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Un homme d’un certain âge s’approcha d’une jeune femme qui se prenait pour une beauté et lui demanda, perplexe :
-Excusez-moi, Mademoiselle. Vous ne seriez pas Sharon Stone par le plus grand des hasards ?
- Non, mais…, répondit la jeune femme en minaudant.
L’homme s’empressa d’ajouter :
-Ah ! C’est bien ce que je pensais parce que…
-Mais tout le monde trouve que je lui ressemble beaucoup. Pas vrai ? dit-elle en lui coupant la parole.
Après avoir mûrement réfléchi, l’homme répliqua d’un ton ferme :
-Non, ils ont décidément tous tort ! Sharon Stone est d’une beauté à couper le souffle, alors que vous n’êtes pas belle du tout. Voilà comment j’ai deviné que vous n’étiez pas Sharon Stone.
-Comment oses-tu me dire ça ? s’écria-t-elle furieuse. Ne sais-tu pas comment on s’adresse à une femme ? N’en n’as-tu donc pas fréquenté dans ta vie ?
-Si, mais aucune d’elles ne s’est jamais prise pour Sharon Stone !
-Et alors ? contesta-t-elle vivement.
Sur un ton propre aux détectives, l’homme répondit :
-Voyons, c’est bien simple. Comme vous pensiez avoir un faux air de cette actrice célèbre, je cherchais uniquement à vous apprendre la vérité, bien qu’elle soit très douloureuse.
-اa ne te regarde pas pour qui je me prends ! Tu as bien compris ?
Et ceci dit, elle s’apprêta à lui flanquer une gifle.
اa lui apprendra à se moquer des autres !
Le malheureux recula, pensant qu’il serait plus sage de poursuivre son chemin. Mais la jeune femme n’avait pas du tout l’intention de le laisser s’en tirer à si bon compte. La foule de gens, qui s’était rassemblée, préférait pour sa part que la querelle se poursuive. Cette scène comique aiguisait la curiosité de ces citadins dont les vies étaient dépourvues de toute joie.
Décidément amusé par cette mise au point ridicule, un jeune homme lança :
" Ne bouge surtout pas de ta place ! Il faut régler cette question au plus vite."
Rouge de colère, un vieillard s’écria :
" Alors ça, c’est du jamais vu ! Où sont donc passées vos bonnes manières ? Un homme de votre calibre, tiré à quatre épingles, devrait avoir plus de tact dans ses relations sociales. Ma foi ! Les gentilshommes, cette espèce menacée, sont en voie de disparition. Que le ciel nous vienne en aide ! "
Un troisième, de nature plus sereine, dit :
-Allons, un peu de calme. Prenez le temps de respirer jusqu’à trois. Ce n’est quand même pas la fin du monde. Nous allons tirer cette affaire au clair ensemble.
Malgré tous ces yeux qui étaient fixés sur lui comme des aimants, l’homme essayait de trouver un moyen pour s’enfuir. Essayant de voir ce qui retenait tous ces gens, un jeune homme lança d’une voix sifflante :
-Qu’est-ce qui se passe ici, Mademoiselle ? Cet homme vous tape-t-il sur les nerfs ? Sa présence vous opportune ?
- Gêner ? Quelle drôle de question ! Cet écœuré… ce salaud est en train de me rendre folle !
Un drôle de spectacle s’offrait aux yeux des nombreux curieux qui s’étaient rassemblés :
La " belle ", suivie de quelques autres personnes, courrait après le jeune homme infortuné qui détalait à toutes jambes. Ils se rendaient tous au commissariat.
Dès qu’ils arrivèrent au commissariat, la jeune femme commença à relater le cours des événements, avant même de donner la chance au pauvre agent de lui poser la moindre question.
-Monsieur, commença-t-elle d’une voix remplie de haine, j’ai une plainte à déposer contre cet homme. Il m’a humiliée en public !
L’agent aux joues creusées par de profondes rides se tourna vers cet étrange homme qui profitait de l’occasion pour se donner un coup de peigne et lui demanda :
-Est-ce vrai ?
-Je lui ai seulement dit qu’elle ne ressemblait pas à Sharon Stone. C’est tout. Si c’est un crime d’apprendre la vérité à quelqu’un sur son apparence physique, dans ce cas je me déclare coupable.
L’agent n’en croyait pas ces oreilles ; il n’avait jamais vu ni même entendu un cas pareil ! Il dévisagea la jeune femme à son aise ; elle était vraiment un beau brin de fille.
-On aura donc du fil à retordre avec vous, dit l’agent.
-N’en doutez pas ! lança-t-il.
- اa ne le regarde pas pour qui je me prends ! reprit-elle.
-Oui, elle a raison, dit l’agent en prenant parti pour elle. اa ne vous regarde pas pour qui elle se prend ?!?
-Vous avez l’habitude de tout répéter banalement comme un écho ? demanda l’homme d’un ton amusé.
-Qu’est-ce que vous entendez dire par là ? demanda l’agent de police aussitôt.
-Voyons, ne faites pas semblant de ne pas comprendre. Laissez-moi vous expliquer ça en d’autres termes. N’exagéreriez-vous pas un petit peu ?
Agacé de ne pas avoir compris du premier coup, l’agent s’écria :
-Répondez à ma question sans détour !
-ةcoutez-moi bien, mon cher. Laissez-moi vous éclaircir certaines choses. Comme je vis dans cette société, je me sens concerné par tout ce qui se passe dans mon entourage. Je ne peux donc pas me permettre d’être indifférent à ses problèmes. Je me sens responsable monsieur…je dirais même éminemment responsable. Se prendre pour une grande personnalité est une nouvelle maladie qui se répand à toute vitesse dans notre ville et ne cesse de faire de nouvelles victimes. Je ne veux pas que ces pauvres gens vivent dans l’erreur. Je vous prie de ne pas prendre mon diagnostic à la légère, monsieur l’agent. La situation est très préoccupante. Hier, j’ai vu une vieille dame qui se prenait pour Sophia Loren ! J’ai mis un temps fou à lui faire comprendre qu’elle se trompait. Bon, pour être franc, j’avoue que je ne suis pas sûr d’avoir réussi mon coup. En fin de compte, la pauvre n’avait pas l’air très convaincue. Hier même, l’agent Minoucheri m’a reçu à bras ouverts au commissariat numéro, voyons voir… treize. Un type très sympa d’ailleurs.
L’agent sortit un stylo de sa poche et mit un peu d’ordre dans les feuilles éparpillées sur sa table.
-Ah ! Je commence à comprendre, dit-il. Vous avez donc l’habitude d’embrouiller la pensée des femmes et de leur poser des problèmes.
-Oh, non Monsieur. Dieu merci, je ne croise pas ces gens tous les jours dans la rue. Mais bon… j’avoue que parfois ça arrive même deux fois par jour. Enfin, il n’y a pas vraiment de règle générale. Vous allez peut-être sourire… Il y a même des hommes qui sont atteints de cette maladie. Certains se prennent pour Marlon Brando, d’autres pour Alain Delon ! Et ce qu’il y a de plus intéressant dans toute cette histoire, c’est qu’il y a même des gens qui se prennent pour des savants…On vit dans un vrai monde de fous !
La jeune femme se remaquilla avec coquetterie, replaça son miroir dans son sac à main et déclara sur le ton de la victoire :
-Un raseur professionnel quoi ! Je suis ravie de t’avoir arrêté.
-Non, Monsieur l’agent, dit-il pour se défendre. Raseur ? Alors là, pas du tout, et encore moins raseur professionnel ! Et qu’est ce qu’" arrêter " veut dire ? Je vous ferais remarquer que je ne suis pas un fugitif non plus.
-Vous donnerez les explications nécessaires au juge, dit l’agent qui commençait à en avoir assez de cette histoire invraisemblable. C’était vraiment beaucoup de bruit pour rien.
-Remplissez ce formulaire, dit l’agent en s’adressant à ce sauveteur de l’humanité autoproclamé.
-Vous aussi, dit-il en tendant quelques feuilles à la coquette jeune femme.
-Mademoiselle, auriez-vous l’amabilité d’écrire votre numéro de portable ? dit l’agent après avoir longuement examiné les feuilles.
-Certainement, dit-elle en retour.
-Dois-je vous donner mon numéro de portable moi aussi ? demanda l’homme d’une voix étouffée.
-Oui, ça serait une bonne idée, répondit-il.
-Mais… je n’ai pas de portable ! dit-il d’une petite voix.
-Nom d’une pipe ! Alors pourquoi m’avez-vous posé cette question ? grommela l’agent entre ses dents.
-Je voulais juste m’assurer que ça ne dérangeait pas, dit l’homme soulagé.
- Je vous assure que ça ne pose aucun problème ! répliqua l’agent à bout de nerfs.
- Pourriez-vous me répéter, Mademoiselle, la cause de votre plainte de façon plus précise ? J’ai du mal à la formuler par écrit.
-PLAINTE : AUCUNE RESSEMBLANCE AVEC SHARON STONE. Comique, non ? Alors que vous m’avez traité de salaud et d’écœuré ! répondit l’homme d’un air ironique.
-Une fois que le dossier sera complet, vous irez tous les deux au tribunal. C’est au juge de faire le nécessaire…
-En principe, le juge tirera cette affaire au clair. Il nous dira, en fin de compte, si cette jeune femme ressemble oui ou non à Sharon Stone. Un travail de patience, mais d’espoir, s’exclama l’homme, satisfait et pensa :
" Le pauvre ! اa sera terriblement difficile pour lui de se faire une opinion.
Surtout s’il examine la question de près. "
-Mais non, dit l’agent. Il n’y a que les faits qui l’intéressent. Vous avez humilié cette jeune femme et lui avez causé, ne l’oublions pas, de nombreux problèmes. Le juge se penchera sur ce cas et prononcera ensuite sa sentence.
Puis, jetant un coup d’œil sur sa montre, il dit :
-Comme le temps passe vite ! On va bientôt fermer. Vous allez passer la nuit ici et demain matin, vous irez au tribunal.
L’homme se retourna vers la femme et dit :
-J’ai étudié votre ravissant visage de plus près et il me semble, à présent, que j’ai mal jugé. Vous ressemblez drôlement à Sharon Stone.
-Vous pensez vraiment ? dit la jeune femme, ravie.
-Oui, je n’ai jamais été aussi sûr de quoi que ce soit dans toute ma vie. La ressemblance même est frappante, je vous jure. Sinon, pourquoi ai-je aussitôt pensé à Sharon Stone parmi tant d’autres vedettes ?
-Je rêve du jour où je pourrais finalement la rencontrer et voir si elle aussi trouve qu’on se ressemble comme deux gouttes d’eau, dit-elle d’un air distrait.
-Elle aussi sera étonnée de voir à quel point vous lui ressemblez. N’en doutez pas ! dit-il convaincu.
La femme s’adressa à l’agent :
- Je veux retirer ma plainte, dit-elle. Ce que je crains par-dessus tout, ce sont les ennuis avec la justice. Pour ce qui est de ces feuilles… déchirez-les qu’on en finisse au plus vite.
-Il n’en n’est pas question ! Le juge s’acquittera de son devoir.
-Même si je retire ma plainte ?
- Impossible ! اa serait une infraction à la loi.
- Et votre système judiciaire a le numéro de portable de cette dame, lança l’homme en prenant le temps de savourer cette nouvelle victoire.
L’agent fit la sourde oreille et dit :
- اa sera difficile, mais je vais faire mon possible.
L’homme se leva et se dirigea lentement vers la porte, mais avant de sortir, il se retourna vers l’agent pour lui demander :
-Est-ce que je pourrais vous poser une dernière petite question ? Je me la suis posée plusieurs fois depuis que je suis entré dans cette pièce. Je meurs d’envie de savoir si...
-Allez-y ! Posez la sans plus tarder, dit l’agent en déchirant les feuilles.
-Ne ressemblez-vous pas à Sherlock Holmes ?