N° 10, septembre 2006

Le soleil noir loin d’une chambre de verre


Fatemeh Hassanzâdeh, Selda Ghannâdân


"Plutôt que de chercher le sens du désespoir (il est évident ou métaphysique), avouons qu’il n’y a de sens que désespoir"

Julia Kristeva

Un nom, un adjectif ou un mélange des deux, apparaissent aux yeux du magicien comme des matières médiocres, incarnation du moment magique de l’affleurement de la pierre philosophale, épiphénomène de centaines de pages. Il en va ainsi de la naissance des titres qui portent toute la pesanteur de l’œuvre comme un enfant chargé d’un prénom auquel sa mère pensait depuis longtemps. Les noms, les voyages immobiles, entre les replis desquels se réfugient la sensation et le plaisir attirant l’imagination.

Le soleil noir oppose la simplicité au sens, rappelle à première vue l’éclipse solaire, le moment où ce tournesol [1] se noie à l’ombre d’une toute petite planète occupée par des habitants qui endossent des ombres lourdes et effrayantes. Peut-être l’ensemble des ombres de ces silhouettes (figurants) obscurcissent-ils le soleil -en dehors de l’ordre imposé par la nature- chaque jour plus que la veille.

Soleil noir, dépression et mélancolie, 1987 et Folio Essais, n°123. [2]

Le soleil noir jette ses rayons aigus sur leurs joues chaudes, comme des lances jetées dans une guerre froide. Sur le trottoir, tout le monde cherche à marcher à l’abri de l’étroite ligne d’ombre. Les rues sont invisibles sous la lumière et la brume polluée. C’est l’été. Il est de nouveau là, moins ressenti par ceux qui circulent en voitures climatisées, se mêlant aux gens qui se trouvent prisonniers dans le sauna des taxis, en attente derrière le feu rouge, et qui comptent les secondes, désirant le feu vert. Les prisonniers se consolent un peu de cette pluie de feu, en épanchant cet état d’impatience.

L’été jette aussi son ancre ailleurs : dans ces taxis, au sud (Ahvaz, Bouchehr), dans le désert et … dans notre faculté. Certains étudiants font preuve d’une passion exeptionnelle pour leurs études, pour creuser les mots et les textes qui font d’eux une espèce surprenante, malgré la diminution des horaires des bibliothèques qui procure l’occasion de vagabonder et qui les condamne à perdre beaucoup plus leur temps. Pas d’autre échappatoire. Ce sont les conséquences de l’été. Un cercle lumineux se forme autour de ce soleil noir qui n’est visible que pour les enfants. Mohammad, Ami, Mehrzad, Ghazal disent que l’été est comme un tigre, comme le diable, comme une glace, comme la coupe du monde et ..., on peut voir partout dans les rues des petits malins aux têtes à moitié rasées, jouant sans cesse, même sous le soleil brûlant de midi et les protestations permanentes des voisins. Ce sont les seuls qui vivent entièrement l’été.

Parmi eux, il y en a qui sont privés de ces jeux de rues à cause du métier de leurs parents. Mais les enfants peuvent se divertir en manquant de tout. On peut les voir dans les corridors de la faculté, lesquels se transforment maintenant en stade de foot, jouant avec un ballon qui n’est qu’une feuille chiffonnée, trouvée dans la poubelle. Les petites filles et nous, parfois, poursuivons leurs matchs.

Et nous nous plongeons dans le marais de l’ennui d’été ; toutes ces images nous traversent l’esprit.

Comme les lambeaux d’un film ; nous sommes tragiques. Les chambres de verre , les chambres de verre de l’hôpital occupées par Navid, Aghil et d’autres enfants. Escortés de cellules cancéreuses, ils sont privés même d’un soleil noir par le Grand Geôlier.

Et c’est la vie... .

3- [3]

4- [4]

Notes

[1Tournesol : nom de plante dont la fleur se tourne vers le soleil. Grand soleil.

[2KRISTEVA, Julia, Soleil noir, dépression et mélancolie, 1987 et Folio Essais, n°123.

[3Barthes : Je suis tragique. Je suis heureux mais je suis triste. Fragments d’un discours amoureux.

[4Les chambres de verre des hôpitaux, réservées aux maladies graves.


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