N° 11, octobre 2006

Madjid Madjidi
de la couleur du Paradis


Mir Ahmad Mirehssan
Traduit par

Gholam-Ali Mossadegh


Né à Téhéran en 1959, le metteur en scène de la nouvelle vague du cinéma iranien est non seulement respecté par le public pour la qualité et l’originalité de ses œuvres mais également apprécié par les milieux intellectuels. Dans la filmographie de l’auteur, 5 œuvres se sont distinguées en gagnant quatre vingt quinze prix : Baduk, premier prix du festival de Taipeh en 1992 ; Le père, prix du jury du festival de San Sebastien en 1996 ; Les enfants du ciel, lauréat du Grand Prix du festival de Montréal en 1998 ; La couleur du Paradis, lauréat du prix du meilleur film du festival de Valenciennes en 1999 ; Bârân, lauréat du prix de la liberté d’expression de l’Association Nationale pour la Critique américaine en 2000. Madjid Madjidi, cinéaste en quête de vérité et par conséquent en quête de Dieu, tache d’en manifester quelques représentations. A ses yeux, la réalité dépasse l’imagination. Cependant, le contenu de ses œuvres est illustré par la présence d’une vérité sublime et Madjidi montre cette contemplation d’une manière réaliste. Cette vérité se manifeste dans divers aspects de la vie : dans la présence d’un beau-père aux yeux d’un aveugle, dans les pieds couverts d’ampoules d’un enfant à qui des poissons viennent rendre visite à la fin d’un cours et enfin dans les gouttes de pluie, qui noient le pauvre amoureux suite au départ de sa bien-aimée.

Le cinéma iranien contemporain est apparu et s’est développé depuis la stabilisation du gouvernement islamique. Ses origines modernes remontent aux œuvres de Kiarostami, Shahid Sales et Naderi juste avant, Ghobadi, Yektapanha, Amini et Refai. Ces derniers ont remporté un franc succès dans le monde entier et sont devenus des metteurs en scène emblématiques du cinéma post-révolutionnaire (avec Makhmalbaf, Madjidi et Panahi). La continuité historico-culturelle de ce mouvement a créé au sein de la société iranienne une nouvelle génération de réalisateurs, tels que Samira Makhmalbaf.

Cinq ans après l’invention du cinématographe en France, le premier appareil cinématographique est introduit en Iran. Cette "offrande" occidentale, rapportée par Mouzzafer el Din Chah au retour de son voyage en Europe, remplissait au départ la seule et unique fonction de distraire le Chah et son entourage…La société iranienne de l’époque était en crise : absolutisme, déliquescence intellectuelle, perte du patrimoine culturel, ignorance, pauvreté, misère, stagnation économique et aussi et surtout, omniprésence des pays colonisateurs. La promulgation de la Constitution par le Chah à la suite d’un mouvement populaire réformiste constitua à cette époque, le seul espoir pour le pays à cette époque. Cependant, le souverain était loin de se douter que bientôt, l’expansion de l’art cinématographique allait favoriser l’introduction, au sein de la société iranienne, d’un mode de vie différent. Il ne savait pas davantage que l’industrie cinématographique provoquerait l’effet d’un séisme sur la société traditionnelle de la Perse.

L’introduction du cinéma en Perse coïncide avec le début du mouvement révolutionnaire moderne pour la société civile et le progrès. Le cinéma était étranger à la composante intellectuelle, culturelle et politique de la société persane de l’époque. D’une part, l’état pré- moderne de la société iranienne ne permettait pas l’émergence du cinéma, et d’autre part la naissance de l’industrie cinématographique en Europe était le produit du développement scientifique, social et économique reflétant le modernisme occidental. Le cinéma en tant que symbole du modernisme a donc entraîné, et continue à entraîner en Iran un conflit avec la société traditionnelle. En outre le cinéma, dès le début, fut mis au service de l’autorité politique ; les conséquences en furent bien désastreuses : ainsi lorsque Ouganians essaya d’installer le cinéma en Iran, il fut confronté à l’obstacle de l’absolutisme, et sa tentative fut vouée à l’échec. De même la tentative de Sépanta de populariser le cinéma en recourant à la littérature et à la culture iranienne, ne fut pas encouragée par les autorités, et il encourut la disgrâce. En fait, la dictature de Reza Chah voua toutes ces tentatives à l’échec, freinant ainsi le progrès de l’industrie cinématographique en Iran. A la chute de ce dernier et au commencement de la seconde guerre mondiale, le cinéma fut mis au service des forces alliées et de leurs bulletins d’informations ; c’est ainsi que les compagnies étrangères de films occupèrent une position stratégique et primordiale dans la production cinématographique iranienne de l’époque. Avec le règne de Mohammad Reza Chah et la fin de la guerre, la production cinématographique connu un nouvel élan qui la réanima en dépit de la censure et de la faiblesse technique des films réalisés. Cette époque voit l’émergence de productions essentiellement commerciales.

Dans les années soixante, un autre genre de cinéma intellectuel vit le jour, avec les œuvres de Ebrahim Golestan, Farokh Ghafari, Rahnama et Farokh Zad. Cependant, eu égard à son langage complexe, ce cinéma n’est jamais parvenu à rencontrer un succès populaire. Dans la continuité de ce processus, et dans les dernières années de cette décennie, un troisième courant se forma : un cinéma ni commercial, ni élitiste, mais typiquement intellectuel. Avec "La vache" de Darius Mehrjouyi, et "Gheissar" de Massoud Kimiaî naquit une nouvelle vague. Elle sera plus tard consolidée avec la présence d’autres cinéastes comme Beyzaî, Taghvaï, Hatami, Shahid-Sales et bien d’autres…Les œuvres de ces metteurs en scène, ont connu un succès populaire par le recours à un savant mélange d’éléments distrayants et intellectuels. Ce processus continua jusqu’à l’arrivée au pouvoir du gouvernement islamique. Après la victoire de la révolution et le désordre né du conflit entre les valeurs, le cinéma iranien se limita aux traitements de certains thèmes. Néanmoins, avec Anvar et Beheshti à la tête des institutions cinématographiques, de nouvelles perspectives ont vu le jour ; l’interdiction de la projection des films étrangers et des œuvres commerciales nationales favorisa l’épanouissement du cinéma de l’incontournable Abbas Kiarostami. Ce cinéma comportait entre autres les caractéristiques suivantes : une atmosphère vive, un décor réaliste, un souci de dépeindre des situations quotidiennes, le recours à des acteurs amateurs, un langage picturale simple, la présence d’enfants, le tout au service d’un message poétique et humaniste.

L’encouragement reçu par ce genre de production en Iran et son succès global dans les festivals étrangers a eu un double impact : premièrement, il a donné naissance au genre intitulé " cinéma analytique ", et deuxièmement, il a encouragé les jeunes cinéastes à produire ce type d’œuvre. Le cinéma de Madjid Madjidi est à ce titre exemplaire.

Madjid Talesh-Madjidi est né à Téhéran en 1959. A dix-neufs ans, il entre à la faculté des arts dramatiques de Téhéran. Cependant, l’avènement de la révolution l’empêche de boucler son cycle d’études. En mars 1979, il commence donc ses activités artistiques et professionnelles en se produisant dans une pièce de théâtre. En 1980, il expérimente ses talents de metteur en scène en produisant un court métrage, et en se chargeant de la mise en scène d’une pièce. Il continue dès lors à produire des courts métrages documentaires et fictifs, tout en se produisant dans les films d’autres cinéastes. Avec " Badouk ", il présente à l’age de 32 ans son premier long métrage. Ce film lui ouvre la voie du succès professionnel.

Le cinéma de Madjidi : caractères et originalités

L’élément le plus caractéristique du cinéma de Madjidi est le mélange d’analyse et d’éléments propres au cinéma dramatique. Ce cinéma offre un regard documenté, un contact sans intermédiaire avec la vie, l’utilisation de l’environnement et de personnages réels avec le dessein de servir une histoire singulière. Cette composition apparaît clairement dans "Bنdouk ". Dans ce film, une histoire est crée, à partir de la vie réelle des habitants d’une région déserte, avec la participation d’enfants non-acteurs. Cette histoire n’est pas destinée à créer un enthousiasme facile auprès du public. Cependant, grâce à la richesse de sa narration, elle réussit à captiver le spectateur. Ce caractère manifeste se trouve également dans les films suivants de ce réalisateur. Ces spécificités singularisent le style de Madjidi. Elles retiennent pareillement, grâce à leurs attraits, l’attention combinée du public et des intellectuels. Par ailleurs, un regard rapide sur ses œuvres montre que Madjidi, en cherchant à personnaliser son style, a pu faire évoluer son cinéma : maturation de la structure, plus grande maîtrise du langage pictural et une certaine méthode narrative sont les fruits des efforts entrepris par ce dernier. Dans cette évolution, et pour ce qui concerne l’évolution formelle, Madjidi penche davantage vers les formes classiques de narration. Il s’agit pour lui d’utiliser pour ses récits, une structure narrative et picturale aux contours clairement définis.

L’amour est un thème permanent dans les diverses œuvres du cinéaste qui permet de mieux saisir la portée de son œuvre. En outre, l’importance du rapport entre la vie et l’amour dans les œuvres de ce cinéaste est telle qu’elle relègue les contradictions inhérentes à la société au second plan. C’est à ce titre que l’amour constitue un des critères définitoires essentiels de son travail. Dans la plupart de ses films, l’attention de Madjidi est focalisée sur le sort des personnages démunis mais laborieux et honnêtes, de ceux qui n’ont pas perdu, malgré tout, le goût de l’amour. L’intérêt pour ce type de thème coïncide chez lui avec les préoccupations d’ordre spirituel au sens large. Cet univers qui est une autre représentation de l’amour dans le cinéma de Madjidi est basé sur un concept mystique, métaphysique, voir divin. Le thème de la présence de Dieu est l’élément le plus implicite de son œuvre, même s’il semble essentiel à Madjidi. Il suggère la présence de l’esprit divin dans différents aspects de la vie : dans la mort, dans la brume, dans la pluie et même dans un minuscule rossignol. Ce Platonisme n’est pas le fruit d’un retrait ascétique. Il est plutôt le produit d’un regard intuitif posé sur la vie réelle ; ce thème est à maintes reprises utilisé dans ses films : par le biais du regard innocent d’un enfant acteur (Les Enfants du Ciel), dans les jeux de la nature, le brouillard et le paysage paradisiaque ( La couleur du Paradis), dans l’idée du retour à la vie sous la lumière divine ( La couleur du Paradis) et enfin dans l’image de la pluie ( Baran). Le recours à la métaphysique et au sentiment mystique chez l’être humain est aux yeux de ce cinéaste un moyen d’apporter aux spectateurs un message d’amour relatif à Dieu, à la foi et à ses vertus, tant elles interviennent dans la vie quotidienne. En ce sens, l’utilisation de décors réels permet à Madjidi d’illustrer certains des aspects de cette problématique : la présence d’enfants et d’adolescents dans ce cinéma n’est pas le fruit du hasard, elle porte un message défini. L’enfant est le reflet manifeste de l’image divine. Dans les quatre films de Madjidi (Badouk, Les enfants du ciel, La couleur du Paradis et Baran), les enfants apportent une expérience particulière de l’amour envers Dieu et les diverses marques de sa présence. Les actes de dévouement du petit héros dans Les enfants du ciel sont si beaux que même les poissons viennent "visiter" ses pieds blessés. Dans la couleur du Paradis, le reflet d’une lumière surnaturelle sur les mains d’un enfant le guide vers l’amour et la foi en Dieu. Dans Baran, l’héroïne afghane apparaît comme un signe de la miséricorde divine, et obtient ainsi de conquérir le cœur de son aimé.

On dénombre par ailleurs quatre aspects notables dans ces fictions : leur simplicité, leur poésie, leur caractère éminemment narratif, et leur dimension sociale. Le traitement narratif permet évidemment au spectateur de mieux comprendre le contenu de l’œuvre. Cette qualité ainsi que la simplicité de la forme et la pureté du langage pictural, trouvent un certain succès auprès du public. En outre, cette structure simple produit souvent une tonalité poétique qui enrichit la dimension visuelle de l’oeuvre : les larmes d’un enfant qui espérait être troisième dans la course pour obtenir le prix (des chaussures pour sa sœur) ou bien la relation entre l’enfant et son beau-père qui finit par fléchir après une longue phase de conflits. Une dernière remarque sur ce cinéma concerne l’aspect social des films de Madjidi. En effet, son caractère réaliste illustre certains aspects de la vie moderne : les ouvriers du bâtiment, la retraite, l’insécurité, la pauvreté, les réfugiés afghans et leur anxiété interminable. Mais toute cette série de désordres et de peine n’aboutit guère au désespoir car le regard que Madjidi porte sur l’existence reste imprégné de vie.

Nuançons cependant notre présentation générale du cinéma de Madjid Madjidi avec quelques critiques relatives à sa conception actuelle de la pratique cinématographique :

1- La disparition du caractère expérimental des premières œuvres au profit de l’application du schéma hollywoodien ;

2- Sa candidature pour l’Oscar et son désir insistant de remporter ce prix. Conséquences négatives de son positionnement :

a) un penchant vers un caractère artificiel et la prise d’un ton trop sentimental

b) le recul du regard excentrique des premières œuvres et le recours aux formules courantes du cinéma mondial contemporain.

3- Les conclusions des films de Madjidi (à l’exception de Badouk) offrent autant de "clichés" heureux…comme si sa camera ignorait les conflits, les crises, le mal et la laideur du monde réel, en figurant un monde mystique éclairé par la variété des relations inter-humaines.


Filmographie


- 1980- L’explosion (court métrage)

- 1984- Le palanquin (court métrage de 16mm, 63min)

- 1988- Le jour d’examen (16mm, 29min)

- 1988- Une journée avec les captifs (16mm, 32min)

- 1991- Badouk (35mm, 90min)

- 1993- Le dernier village (35mm, 45min)

- 1995- Le père (35mm, 95min)

- 1995- Dieu vient (16mm, 42min)

- 1996- Les enfants du ciel (35mm, 90min)

- 1998- La couleur du paradis (35mm, 75min)

- 1999- Baran (35mm, 95min)



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