* A Léonard Cohen

Je désirais te voir. Te voir. Tu me manquais beaucoup. L’envie me démangeait de te voir partout, mais je ne te trouvais nulle part : ni dans la rue, ni dans les vitrines, ni derrière les rideaux, ni derrière les murs, ni dans le parc, ni même sous la pluie ; nulle part dans la ville. Tu avais envahi le pays de mon cœur ; tu étais introuvable dans le pays de mon corps. Que pouvais-je faire donc, dis-moi ?

" Vous venez patiner avec moi ? " me dit-elle. Elle arrive ; elle me traverse ; elle m’arrache à moi, qui, perdu dans un rêve étrange, ne suis guère ; je ne serai plus. "Vous connaissez Vivaldi ?" me demande-t-elle. Je me souviens du printemps. J’étais jeune. Beaucoup plus jeune qu’aujourd’hui. En ce temps-là, tout était beau. Saluer les papillons était l’ultime espoir de mon jour. Elle éclate de rire, tourne sur un pied et s’éloigne en me tendant une main que je n’atteins point. Elle n’est guère. Elle ne sera plus. Le rideau tombe. Je reste dans le noir.

Take this waltz, this waltz, this waltz... La musique passe par la fenêtre du dessus, à demi-ouverte, à travers laquelle un rideau blanc s’est donné au vent, il y a des siècles ; ce vent qui m’emportera un jour ; " qui nous emportera un jour ". En attendant, je fixe l’arbre, qui, robuste, se tient au-devant. " J’aime l’arbre, il me donne envie de pleurer " ; et je pleure depuis, sous la pluie de toutes ces nuits-là.

Ce jour-là, tes yeux étaient noirs et au fond d’eux je cherchais toujours à me perdre, en silence. Je cherche toujours à m’y perdre. Une grande envie de me perdre. Je voulais me fondre dans l’arbre, m’unir avec. Il se passait en moi une chose étrange. Chose qui arrivait de bien loin, de très loin, et m’emportait… Sur l’eau…des fontaines mon amour, où le vent les a…mène mon amour, le soir tombé, on voit flotter…les pé…ta…les…de…rose. Je l’avais cueillie un été au bord du ruisseau le long duquel j’errais souvent, te cherchant sous les pierres et les arbrisseaux. Ton cri continu en ces lieux m’attirait. Il continue toujours quelque part dans mes espoirs. Et je me souviens du jour, cet inévitable jour où nous devions nous rencontrer, comme prévu, four in the morning, the end of december ; peut-être.

C’était au bord d’un étang ; et pourtant, je m’attendais à te rencontrer au bord du Lac, comme dans les rêves. I was waiting, I was waiting for a miracle to come. Il pleuvait à verse. Le chant des grenouilles s’élevait au ciel de même que le soleil. Et j’attendais. Baby I’ve been waiting, I’ve been waiting night and day. J’ai attendu des jours, peut-être des siècles, quand enfin tu arrivas. C’était like our visit to the moon or to that other star, là où il n’y avait personne et dont j’avais rêvé dans mon enfance : seul, je me trouvais au commencement du monde. Je fixais quelque part : un œil, le tien peut-être. Nous nous étions, rappelle-toi, un moment fixé l’un l’autre. Tu t’approchais de moi, cloué ; entre ciel et terre j’étais. I was cold and rainy. Il pleuvait à verse.

Je m’en souviens, mais pas très bien, tu avais mis un long manteau noir, et de noirs gants tachés de petits points blancs. Ta longue chevelure noire avait à demi caché ton visage ; ton œil gauche. Et je regardais le ciel. Vaste était le ciel où ce soleil noir brillait fort, à m’éblouir. Qu’il faisait froid ! L’hiver était proche. On le savait. Il faisait un froid d’hiver. Et j’attendais la neige. "Qu’elle tombe !". I was waiting, I was waiting ; il n’y avait rien à faire : rien. Rien ne se passait entre nous. Tu voulais me dire peut-être d’aller patiner avec toi, de tourner autour de l’arbre, autour de moi, en tourbillon. Mais le sommeil me gagnait. Le grand sommeil. Il me tint dans ses bras, dans tes bras, me berçant doucement, doucement, douce…she comes so close, you feel happen…je voulais crier, hurler au monde le bonheur d’être. Hélas ! je ne pouvais.

Je m’en souvenais encore, mais toujours si peu, tu passais dans la ruelle de mon instinct, à travers mes intestins, tu arrivais dans le dos, tu t’y diffusais, quand soudain j’implosai. J’implose et le noir me devient rouge like a bird on the wire. Crois-moi ! Il le fallait ; je n’avais rien d’autre à dire. I told you, I told you, I told you : "je t’aime. And I really do".

Je suis désolé ! Je n’en étais pas sûr. Le mot m’échappait. Il m’échappe toujours. Et je cours après, depuis des siècles et des siècles. Elle, je ne sais ce qu’elle devint ; d’elle, je suis très loin. Elle est très loin, partout dans le monde, au bout duquel je me tiens maintenant : seul. And every body knows the time is over.

Je l’aimais mais elle ne m’aimait pas.


Visites: 534

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.