beaucoup plus de résultats sur terre battue. C’est technique.
Quelle est pour vous la plus grande joueuse mondiale ?
J’ai toujours aimé Steffi Graf et André Agassi. Je pense que ce sont les deux plus grands joueurs mondiaux. Agassi reste un symbole, un modèle.
Avez-vous joué contre eux ?
Non, jamais je n’ai eu cette occasion.
Quels sont vos projets d’avenir ?
Etre la première joueuse mondiale mais je voudrais aussi faire quelque chose de plus marquant, entrer dans l’histoire du tennis féminin, gagner les quatre grands chelems [4] quatre années de suite. C’est mon plus beau rêve, le plus grand objectif, totalement différent des autres joueuses.
Après être restée une semaine en Iran pour vous entraîner, vous partez bientôt pour l’Australie ?
Oui, je me suis entraînée sur une surface qui est exactement la même que celle de l’Open d’Australie, mais je suis aussi revenue pour voir ma famille, me ressourcer, me remotiver. Pour moi, c’était important de revenir ici et de m’entraîner.
Pensez-vous remporter l’Open d’Australie ?
On ne peut jamais savoir à l’avance… Il faut respecter chaque joueuse qui vient en face, qui joue très bien. Par exemple Sharapova…. elle non plus n’est pas venue pour perdre, donc si on joue ensemble, on va se battre et que la meilleure gagne.
Jusqu’à quel âge peut-on faire du tennis ?
Si le corps le permet, jusqu’à 35 ans.
Etes-vous attachée aux traditions iraniennes ?
J’aime bien la tradition iranienne qui est de faire un vœu en ouvrant le livre de Hafez, ce que je fais presque avant chaque match. Pour moi c’est important, c’est différent des autres joueuses et j’adore faire cela. C’est traditionnel. Les autres joueuses me demandent ce que je fais et je leur explique les traditions iraniennes, la culture iranienne qui est différente des autres cultures.
Quelles sortes d’entraînements physiques pratiquez-vous ? Faites-vous de la musculation ?
Non, rien que du tennis et de l’entraînement physique. Je fais des vitesses incorporées dans le tennis, un peu de vélo pour maigrir. Il y a beaucoup de filles qui font de la musculation mais pas moi, et cela ne m’empêche pas de frapper beaucoup plus fort que certaines qui sont musclées. C’est un entraînement de tous les jours. Chaque balle est importante et demande de la concentration. C’est difficile de se motiver mais heureusement, il y a mes parents à côté. Si j’ai un moment de descente, ils me poussent, si je suis au top, j’essaye de me surpasser.
Est-ce que vous savez quelle vitesse atteint votre frappe de balle ?
Au niveau du service, je fais 192-195 km/h.
Je vous remercie de cet interview au nom de la Revue de Téhéran, et bonne chance pour l’Open d’Australie.
[1] D’où sa nationalité française.
[2] Pour l’histoire, il leur est arrivé un jour alors qu’Aravane jouait en Autriche d’avoir - 30°C dans le camping-car.
[3] Féd Cup : équivalent féminin de la Coupe Davis (hommes).
[4] Open d’Australie-Tournoi de Roland-Garros-Tournoi de Wimbledon-US Open.