Ce n’était plus possible

La plume n’exprimait plus mon cœur

Il faut déposer les plumes, me dit-il

Dorénavant

L’arme blanche de la parole est impuissante

Il me faut chanter pour la guerre

Par le canon du fusil

Avec la cartouche en guise de mot

La cinquantaine passée, Aminpour ne cherche plus à bâtir son œuvre avec des cartouches. Il est bien loin de l’époque de « l’alerte rouge » ; l’époque où « la poupée en sang de l’enfant qui courait décapitée » pesait dans sa besace de poète. Pourtant le souvenir de ce passé hante aujourd’hui encore sa création.

Gheysar Aminpour

Gheysar Aminpour est fils du sud iranien. Il est né dans un village aux environs de Dezfoul et fut à ce titre un témoin (qui plus est vigilant) de la guerre irako-iranienne. A n’en pas douter, cette tragédie marqua profondément son œuvre, et le rangea, dans les premières années de sa carrière poétique, dans le camp des poètes dits « révolutionnaires » ; de ceux qui s’appliquèrent à chanter le courage et le dévouement dont firent preuve les martyrs de la guerre. De l’idéalisme de ces années-là, il passe ensuite au réalisme en donnant ainsi le jour à ses plus belles oeuvres poétiques. Les miroirs soudains figurent parmi les textes de cette seconde période. D’une facture poétique plus moderne du point de vue thématique et formel, son vers acquit alors plus de liberté et s’ouvrit, comme il le dit lui-même, à des termes nouveaux, voire spécifiques comme "avion" ; un lexique inapproprié pour ce qui concerne la poésie classique. Le souci de définir la complémentarité de la poésie moderne et classique constitua et constitue encore l’une des préoccupations majeures d’Aminpour, comme le prouve le choix de sa thèse de doctorat, Une introduction à l’esthétique de la poésie moderne et classique.

Le poète s’est aussi exercé dans le domaine de la poésie pour l’enfance et la jeunesse qu’il contribua à développer avec talent. Actuellement, Aminpour est membre associé de L’Académie des Lettres iraniennes. Il poursuit également son travail de poète en espérant des jours meilleurs pour l’avenir de la culture iranienne :

Quoique nous soyons jaunes et défraîchis

Nous n’avons pas encore cédé à l’automne

 

Nous vivons l’époque des probabilités

Du doute et des peut-être

L’époque des prévisions météorologiques

D’être là par où tourne le vent

L’époque de la certitude du doute

La nouvelle époque

L’époque où nul principe

Sauf celui du probable

N’a de certitude.

Mais moi

Sans ton nom

Je ne serai guère probable

pas même un instant

Tes yeux sont ma seule certitude

Ma religion

La certitude de ton regard

 

 

L’inévitable jour

Ces derniers temps

Au passage des jours

Je sens que crie quelqu’un dans le vent

Je sens qu’un lointain familier

M’appelle du fond des chemins brumeux

Le ton familier de sa voix

Ressemble

Au passage de la lumière

Au passage de Now Rouz

A l’arrivée du Jour

Cet inévitable jour qui viendra

Quand les passants courbés

Prendront un instant le temps

De lever la tête

Pour voir le soleil dans le ciel

Le jour quand ce train ancien

S’arrêtera sans raison

Sur les lignes parallèles de la répétition

Pour laisser ces yeux ensommeillés

Voir de derrière les fenêtres

L’image des nuages dans la toile

Et le dessin renversé de la forêt dans l’eau

Ce jour-là

Les mains intimes

Entameront leur vol

A la recherche de l’Ami

Ce jour sera le jour nouveau de l’envol

Où seront ouvertes les lettres

Où l’on enverra la colombe

Dont l’aile sera signée

En lieu et place de la lettre, du sceau, du timbre

Alors, les nids de colombe feront office de boîte à lettres

Le jour où la main ne quémandera plus

La sollicitation sera un péché

Et l’essence de Dieu

Ne s’allongera plus sur des journaux

Sous les pieds des arpenteurs des trottoirs

Le jour où sur les portes

On écrira simplement :

"Entrée interdite à la servilité !"

Et les genoux fiers et épuisés

Ne toucheront terre qu’au pied de l’amour

Les histoires réelles d’aujourd’hui

Ne se produiront qu’en rêve

Elles auront comme les contes anciens

Des dénouements heureux

Le jour de l’abondance du rire

D’un rire généreux

Le sourire généreux des yeux

Ce jour-là

La générosité du rire

Sera de règle en amitié

Le jour où les poètes ne seront plus obligés

De vendre leur sourire

Dans les gorges étroites des rimes

Le jour où on ne marchandera plus

Le prix du sentiment

Comme celui du vêtement

Ce jour-là les papillons asséchés s’envoleront

Du milieu des feuilles du livre de poèmes

Et le sommeil baillera dans la bouche des fusillades

Et les vieilles bottes militaires

Se noueront aux toiles d’araignée

Au fond de musées anciens

Le jour quand aux mains des enfants

Les ballons se gonfleront de vent

Le jour où le vert ne sera plus jaune

Quand aux fleurs la permission sera donnée

D’éclore où elles désirent

Quand les cœurs seront autorisés

A se briser selon leur convenance

Quand le miroir

N’aura plus le droit

De mentir aux yeux

Et le mur

De pousser sans fenêtre

Ce jour-là

Sera court le mur du jardin et celui de l’école

Il n’y aura qu’une haie d’imagination

Clôturant le jardin au lointain

Et facile à franchir

Le jour où le soleil se lèvera

Dans la poche des écoliers

Le jour où deviendront publics

Le jardin vert de l’alphabet

Et l’exercice de l’eau

Et la mer et le soleil

Ne seront exclusifs à aucun œil

Le jour où le ciel

Ne soupirera plus après les étoiles

Le jour où souhaiter ce jour

N’aura point besoin de métaphore

O beaux jours arrivants !

O chemins perdus dans le brouillard !

O durs jours de continuation !

Sortez de derrière les instants !

O jour ensoleillé !

O bleu comme l’œil de Dieu !

O jour d’arrivée !

O claire comme le jour ton arrivée !

Ces derniers temps

Au passage des jours

Je t’attends

Mais

Dis-moi si je vivrai moi

Le jour où tu arriveras ?


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