N° 7, juin 2006

La ciselure
extrait de L’art de la ciselure en Iran


Manoutchehr Hamzelou
traduit du persan par

Babak Ershadi


La ciselure ("qalamzani" en persan) consiste à graver des ornements et des motifs décoratifs sur métaux, surtout le cuivre, l’argent et le laiton. Pour son travail, le ciseleur est équipé de différents outils : burins, marteaux, pinces, une cisaille pour couper le métal, etc.

Le cuivre est un métal rouge, très malléable et ductile, largement utilisé par les ciseleurs qui le préfèrent souvent aux autres métaux. En effet, à en croire les archéologues et les historiens de l’art, le cuivre fut le premier corps métallique travaillé en ciselure.

En Iran, la ciselure est un métier manuel traditionnel et le ciseleur ; un artisan d’art. La ciselure occupe une place notable dans la culture, l’art et la vie des Iraniens, car l’artiste a su rendre habilement, sur toutes sortes d’objets en métal, l’atmosphère magique des traditions, de la culture, de la religion et des pensées. Cet art a été pratiqué en Iran dès la plus haute antiquité, et son évolution est intimement liée, de génération en génération, à celle de l’histoire du pays.

Il y a une distinction entre la ciselure et la gravure sur métaux, dans la mesure où la première est une activité artisanale traditionnelle, fine et délicate, comparable avec le tissage du tapis, tandis que la seconde consiste à créer des traces et des motifs sur une plaque métallique, à coup de marteau sur le burin, travail que l’on peut comparer plutôt avec la sculpture.

La ciselure et la gravure sur métaux ont un grand avantage aux yeux de l’artiste : les objets en métal durent longtemps, tout comme des plaques en argile ou en pierre, permettant à l’artiste, âme consciente de son époque, de transmettre son "message" et les pensées les plus sublimes de ses contemporains aux générations futures, en les gravant sur des plaques d’or, d’argent, de laiton, de cuivre ou de bronze. Des motifs abstraits combinant des notions et des concepts empruntés à la nature, prennent magiquement des dimensions affectives, culturelles et religieuses. Des images de poissons, de monstres, de bœufs ailés, de lions et d’autres animaux légendaires se répètent abondamment et rappellent les symboles et les mythes anciens. Les évolutions historiques et culturelles se reflètent dans celles des images et des motifs. En effet, la ciselure comme les autres expressions de l’art n’a pas été à l’abri des changements et des bouleversements socioculturels. De l’époque préhistorique à l’époque contemporaine, en passant par l’antiquité et la période islamique, la ciselure a connu d’importantes évolutions de la forme et du contenu, liées étroitement à l’évolution technique, mais aussi à celle des facteurs culturels, religieux et politiques.

Histoire de la ciselure en Iran

Il serait difficile de fixer une date, même à plusieurs siècles près, de l’apparition de la ciselure en Iran, car il n’y a pas de découverte archéologique permettant de localiser l’endroit où aurait été fabriqué le premier objet métallique, ciselé, gravé ou façonné à coups de marteau. Il faut s’en remettre encore une fois aux archéologues qui estiment que les origines de la ciselure remontent à une période proche de l’Age du cuivre. La découverte des métaux et l’usage du cuivre en Iran et au Proche-Orient remontent à plusieurs millénaires av. J.-C. Vers la fin du Néolithique (Age de la pierre polie ou Age de la pierre nouvelle), avant de connaître l’extraction et l’usage des métaux, les habitants du plateau iranien utilisaient déjà des pierres et des boues contenant des compositions métalliques, de différentes couleurs, qu’ils trouvaient dans la nature, pour se parer ou se maquiller lors des cérémonies, des fêtes et des guerres ou pour dessiner des animaux, des troupeaux ou des signes étrangers sur les parois des grottes.

D’après les découvertes archéologiques, le cuivre est le premier métal à être utilisé par les premiers artistes ciseleurs. Les archéologues estiment qu’à l’époque du Néolithique tardif, les hommes connaissaient déjà des méthodes de poterie en terre, et avaient certainement observé le changement des propriétés physiques de l’argile au four. C’est ainsi que les hommes du néolithique découvrirent "par hasard" les oxydes et composés métalliques, et virent la silice ou l’oxyde de silicium (SiO2) fondre dans leurs fours. Ces découvertes furent le prélude de l’usage de malachite, minéral constitué à 90% de cuivre et cela fut le début de l’Age du cuivre.

Les artisans qui créaient des poteries en terre cuite apprirent également à extraire le métal d’un bloc de minerai. Ensuite, ils apprirent le martelage à froid, technique qui leur permettait de façonner le métal pour en construire outils et parures. A Tepe Sialk, site protohistorique situé près de Kâchân, et à Suse au Khûzistân, les archéologues ont découvert les vestiges de fours et d’outils contenant 92,12% de cuivre, et un faible pourcentage de nickel. En Egypte, en Mésopotamie et en Iran, nombreuses furent les découvertes d’objets en or et en argent. En effet, les sumériens connaissaient bien les méthodes d’extraction de ces deux métaux précieux.

Les métallurgistes préhistoriques mélangeaient la malachite, le minerai d’oxyde de fer, l’or et l’argent et les faisaient fondre dans leur four. Ils avaient appris ces techniques, sans en connaître le fondement scientifique. Cela n’empêchait pourtant pas les artisans de l’Age du cuivre de développer au fur et à mesure leur connaissance des différents minerais, les techniques de découverte et d’extraction des minerais, le traitement des métaux, les techniques d’orfèvrerie, de métallurgie du cuivre, le martelage à chaud et à froid, et enfin l’ensemble des activités artistiques se rapportant au travail des métaux comme la ferronnerie, la dinanderie (travail du laiton), … et la ciselure, témoignant de la créativité artistique de l’artisan.

L’existence d’importantes sources de minerais de cuivre en Iran favorisait, depuis la plus haute antiquité, le commerce du cuivre et l’échange d’objets en cuivre (dont certains pouvaient être considérés comme "objets culturels" au sens moderne du terme) entre les habitants de différentes régions.

L’objet en cuivre le plus ancien, découvert en Iran, date du Ve millénaire av. J.-C. Il s’agit d’un petit objet décoratif découvert au site archéologique de Tepe Alikesh. Par ailleurs, à Tepe Sialk ou plus précisément sur la colline III de la période Sialk I (Ve millénaire), les archéologues ont découvert deux petits ornements en cuivre, fabriqués par le martelage à chaud et à froid. En effet, nombreux sont des objets en cuivre découverts dans les sites archéologiques du plateau central de l’Iran, à partir du Ve millénaire avant notre ère. Pour les périodes ultérieures, les découvertes montrent que les artisans de la protohistoire iranienne utilisaient couramment et habilement l’or et l’argent dont des exemples ont été trouvés à Tepe Hessar.

Sur le site archéologique de Tal Iblis, près de Kermân, la découverte de plusieurs morceaux de cuivre datant de 4400 av. J.-C. témoigne d’un progrès technique nécessaire à fondre le métal. A Suse, vers 3800 av. J.-C., l’art du métal connut un progrès considérable.

Les archéologues ont trouvé commode de diviser l’Age de métal en trois périodes : l’Age du cuivre, l’Age du bronze et l’Age du fer. L’Age du bronze correspond au développement de la métallurgie, caractérisé par la diversité d’objets fabriqués en métal. A cette période, apparaissent les premières gravures sur métal : ces gravures sont, en général, des signes de propriété ou des "marques commerciales". Les objets découverts à Tepe Sialk, Tepe Hessar, Tal Iblis, Chahdad, Suse, et d’autres régions du plateau central de l’Iran montrent que les artisans du IIIe millénaire avant notre ère étaient des métallurgistes habiles : à Chahdad, près de Kermân, les archéologues ont trouvé deux grandes assiettes en bronze ornées de gravures représentant poissons et gazelles.

Des mines de cuivre étaient connues depuis l’Antiquité dans de nombreuses régions iraniennes dont Kermân, Ispahan, Sistan, Khorasan, Azerbaïdjan et la chaîne de l’Alborz. L’accès relativement facile à ce métal favorisait la fabrication d’objets et d’outils en cuivre. Avec le développement de la métallurgie, les artisans du IIIe millénaire av. J.-C. découvrirent enfin le bronze, un alliage de cuivre et d’étain, plus solide et plus dur donc mieux adapté aux activités métallurgiques. A cette période, l’usage du bronze se répandit rapidement au Moyen-Orient. Les premiers objets en bronze ont été découverts dans un cimetière royal près d’Ur, en Mésopotamie. En Iran, des objets en bronze découvert dans la province de Lorestan semblent exceptionnels, aux yeux des experts, dans la mesure où leurs ornements constituent un tournant significatif dans l’art de la ciselure et de la gravure sur métaux. Parmi des objets de bronze découverts au Lorestan, il y a des armes (lance, épée), des outils (hache, marteau, mors de bride), des ustensiles de cuisine, des ornements et enfin des figurines symbolisant des divinités. Les objets en bronze du Lorestan ont été fabriqués avec des moules de fonderie ouverts et fermés et le martelage.

Pour fabriquer des objets creux, on utilisait le technique du moulage à la cire. Au début de l’Age du bronze au Lorestan, c’est-à-dire vers le IIIe millénaire av. J.-C., des objets métalliques sont dépourvus d’ornement. Mais plus tard, sur une longue période qui s’étend jusqu’au VII siècle avant notre ère, on constate le développement progressif de l’art de la ciselure et de la gravure sur métaux. La plupart des objets découverts au Lorestan date du premier millénaire av. J.-C. Les gravures qui les ornent représentent des figures humaines et animales évoquant l’influence de la mythologie élamite, surtout mésopotamienne.

En 2002, à la suite de quatre étapes des fouilles archéologiques sur le site antique de Sorkh Dam Laky dans la province du Lorestan, les archéologues ont réussi à trouver deux complexes architecturaux de l’Age du fer tardif (800-500 av. J.-C.), construits sur un site de pierre d’une superficie de 780 m². Certains objets ciselés de Sorkh Dam Laky sont ornés de figures humaines et animales, gravées à coups de marteau. Leur spécificité réside dans la représentation de têtes d’homme et d’animal, comparables à elles de l’empire mitannien. Le Mitanni fut un empire qui domina une partie de l’Asie antérieure (Arménie, Syrie et Assyrie) au XVe et XIVe siècle avant notre ère.

Vers la fin du IIe millénaire et au début du 1er millénaire av. J.-C., l’art du métal et la ciselure se développèrent partout en Iran, notamment dans les régions du nord-ouest, à l’ouest (Lorestan) et le long des côtes de la mer Caspienne. La coupe d’or de Hassan Lou, découverte en 1967 est l’exemple par excellence : les gravures de cette coupe montrent les dieux du soleil et de la lune sur des chars tirés par deux chevaux. Elles nous montrent également une scène de sacrifice du mouton, tel qu’il était de coutume à l’époque.

D’après les découvertes archéologiques, l’art du métal et la ciselure étaient très en vogue dans différentes régions iraniennes, pendant le 1er millénaire av. J.-C. La coupe d’or de Malrik est l’un des plus célèbres objets ciselés découverts en Iran. Sur cette coupe, il y a deux vaches ailées, en train de monter sur un arbre sacré. Ces ciselures ont été gravées sur la coupe par des coups de marteau. La coupe de Hassan Lou a été découverte sur un site archéologique du même nom. Comme la coupe d’or de Hassan Lou, celle de Malrik est ornée de motifs qui rappellent les décorations assyriennes et mésopotamiennes. D’autres coupes ciselées, appartenant à cette même période historique ont été découvertes dans la région de Kelardacht, dans la province de Mazandéran.

Aux yeux des archéologues, la découverte de ces objets ciselés témoigne de l’existence d’une civilisation très développée dans les régions septentrionales du plateau iranien, au 1er millénaire av. J.-C.


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