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Entretien avec Kambiz Derambakhsh
La caricature est la poésie du dessin
Massoud Ghârdâshpour
Traduit par
Né en 1942 à Chiraz, Kambiz Derambakhsh commence très tôt à dessiner et, à 15 ans, travaille déjà pour plusieurs journaux tout en continuant des études à l’Ecole des Beaux-Arts de Téhéran.
A 18 ans, il part pour l’Allemagne où il fait la connaissance de caricaturistes célèbres et publie, entre autres, des dessins dans des magazines comme Quick. Après un séjour de 2 ans, il rentre à Téhéran où il collabore à différentes publications : Tofigh, Keyhan, Ettela’at, Caricature, Zan-e-Rouz et Ferdowsi. C’est avec le journal Ayandegan qu’il atteint l’apogée de son art avec sa série de caricatures intitulée "Les Miniatures Noires".
Nous avons eu un entretien avec lui.
Massoud GHARDASHPOUR : Puis-je, M. Derambakhsh, vous demander, en guise d’introduction, de nous parler de vos débuts dans le métier ?
Kambiz DERAMBAKHSH : J’ai commencé à travailler à 15 ans dans la presse ; tout d’abord, dans le mensuel où mon père était éditeur en chef et dans lequel quelques-uns de mes dessins parurent et puis dans le magazine Sefid-o-Siah.
Lorsque j’ai commencé à Sefid-o-Siah j’allais encore à l’école et j’étais en classe de 7ème. J’étais bien payé : 150 tomans par mois, ce qui, à l’époque, représentait un bon salaire. Au départ, je travaillais pour l’argent. J’ai travaillé de plus en plus, gagnais de plus en plus et avais de plus en plus de succès auprès de la presse. J’en étais fier et ma famille s’en vanter partout. Cela, évidemment, m’encourageait et je prenais mon travail très au sérieux. Le travail qui, au début, avait pour principale motivation l’argent finit par devenir une véritable passion. Parallèlement au travail, je continuai des études à l’Ecole des Beaux-Arts pendant 3 ans et j’ai appris les rudiments de la peinture, de la perspective et de l’anatomie.
A 18 ans, je partis pour l’Allemagne où je travaillai pour la presse allemande. Cela ne dura pas très longtemps car, après 2 ans, je dus rentrer en Iran pour faire mon service militaire. Immédiatement après, je commençai à travailler pour la revue Tofigh, seule revue de caricature existant à l’époque. C’est à Tofigh que je devins véritablement caricaturiste professionnel. Je dessinai des caricatures humoristiques, politiques et des caricatures sans légende. Je travaillais également dans la publicité et l’illustration de livres. Mon séjour en Allemagne m’avait permis d’atteindre un niveau international dans la caricature et les arts annexes.
A Tofigh, il avait été stipulé dans mon contrat d’embauche que je n’avais pas le droit de travailler pour une autre publication. Ceci évidemment me dérangeait car cela mettait un frein à ma créativité et ma capacité de production qui était débordante. Cela limitait d’autre part mes gains qui ne suffisaient plus à subvenir aux besoins de ma famille. Je fus donc obligé, malgré tout le respect que je devais à Tofigh et à mes collègues, de donner ma démission. La conséquence immédiate fut une hausse considérable de mes revenus car je me mis à travailler pour toutes sortes de journaux, entre autres Keyhan. Le dernier avec lequel je collaborai jusqu’à la veille de la Révolution fut Ayandegan, dans lequel furent publiés mes plus beaux dessins.
M.GH. : Quelle est votre définition de la caricature en tant qu’art ?
K.D. : A mon avis, la caricature est l’expression d’une pensée représentée de façon humoristique et affective sous forme d’image, une image transmettant un message. La caricature est la poésie du dessin. Peut-être peut-on la considérer comme une peinture d’exagération. Le champ de la caricature est beaucoup plus vaste que ce qu’on peut imaginer. Les livres illustrés, les dessins animés, les bandes dessinées peuvent être considérés également comme de la caricature. Il me semble que la caricature est une sorte de cinéma, un cinéma dans un seul cadre. Tout ce que nous voyons dans un film, nous pouvons le voir dans une caricature. Chaque caricature est une histoire courte que l’artiste raconte avec un budget minimum et dans un temps minimum. Le caricaturiste est cinéaste, producteur, scénariste et metteur en scène de films courts.
La caricature peut avoir plusieurs niveaux. Il y a une sorte de caricature qui n’est plus seulement moqueuse et bouffonne mais s’élève à un niveau de beauté poétique et humoristique très plaisant. Je dis toujours que j’ai été inspiré par Charlie Chaplin. 80 ans après ses films, je suis toujours séduit. Tout en vous faisant rire, il vous fait réfléchir et pleurer. Tous le connaissent comme comédien, mais la comédie ne veut pas toujours dire le rire. Le rire peut être parfois amer. La caricature et tout particulièrement la caricature de qualité n’est pas une plaisanterie. La plaisanterie chatouille les sens mais la bonne caricature s’adresse au cerveau et incite à la réflexion.
M.GH. : Comment voyez-vous la caricature actuelle iranienne par rapport aux autres pays ?
K.D. : Après la Révolution, nous avons vu l’émergence de nombreux caricaturistes. 2 revues ont plus particulièrement contribué à l’apparition de cette nouvelle vague. L’une, le Keyhan de la Caricature, revue spécialisée dans la caricature, contenait des articles intéressants. Elle publia une série de caricatures ayant gagné des prix dans des compétitions internationales. Les jeunes iraniens, dans le but de devenir célèbres, gagner des prix et pouvoir partir à l’étranger, se sont lancés dans cette voie et ont travaillé dur.
Il y eut aussi 2 autres revues : Humour et Caricature et Gol Agha qui, pendant toute la période de la guerre et de vide artistique, contribuèrent à maintenir en vie la caricature. Toutefois, le mérite principal en revient à Keyhan de la Caricature qui permit aux caricaturistes iraniens de participer à des expositions à l’étranger.
Il y a actuellement près de mille caricaturistes en Iran. Ce que je peux dire, c’est qu’une dizaine fait du bon travail à un niveau international. Toutefois, je pense que nous n’avons pas encore de caricaturiste professionnel de haut niveau. Pour cela, il faut du temps. La majorité de nos caricaturistes travaillent sur la technique et l’exécution, alors que manquent l’humour, la finesse et l’espièglerie qui devraient y être.
Mais, en gros, je pense que la caricature iranienne d’aujourd’hui a sa place dans le monde. Après le cinéma, il rapporte des prix à l’Iran, ce qui est un honneur pour la République Islamique.
M.GH. : Pouvez-vous parler du style de vos caricatures ?
K.D. : Dans chaque art, l’artiste a son propre style par lequel on le reconnaît. Un bon caricaturiste ne peut pas ne pas avoir de style. Toutefois, le style n’est pas une chose préfabriquée mais plutôt quelque chose qui prend forme au fur et à mesure par un travail acharné. Puis arrive un temps où le style du caricaturiste devient sa marque, sa signature. L’artiste doit s’efforcer à ce que son travail ne devienne pas la copie des œuvres des autres. Cette imitation peut être bénéfique en début de carrière mais l’artiste doit trouver en définitive sa propre voie. Si je veux donner une définition de mon style, la seule chose que je puisse dire, c’est que c’est un style que j’ai développé par moi-même. En fait, le "bonhomme" de ma caricature représente un être que j’ai créé. C’est l’homme universel. Plus précisément c’est un être humain en puissance sans nationalité ni appartenance. Bien qu’il n’ait pas d’yeux, de sourcils ni de bouche, s’il est triste, nous voyons dans ses expressions et ses mouvements qu’il est triste et déprimé. Pour cela, il n’a pas besoin d’habits spécifiques ou d’appartenance à un pays.
Certains me conseillent de dessiner un personnage typiquement iranien avec un vêtement traditionnel comme le "poustine" par exemple. Je leur réponds qu’on porte le poustine en Turquie, en Russie et peut-être ailleurs. Donc, ce n’est pas une spécificité iranienne. Et puis, l’iranien ne porte plus de poustine mais un costume comme partout ailleurs. Quoi qu’il en soit, je suis arrivé à la conclusion que je dois créer un bonhomme international, un représentant de l’humanité, reconnaissable partout. Les seules caricatures dont on peut détecter l’origine sont les chinoises et japonaises dans lesquelles les yeux sont bridés.
M.GH. : Cela veut-il dire que vous voulez communiquer avec le monde entier et que vos œuvres ne doivent pas limiter leur portée à l’Iran.
K.D. : Oui, c’est ça. En fait, j’ai résolu ce problème. Je fais partie des caricaturistes qui ont eu plusieurs styles, ceci ne représentant pas une incapacité ou une faiblesse. Par exemple, j’ai fait des caricatures qui ont été qualifiées de "bazari", c’est-à-dire faites uniquement dans le but de faire de l’argent et on me l’a reproché. Parallèlement, j’ai fait des dessins et caricatures intellectuels. Je me suis rendu compte que c’était une qualité que d’être capable de s’exprimer dans des styles différents. C’est, en réalité, une capacité qu’il faut exploiter.
A l’heure actuelle, mes caricatures étant peu publiées dans la presse, je fais plutôt du travail publicitaire : calendriers, affiches … Mon dernier travail consiste en une série de dessins animés que je suis en train de réaliser avec mon fils (10 dans un premier temps, dont 3 sont terminés). Ils ont été faits avec des logiciels 3DMax et sont très réussis. Peut-être représentent-ils une nouvelle voie pour moi.
M.GH. : J’ai lu quelque part que vous avez dit que vous aviez tellement d’idées que vous n’aurez pas assez de temps pour les réaliser jusqu’à la fin de votre vie.
K.D. : Oui, c’est vrai. Beaucoup d’artistes souffrent du manque d’inspiration et d’idées. En ce qui me concerne, cela fait des années que je passe le plus clair de mon temps à réfléchir ; j’ai beaucoup d’idées et je ne pense pas que je puisse les réaliser toutes. Picasso et Dali avaient beaucoup d’idées et de projets qui ont été enterrés avec eux. Je ne me compare pas évidemment à ces artistes.
M.GH. : Y a-t-il un autre art qui vous inspire ?
K.D. : Le caricaturiste s’inspire de tout, ce n’est pas seulement les arts et les livres, mais tout peut être source d’inspiration pour lui.
M.GH. : Vous-même, quel est l’art qui vous attire le plus ?
K.D. : Moi, j’aime beaucoup le cinéma. C’est l’art qui peut le mieux se rapprocher de ce que l’artiste veut obtenir. C’est-à-dire que le cinéma est en réalité l’expression de sentiments inconnus aux gens. Bien sûr, je parle ici du cinéma à son plus haut niveau car il existe aussi un cinéma médiocre. En fait, mettre l’imaginaire en images et l’expliciter, c’est comme si vous illustriez vos rêves et les transmettiez au spectateur ; des rêves qui, dans la plupart des cas, sont difficiles à exprimer par d’autres arts. On doit trouver un art proche de ses rêves et qui puisse le mieux les exprimer.
M.GH. : Aimeriez-vous faire un commentaire et ajouter quelque chose ?
K.D. : Le seul conseil que je puisse donner aux jeunes caricaturistes est de ne jamais négliger le dessin et d’avoir toujours à portée de main leur cahier d’esquisses, de travailler d’arrache-pied nuit et jour. Le travail de caricaturiste n’est pas facile et exige un travail de tous les instants. Le caricaturiste ne doit jamais être satisfait. Il doit voir régulièrement le travail et les expositions des autres, facteur extrêmement important pour lui permettre d’acquérir de nouvelles idées et techniques.