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Voir en ligne : Tel qu’en lui-même, enfin : l’espacementalisme
Au commencement du mot
Paraît toujours la fin d’une chose
Qui n’est pas mot
Ce que je vois
Dépasse la vitesse de l’étant
Et ce que je ne vois pas
Dépasse les lèvres
Et au commencement était l’attente. Traînant sur les bords de l’existence, dans ce loin lointain, où règne l’obscur, on entendit le mot et surgit le monde. Le mot fut le monde. De ce commencement, entre autre, la poésie rendit l’écho. Elle se fixa pour objectif d’extraire sans cesse le monde de l’obscurité, de l’oubli. En ce sens, la poésie est, pour reprendre le mot de Blanchot, une quête orphique. Dans cette même optique prend place le travail poétique de Yadollah Royaï, le plus éminent représentant d’une veine contemporaine de poésie formaliste en langue persane : la "poésie de volume" ou l’"espacementalisme" qui suggère au poète de pousser encore plus loin son expérience, en dotant l’image d’une dimension nouvelle, une troisième, faisant office de liant entre deux mots (ou plus) en vue de réaliser une image inédite, et le surgissement d’un volume :
Deux choses qui se touchent
Touchent une troisième
Le toucher
Le poète est ainsi amené à découvrir, grâce à ses manipulations, de nouvelles dimensions dans les mots et dans la syntaxe. Le mouvement s’empare alors du sens et de la lecture, pour faire du morceau poétique, de l’œuvre dans son ensemble, un objet singulier et complexe, difficile d’accès.
Né en 1933 à Damghân, au cœur du désert iranien, Royaï vit à présent en France où il a publié de nombreux ouvrages de poésie dont : Dans les années nocturnes en 1994, Et la mort était donc autre chose en 1997 et La pensée en je signature en 2004. Parmi ses premiers ouvrages, on peut citer Les poèmes de mer en 1967, De je t’aime et Les nostalgies en 1968.
Quelle lèvre en moi
S’installa dans l’espace des instants
Et chanta ?
Quel besoin en moi
Ouvrit sur le passé
Les fenêtres de mon mot ?
De toi je parle de doucement
De toi je parle de te dire
De toi je parle d’avec liberté
De toi quand je parle
Je parle
De l’amant
Du mystique
De je t’aime
De je t’aimerai
De penser au passage en solitaire
Moi avec le passage par ton cœur je traversais
Moi avec le voyage du noir de tes yeux est beau
Je vivrai
Moi avec dans ton espoir
Je subsisterai
Moi avec en parlant de toi
Je chanterai
Nous tenons nos souvenirs du nocturne
Nous tenons nos souvenirs de la fuite
Dans la mémoire
De la jouissance promise dans le secret
Les souvenirs nous sommes des chuchotements…
J’aime le parler de toi
ش un éclat de doucement
J’aime l’entendre de toi
Sois le rare plaisir de l’entente !
Toi, de par la ressemblance, de par la beauté
Sois le voir pour mes yeux assoiffés !
La mort du visage
Ta bouche ouverte
Un bras fut
Pendu
De l’épaule, de la prière
Bouche fermée te voilà
Voici le bras de mes paquets
Versés sur l’épaule dans l’injure
Bouche close, la galaxie
Gelée dans l’étang
S’ouvre doucement
Fatiguant la forêt
A mes oreilles
Parle doucement !
Que mon vol d’armes
De tes lèvres
Parvienne à cacher
Au creux de tes lèvres
Et la galaxie et l’étang.
La ruine s’élève de ton regard
Quand
Se lève ton doigt
Mystère je deviens
Et m’enroule autour de ton doigt
Alors qu’il indexe les ruines
Ton doigt se levant avec ton regard
Enroule mon visage
Dans cette voix qui rampe
Sur les bancs de la souffrance
Et mon visage
Ce familier de la souffrance
Se mêlait aux lattes de torture
Sur le soi des lattes
Et les lattes en soi
Se faisaient miroir
Pour le miroir.
Avec les yeux de l’étrangeté
Mes prunelles furent le temps
Et l’errance du genou dans la plaie
Et le fouet de la signature sur le dos.
Du mensonge dans la douleur il y avait
Et de la calomnie dans l’épopée
Et sous le joug, des têtes
Lançant leur sommeil la nuit
Au plein milieu de leurs cheveux.
L’ancienne citadelle
Se réveillait
Dans un triomphe sauvage
Sur les toits de la ville
Au moment où la flamme
Montait l’arbre nocturne
Le vieil architecte
Joua de son médiateur
Au lieu de la folie
Sur le corps du monde.
A l’instant de la cendre
De feu fut ma conduite
Quand j’apercevais
Un nuage
Pleurer ma cage.
Ma prison pleuvait dans le tumulte du feu
Quand
La haute conduite de l’eau
Retournait avec les marges renversées
Je me gonflais d’artificiels songes
Comme si des cyclones
Et la lumière
Se déformaient sur le monde non éclos
De la mort
Au sein d’un ciel de vents
Et de voix cristallines
A l’instant de la cendre
Un nuage pleure
Ma cage mondaine
Quand la haute conduite de l’eau
Est en forme de cage
Quand
En forme de liberté est la mort
A l’instant de la cendre.
La mort en chemin
Et la mort
Fut en forme de corde, attendant la mort,
Et sur le chemin, attendant la mort
S’en allait avec la mort attendant
Quand la corde vit son miroir
Et que la mort reconnut la mort
Une transparence vit le soldat condamné
Et dans la transparence du miroir
Elle réfléchit :
Je suis mercure.