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"L’homme est né libre, et partout il est dans les fers. Tel se croit maître des autres, qui ne laisse pas d’être plus esclave qu’eux." [1]
Selon Rousseau, pour remédier au mal social, il faut trouver une "forme d’association" légitime qui protège la personne tout en préservant sa liberté. Le contrat social satisfait à cette condition puisque par lui, chacun abandonne sa liberté naturelle à la communauté et reçoit en retour "la liberté civile et la propriété de tout ce qu’il possède." Pour Rousseau, le but de l’association n’est pas la sécurité car elle supprime la liberté et c’est cette dernière qu’il faut voir comme principal objectif de l’association. Il constate que les hommes mettent toute leur énergie dans ce but et pense qu’il en a été de tout temps ainsi. L’association politique les a conduit à l’esclavage, mais ils n’en étaient pas conscients.
La doctrine politique de Rousseau a pour idéal la liberté. Tous les prédécesseurs de Rousseau se demandaient à quelles conditions une autorité politique pourrait être instituée. Ils répondaient : par l’aliénation de la liberté naturelle. Autrement dit, l’institution du gouvernement civil se faisait donc pour eux au prix de la liberté naturelle. Chaque individu sacrifiait une partie de sa liberté naturelle pour mieux assurer sa sécurité. La grande originalité de Rousseau consiste à poser le problème ainsi : comment les hommes peuvent-ils s’unir en un corps politique sans pour autant renoncer à leur liberté ?
L’essentiel pour Rousseau, c’est de "trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous, n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant. L’essence du corps politique est dans l’accord de l’obéissance de la liberté. " [2] Le contrat social est un pacte que les particuliers ont conclu entre eux et qui comporte pour tous les associés l’obligation de soumettre leur volonté particulière à la volonté générale. Ce contrat est le fondement juridique de la loi ; il instaure l’égalité et la liberté des citoyens. Dans l’état de nature, l’égalité venait de ce que chacun formait une unité absolue. A présent, dans l’état civil, l’unité vient de ce que "chacun se donnant [également], la condition [est] égale pour tous." [3] Chaque associé est libre parce qu’il s’est engagé de son propre aveu à obéir aux lois dont il est l’auteur. " La liberté est l’obéissance à la loi que l’on s’est prescrite". La loi part de tous et s’applique à tous. Le citoyen par la soumission aux lois retrouve sous forme de libertés politiques l’indépendance naturelle. Une des idées fondamentales de toute la théorie politique de Rousseau est la suivante : l’homme doit, une fois qu’il vit en société, reconquérir par le bon usage de la raison, les biens dont il jouissait à l’état de nature. La liberté est reconquise à travers la soumission aux lois :
"Ce que l’homme perd par le contrat social, c’est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu’il peut atteindre ; ce qu’il gagne, c’est la liberté civile et la propriété de tout ce qu’il possède. Pour ne pas se tromper dans ces compensations, il faut bien distinguer la liberté naturelle qui n’a de bornes que les forces de l’individu, de la liberté civile qui est limitée par la volonté générale […].
On pourrait, sur ce qui précède, ajouter à l’acquis de l’état civil la liberté morale, qui seule rend l’homme vraiment maître de lui : car l’impulsion du seul appétit est l’esclavage, et l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté." [4]
L’esclavage est proscrit, même s’il est librement choisi par la personne qui veut se séparer de sa liberté. Car la liberté est un droit naturel, indissociable de l’homme. Il est responsable de sa vie et de ses actions, conception très moderne qui est à la base des démocraties modernes. Il ne veut pas non plus d’une aliénation de ce droit en faveur d’une sécurité assurée par un chef unique détenteur du pouvoir. La liberté ne peut être aliénée, de même que la vie ne peut faire l’objet d’une transaction, car ce sont des biens sans prix, dont nous ne jouissons pas en vertu d’une convention, mais seulement du fait de notre naissance humaine. La vie nous est donnée, et c’est pourquoi nous n’avons sur elle d’autre droit que d’en jouir. Et l’Etat, à l’égard de ce droit naturel, se limite à le défendre :
"Renoncer à sa liberté c’est renoncer â sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même à ses devoirs. Il n’y a nul dédommagement possible pour quiconque renonce à tout. Une telle renonciation est incompatible avec la nature de l’homme, et c’est ôter toute moralité à ses actions que d’ôter toute liberté à sa volonté." [5]
Selon Rousseau, s’il est possible de vendre un objet à autrui, il est impossible
d’aliéner sa liberté en faveur de quelqu’un. La liberté n’est pas un bien que l’on possède et il n’est pas possible de la dissocier de la personne. On perd la responsabilité de la chose vendue, mais on garde celle des crimes qui sont perpétrés au nom de celui à qui on a cédé sa liberté. Rousseau considère l’homme responsable de ses actes et il ne peut pas échapper à cette responsabilité.
Certains théoriciens, et notamment Hobbes à qui Rousseau fait souvent référence, pensent que les peuples se sont constitués en corps politique par l’aliénation de leurs libertés. C’est oublier que dans la perspective de l’auteur, le but de l’association politique est la liberté et non la sécurité ou la paix. La tranquillité de la sécurité ne peut faire oublier la douceur de la liberté. Hobbes croit que seul l’absolutisme de l’Etat peut garantir le droit et imposer la paix sociale. Il considère l’homme comme un individu qui agit selon les règles d’un égoïsme utilitaire ; parmi ces lois fondamentales se trouve celles qui dérivent de l’instinct de conservation et de l’instinct de domination. De ces lois, Hobbes déduit logiquement ses théories politiques.
S’inspirant de Locke, Diderot pense comme Rousseau qu’ "aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent du ciel, et chaque individu de la même espèce a le droit d’en jouir aussitôt qu’il jouit de la raison. Si la nature a établi quelque autorité, c’est la puissance paternelle : mais la puissance paternelle a ses bornes ; et dans l’état de nature elle finirait aussitôt que les enfants seraient en état de conduire." [6]
La passion de Voltaire pour la liberté politique le conduit à admirer la législation anglaise ; c’est ce qui entraîne la critique parfois directe, mais le plus souvent implicite, des mœurs et des institutions françaises. Il considère la liberté comme "le premier des biens" et insiste sur la revendication de la liberté des personnes. Il lutte pour la liberté de parler et d’écrire et pour la liberté de conscience. Sa devise était : "Ecrasons l’infâme !", c’est-à-dire l’intolérance, la superstition.
En comparant Rousseau avec les autres écrivains du siècle des Lumières, on constate l’originalité de sa pensée à propos de la liberté et de la nécessité d’un système politique qui assure l’égalité et la liberté de l’homme. Le contrat social a eu une influence considérable sur l’évolution de la pensée et de l’action politique en Europe à la fin du XVIIIe siècle. Dans ce livre, Rousseau essaie de définir le régime politique idéal, fondé sur les principes de la liberté et de l’égalité sociale. La citation suivante montre l’importance de la liberté aux yeux de Rousseau :
"L’air de France est de tous les airs du monde celui qui convient le mieux à mon corps et à mon cœur, et tant qu’on me permettra d’y vivre en liberté, je ne choisirai point d’autre asile pour y finir mes jours." [7]
[1] J.J. Rousseau, Le Contrat social, Librairie Hatier, Paris, 1945, P. 9.
[2] Ibid, p. 29.
[3] Ibid, p. 30.
[4] Ibid, p. 34.
[5] Ibid, p. 25.
[6] Sous la direction d’André Lagarde et Laurent de Michard, Lagarde et Michard XVIIIe Bordas, Paris, 1985. p.243.
[7] Jean-Yves Tadié, introduction à la vie littéraire du XIXe siècle, Bordas, Paris, 1970, P221.