Notre géographie

Entre l’arbre et la mer

Accueille toujours les rouges accidents

Entre l’arbre et la mer

C’est toujours agréable de voir

Le va-et-vient des oiseaux

Salmân Harâti

Né en 1959, quelque part entre le vert des forêts du Mâzandarân et le bleu de la mer caspienne, Salmân Harâti fut un " rouge accident ", un éclair qui illumina un court instant le ciel nuageux de notre poésie contemporaine. Très jeune, il prit place dans le panthéon des grands poètes d’après la révolution. Celle-ci marqua profondément son œuvre, peu favorable d’ailleurs aux idées extrêmes inhérentes aux grandes périodes de crises, qui menacent toujours d’altérer négativement la littérature. Au contraire, les textes de Salmân jouissent d’un parfait équilibre, établi au moyen d’un langage simple et clair, enraciné dans la vie rustique du poète. Ses textes rappellent à ce titre les poèmes soigneusement cisaillés de Sohrâb Sepehri. Harâti évite en effet les outrances de toutes sortes, tant au niveau de la forme qu’au niveau du sens, même lorsqu’il décrit le dévouement ou le courage dont firent preuve ses compatriotes pendant la guerre irano-iraquienne. Il n’a cependant rien d’un rationaliste, tant il aspire à l’au-delà ; à s’élever vers le ciel. Le thème de l’élévation constitue, avec celui de la mer et de la forêt, le troisième élément (le plus essentiel ?) de l’œuvre de Harâti. Comme d’autres poètes engagés de l’époque, il célèbre les valeurs révolutionnaires ; chante l’amour de Dieu, partout présent dans son oeuvre.

Les trois recueils publiés de l’auteur s’intitulent : De cette étoile à l’autre (poèmes pour enfants), Une porte vers la maison du soleil et Du ciel vert. Harâti décéda en plein épanouissement, à l’âge de 27 ans. Il est mort dans un accident de la route, par un triste jour d’automne alors qu’il se rendait à l’école où il enseignait.

Au moment du départ

Il planta un petit sapin

Derrière nos haies

Il partit et ne revint plus

Pourtant cet arbre

Tout vert et dur

Monta vers le ciel.


Moi aussi, je meurs

Moi aussi, je meurs

Mais pas comme Gholam’ali

Qui tomba du haut de l’arbre

Puis les vaches meuglèrent

Mâchant nerveusement les tiges sèches

Qui donnera dorénavant de l’herbe à manger aux vaches ?

Moi aussi, je meurs

Mais pas comme Golbânou

Qui mourut au moment de l’accouchement

Puis Soghrâ devint la mère de son frère cadet

Et abandonna l’école.

Qui tricotera dorénavant des djajîmes [1] ?

Moi aussi, je meurs

Mais pas comme Heydar

Qui tomba du haut du mont

Puis les loups festoyèrent

Et Khadidjeh cacha au fond du coffret

Ses napperons ornés de broderies

Qui domptera dorénavant les chevaux sauvages ?

Moi aussi, je meurs

Mais pas comme Fâtemeh

D’un rhume

Puis sa mère lava la bouillotte qui contenait du Par-é-siavôshân [2]

Dans la rivière

Qui apportera dorénavant le blé dans le gerbier ?

Moi aussi, je meurs

Mais pas comme Gholâm-hossein

Du venin d’un serpent

Puis son père fixa les vallées et les rivières qui manquaient de pont

Et pleura

Qui nettoiera dorénavant la bergerie ?

Moi aussi, je meurs

Mais dans le tumulte d’une rue bruyante

Devant les yeux indifférents du spectacle

Ecrasé sous les roues sans merci de la voiture

D’un médecin en colère

Qui rentre chez lui de l’hôpital

Puis deux jours après

Dans la colonne des condoléances d’un journal

Sous une photo 4 sur 6

On écrira :

Ô toi qui es parti !

Qui remplira dorénavant les poubelles ?


Enterrement de la grand-mère

Au dernier souffle

Elle fit exhaler

L’odeur étrangère de la question du demain

Dans la maison

Puis soudain

Ma grand-mère

Fut ensevelie

Dans un drap couleur de destin

Et le parfum gris de la mort

Nous entoura

Ma grand-mère

Avait couvert

La grise surface en plomb du linceul froid

De sa chevelure d’argent et sans éclat

Nous restâmes quelques instants

Inquiets et remplis d’effroi

Dans les froides rues de nos destins

Si profonde fut notre méditation

Comme si le monde

Allait s’écrouler dans un instant

Hélas !

Si le " sort " était un chemin

Un long chemin

Que chaque jour

Nous, les passagers distraits et coupables

Traversions par obligation

Nous l’avons enterrée comme elle avait demandé

Dans un simple linceul

Cependant

Quand nous rentrâmes chez nous

Voracité

Couchait sur la conscience de la feuille et de l’arbre

Et ce sentiment cruel du partage

Se renforçait

Aux derniers moments de notre chagrin

Les objets chacun

Changeait en une feuille de son testament

Peu à peu

La grand-mère et la mort

S’oubliaient.


En attendant le vrai printemps

Laisse

Les petits moineaux

Sous le soleil brumeux

D’un après-midi hivernal

Rêver du printemps

Et les fleurs de serre

Sous la chaleur modérée d’une chaudière

Aller éclore à l’accueil d’un printemps artificiel

Bonjour à tous ceux qui possèdent

En leur fond caché

Un printemps pour éclore

Et qui savent bien

Que le tumulte de petits moineaux

N’a rien à voir avec le vrai printemps

Même

Par une allégorie

Ce dernier est un bourgeon vert

S’épanouissant comme un sourire

Sur les lèvres de l’homme

Les petits plateaux d’herbe

Ne font qu’ajouter un simple sin [3]

Aux sins imparfaits du napperon de Now Rouz

Comment serait à ce point insignifiant

Le printemps

Celui-ci est vrai lorsqu’il se distille par lui-même

Et non avec l’annonce

Du calendrier.

Notes

[1Sorte de tapis artisanal.

[2Plante de la famille des fougères.

[3Première lettre de chacun des sept objets qu’on pose sur le napperon étalé le premier jour du nouvel an iranien.


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