N° 14, janvier 2007

Ce doux sentiment, après trente années d’éloignement


Afsaneh Pourmazaheri, Farzâneh Pourmazâheri


Mohammad T. Zarindast, réalisateur, auteur, acteur et producteur international de films, est de retour en Iran après une trentaine d’années d’absence en vue d’y poursuivre ses activités de cinéaste. Au travers de plus de vingt films produits en Iran et aux Etats-Unis, Mohammad Zarindast a apporté, bien au-delà de nos frontières, la confirmation de son talent artistique. Il a également engagé une étroite collaboration avec son frère Alireza Zarindast, l’un des cadreurs les plus en vue de notre cinéma national. Dans un entretien accordé à la Revue de Téhéran, ce dernier formule avec passion et optimisme ses vues et ses hypothèses concernant l’avenir du cinéma en Iran.

-Afsaneh Pourmazaheri : Pourquoi avez-vous décidé de rentrer en Iran après environ trente ans de carrière dans le monde du cinéma américain ?

-Mohammad Zarindast : Dans la vie, certains événements sont pour le moins inattendus. Il faut savoir profiter des occasions qui se présentent. Aux Etats-Unis, je n’ai pas pu atteindre mon idéal qui était de produire des films dans les studios les plus en vue - faute de budget évidemment (plus de cents millions de dollars par film). En plus, comme vous le savez - cette remarque est un constat et n’a rien de péjoratif-, le cinéma d’Hollywood est "dirigé" par des membres de la communauté juive américaine. Ces derniers ne sont pas particulièrement enclins à collaborer avec des cinéastes non juifs. J’avais pour ma part en tête des projets, il est vrai, risqués, dont les budgets avoisinaient les 60 millions de dollars, sur des durées de quatre ou cinq années. Par exemple, j’avais écrit le scénario de mon dernier film intitulé "Vertige " en langue anglaise, et je comptais sur Robert De Niro et Leonardo DiCaprio pour jouer les rôles principaux. Ce projet n’a malheureusement pas pu se réaliser aux Etats-Unis. Ensuite, au cours de deux voyages en Iran où je devais participer au festival de Fadjr, j’ai pu établir des liens avec l’Institut Farabi. J’ai par ailleurs visionné des films iraniens qui m’ont beaucoup plu. J’étais déjà au courant du succès acquis par certains de nos réalisateurs au Festival de Cannes. Qu’il s’agisse de Makhmalbâf, de Majidi ou de Kiarostâmi. Fort de mon expérience du métier et des neuf films que j’avais déjà réalisés en Iran, j’ai décidé d’apporter le scénario de "Vertige", et d’en faire en Iran un film iranien, oriental. Là-bas, il manquait aussi à ma vie une certaine dose de spiritualité. Mon retour au bercail y remédia. La chaleur de la vie iranienne et la gentillesse du public m’ont particulièrement réjoui. Ce qui m’a permis, quant au film, de me pencher essentiellement sur sa qualité, et non plus sur des problèmes bassement financiers.

- Farzaneh Pourmazaheri : Vous avez dit que "Vertige " était écrit en anglais, avec un thème (si je ne me trompe pas) historique. Comment êtes-vous parvenu à transformer l’histoire pour l’adapter au contexte iranien ?

-M. Z. : ہ vrai dire, dès le début j’avais envisagé et développé une histoire en rapport avec l’Iran. Comme on le sait, après la Seconde Guerre Mondiale, les alliés ont quitté le pays, mais les Russes sont restés en Azerbaïdjan. C’est à ce moment-là que le parti Toudeh (communiste) s’est constitué. Simultanément, en Grèce, les Italiens et les Allemands ont envahi le pays. La guerre a pris fin et les soldats ont évacué les territoires qu’ils occupaient. Vous pouvez constater que les faits historiques dont il est question ne posaient aucun problème de traitement, malgré le changement de cadre de production.

- F.P : En quoi consistait l’idée centrale du film ?

- M.Z. : Le but n’était pas de décrire la guerre et sa brutalité. C’est l’histoire d’amour d’un homme en quête d’une vie perdue ; le récit d’un homme longtemps séparé de son pays natal, qui rentre chez lui après trente années d’exil.

- A.P : Quels sont les projets que vous êtes parvenu à mener à bien depuis votre retour ?

- M.Z. : J’ai réalisé quelques films que nous avons également doublés. S’agissant de "Vertige ", j’ai l’intention de le faire doubler bientôt. Actuellement, je m’occupe de mon nouveau scénario intitulé " La Cache ". J’ai trois autres projets assez originaux dont je m’occuperai en temps voulu. Pour le moment, j’attends impatiemment la projection publique de "Vertige", mais aussi le tournage de " La Cache ". Je suis très motivé, et j’ai la sensation d’une véritable renaissance artistique. J’ai enfin trouvé la nourriture spirituelle qui me manquait. La vie en Iran me satisfait. J’ai beaucoup d’amis, et d’une manière générale, les gens sont vraiment gentils. Même si je devais abandonner ma carrière, je ne regretterais jamais d’être revenu, parce que j’adore mon pays.

- F.P : En dehors de la réalisation, vous êtes-vous jusqu’alors exercé dans d’autres domaines ?

- M.Z. : Toute ma vie se résume au cinéma et au théâtre. Pendant des années, mes amis m’ont suggéré d’acquérir un hôtel ou un restaurant, mais je n’ai jamais pris cette idée au sérieux. Il n’y a pas que l’argent dans la vie.

- F.P : Cependant, dans le domaine cinématographique, vous êtes à la fois réalisateur, acteur, producteur et scénariste.

- M.Z. : J’ai commencé à jouer dans le théâtre de Shir-o-Khorshid (Le Lion et Le Soleil) à Tabriz lorsque j’étais enfant. Mon père y possédait également un hôtel. Des acteurs venaient d’Azerbaïdjan (de Bakou) et y organisaient des représentations. Le coin leur avait tellement plu qu’ils sont restés, même après la guerre. Et c’est ainsi que leur théâtre a survécu. En rentrant chez moi après l’école, j’assistais parfois à leurs séances de répétition qui avaient lieu dans l’hôtel de mon père. Je les rencontrais aussi et surtout à l’heure du déjeuner. Leur jeu m’enchantait. A cette époque, je ne percevais pas pleinement la portée de leur activité. J’aimais les épées, les costumes magnifiques des personnages de ministres et ou de rois … Finalement, un jour, je me suis produit dans une de leurs pièces, " Kâveh Ahângar " (Kâveh le Forgeron). J’y jouais le rôle du fils de Kâveh, un réfractaire au règne de Zahhak le tyran. A la fin de la pièce, j’ai déclamé en turc un texte de deux pages sur la liberté. Les applaudissements des spectateurs ont suffit à orienter mon avenir professionnel, et je suis devenu comédien. Quand je suis entré dans le monde du cinéma, j’ai très tôt tenté d’écrire moi-même la plupart de mes scénarios.

- F.P : Pour quelle raison ?

- M.Z. : Parce que le monde que je crée coule dans mes veines. Je vis avec des personnages dont je connais intimement le mode d’être et la culture. Malgré tout, si je tombe sur un scénario qui me plaît, je suis susceptible de le traiter sans préjugés. Par ailleurs, j’ai voulu être mon propre producteur dès mon premier film, " La Maison sur le Sable ", à l’époque où je n’étais encore qu’étudiant. A l’université, nous avions des cours relatifs à l’économie du cinéma. J’y ai appris comment investir pour mener à bien la production d’un film, la manière d’optimiser mon capital et de faire des économies de production.

- A.P : Est-ce qu’il vous est déjà arrivé d’accepter de travailler sur des scénarios écrits par d’autres ?

- M.Z. : En réalité, j’en ai lu plusieurs mais aucun n’était à mon goût.

- A.P : Quelle autre carrière auriez-vous pu choisir en dehors de votre actuel métier ?

- M.Z. : L’écriture a été ma passion dès mon enfance. A l’age de quinze ans, j’ai écrit un livre qui s’appelait " Des oubliés ". Si je n’étais pas cinéaste, j’aurais peut-être choisi le métier d’écrivain, ou bien de critique de cinéma. J’aimais écrire des poèmes, mais en quittant mon pays, je me suis éloigné du monde de la poésie. J’ai toujours aimé l’écriture. C’est étrange comme des idées pénètrent dans la tête en écrasant pour ainsi dire, les limites spatiales et temporelles. Chaque événement, chaque chose, chaque livre et chaque film peuvent devenir le point de départ d’une histoire que vous élaborez d’abord dans votre tête. Une étincelle suffit pour engendrer un monde nouveau…

- F.P : Pardonnez-moi de vous interrompre. Mais j’étais sur le point de vous demander quelques éclairages au sujet du processus qui, chez vous, donne naissance à une histoire.

- M.Z. : Dieu a créé le cerveau de l’homme, un organe qui ne cesse de m’étonner. Avec cet organe, ce dernier est capable d’inventer, d’imaginer, de créer et de recréer dans un processus sans fin. Certains écrivains inventent leurs personnages avant le reste. Ces derniers naissent indépendamment de l’histoire. Ensuite, l’histoire prend forme autour des personnages. D’autres imaginent le début et la fin de leur récit, sans aucune idée préconçue de la trame générale. D’autres encore ignorent la fin de leur histoire. Ils écrivent et écrivent pour découvrir en fin de compte un dénouement. Pour ma part, j’écris généralement mes scénarios pendant mes voyages. J’aime aussi écrire au milieu de la foule. Concernant “Vertige”, je l’ai écrit durant mes voyages aux quatre coins du monde ; à Paris, à Rome, à Téhéran …

- F.P : Comment se passe chez vous la phase de développement du scénario ?

- M.Z. : Je prévois à l’avance le début, le développement et la fin de mes récits.

- A.P : En tant que réalisateur ayant travaillé longtemps loin de sa terre natale, quel jugement portez-vous sur notre cinéma national et sur le cinéma mondial ? Est-ce que le talent manifeste de certains réalisateurs Iraniens a pu, selon vous, compenser un certain manque de moyens ?

- M.Z. : Evidemment, la différence est de taille. Là-bas, les cinéastes bénéficient de toutes sortes d’équipements. Ils dépensent parfois sans compter. En théorie, rien ne limite chez eux le processus de création. Ils ont largement eu le temps, depuis les années trente, d’affiner leur système de production. En revanche, ils ont progressivement négligé, sans doute du fait d’un trop de technologie, la dimension artistique de leurs films. Je me souviens de la projection (c’était il y a longtemps) du film " Zorro " en Iran, à l’époque où nous n’avions même pas d’industrie cinématographique. C’est en 1933 que le premier film sonore "Dokhtar-e-Lore " (La fille Lore) a été produit en Iran. Ici, compte tenu du contexte, la production et la réalisation d’un film sont particulièrement tributaires de l’imagination des créateurs. Ceci implique de jeter son dévolu sur des sujets originaux. Prenez " Les Enfants du Paradis " de Majid Majidi. Un pareil film n’a pas encore vu le jour ailleurs et dans toute l’histoire du cinéma mondial ; deux enfants échangent leurs chaussures pour se rendre à l’école. Le frère participe à une course à pied, avec pour objectif de gagner le deuxième prix, c’est-à-dire une paire de chaussures de sport qu’il espère offrir à sa sœur… Les occidentaux sont friands de ce genre d’histoire.

- F.P : Vous êtes vous-même, la plupart du temps, acteur de vos propres films. A quels genres de problèmes êtes-vous à ce titre confronté ?

- M.Z. : Tout d’abord, une dépense supplémentaire d’énergie, car le réalisateur est la première personne qui entre en scène et la dernière qui en sort. Le manque de repos, par manque de temps, et les longues heures de travail sans interruption fatiguent l’esprit et le corps. Le visage en particulier. Ce travail simultané demande de la motivation, et une certaine expérience de la technique. Heureusement, jusqu’alors, je n’ai rencontré aucun problème avec mes acteurs, et je parviens à leur faire comprendre que je ne bénéficie d’aucun privilège en tant que réalisateur. Ce qui m’importe c’est seulement de bien régler le jeu, les scènes… En gros, la qualité du travail et rien d’autre.

- F.P : Quels sont les festivals de cinéma auxquels vous avez eu l’occasion de participer ?

- M.Z. : J’ai été invité au festival de Moscou où j’ai rencontré Amin Tarokh et Mohammad Motevasselâni, et reçu un diplôme d’honneur pour mon film " La maison sur le sable ". J’ai également participé deux fois au Festival du Caire et reçu un autre diplôme d’honneur pour un autre de mes films. Chaque année, j’ai été présent à Cannes sans y projeter mes films. J’ai également participé plusieurs fois au Festival de Fadjr. J’espère que "Vertige " m’ouvrira les portes de d’autres festivals.

- A.P : Pourriez-vous nous retracer les principales étapes de votre biographie ?

- M.Z. : J’ai fait mes études primaires à Tabriz. Ensuite, ma famille est venue s’installer à Téhéran. Je n’avais que treize ans. Je me souviens du quartier d’Amiryeh et de notre appartement qui se situait juste au-dessus d’un cinéma. Par la suite, j’ai obtenu mon diplôme de collège à Bissotoun. Bien que j’aie très tôt adoré le cinéma et que j’ai eu la chance de collaborer avec Samuel Khatchikyan et Pars Film en écrivant des scénarios, j’avais choisi le droit comme future carrière. Je pensais qu’en étant avocat je pourrais vivre confortablement et, en plus, investir dans le cinéma. Mais j’ai échoué au concours national. Heureusement d’ailleurs, car cela m’a permis de m’orienter vers mon vrai destin qui était le cinéma, grâce à mon cher ami Parviz Saiidi et bien sûr, grâce à Samuel Khatchikyan. Mais l’aventure commença pour moi dès mon arrivée en Amérique. Etudier à l’université d’ UCLA et avoir des professeurs comme Alfred Hitchcock et Martin Scorsese était plus qu’un rêve. Oui, c’était incroyable… J’ai donc conclu qu’il me faudrait faire preuve de passion, d’amour et de persévérance pour surmonter les difficultés et atteindre mon objectif.

- F.P. : Quel est votre souvenir le plus marquant de cette époque ?

- M.Z. : J’avais environ 18 ans. J’étais dans un autobus qui allait à San Francisco. Je venais tout juste d’arriver et ne parlais pas l’anglais. Fatigué, je m’endormis dans le bus. Soudain, le chauffeur annonça à haute voix : " Nous sommes en train de longer Hollywood ". Je me suis réveillé en sursaut et j’ai soudain vu défiler mon rêve devant mes yeux. Je me suis dit : " D’accord ! Je reviendrai…".

Filmographie de Mohammad.T. Zarindast

Filmographie sélective de ses films réalisés à l’étranger :

1. La maison sur le sable (House On The Sand), 1970

2. Les fusils et la fureur (The Guns And The Fury), 1980

3. Tue Alex ! Tue ! (Kill Alex ! Kill !), 1976

4. Le chat dans la cage (Cat In The Cage), 1987

5. L’éclat de la mort (Death Flash), 1985

6. Le paradis m’aiderait (Heaven Can Help), 1989

7. Werewolf

8. Consanguin (Blood Of His Own), 1998

Films réalisés en Iran :

1. Hâshem khân

2. La route des malfaiteurs

3. La tentation du diable

4. Les vainqueurs du désert

5. La gloire du héros

6. L’oublié

7. Un pont vers le paradis

8. La ville du soleil

9. Vertige


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