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Je viens du sud de la source de soif
Je viens du sud du sable de serpents
Je viens du sud du jardin silencieux du golfe
Je viens du sud de la grande forêt de soleil.
Dans l’histoire de la poésie persane contemporaine, Manoutchehr آtachi, est de ceux, véritables créateurs d’images, que la postérité aura négligé à tort. Continuateur de la voie tracée par Nimâ, il a en effet contribué à enrichir le répertoire de notre poésie nationale. Son élection en 1384, quelques jours avant son décès, comme " figure immortelle " de la poésie persane a représenté à ce titre un acte symbolique de reconnaissance certes tardif, mais néanmoins nécessaire.
آtachi est né en 1932 à Dachtestân, dans la région de Bouchehr, au sud de l’Iran ; coin dont la géographie rude et austère a fortement marqué l’oeuvre du poète. Cette dernière est à ce titre truffée d’images étranges, voire originales, lesquelles vont parfois jusqu’à rendre hermétique un grand nombre de ses textes. La compréhension parfaite de son oeuvre nécessite bien souvent de se familiariser avec la culture de cette région méridionale qui a vu grandir le poète. La nostalgie qu’éprouve آtachi pour son pays natal est effectivement un trait marquant de son œuvre. Il n’a de cesse d’exprimer son affection envers la nature sauvage qui l’a vu naître, et ne cache point le dédain qu’il éprouve à l’égard de la grande ville. Il est en effet le poète des objets primitifs et des paysages inédits. De ce fait, on retrouve chez lui une certaine violence, celle du " chevalier des temps modernes ". Sa poésie est à ce titre marquée d’un souffle épique. Elle recourt au symbolisme en vue d’exprimer de manière à peine couverte, la souffrance que cause en lui l’irrémédiable dégradation de l’héroïsme d’antan, celui surtout de son propre peuple.
Poète moderne, il n’hésite pas à recourir à un langage coloré et effervescent pour rendre compte de la singularité de son époque. D’un tempérament triste et plutôt mélancolique, il est profondément pessimiste, mais compense son pessimisme en réservant dans son œuvre une place de choix à l’expression universelle du sentiment amoureux, cette éternelle planche de salut. Son lyrisme délicat contribue à coup sûr à valoriser le précieux trésor de notre tradition poétique.
Sur le tronc de tous les arbres de la forêt
De mes ongles je gravai ton nom
Et maintenant
Tous les arbres te connaissent par ton nom.
Avec des griffes de guépards je gravai
Ton nom sur le dos du zèbre et du cerf
Et maintenant
Tous les guépards des montagnes
Tous les cerfs jaunes
Te connaissent par ton nom.
Le chant de la rencontre
C’est bon d’être avec toi
Tes paroles
Sont comme le parfum d’une fleur au cœur des ténèbres
Comme le parfum d’une fleur, tentantes au cœur des ténèbres.
L’odeur de ta robe
Est humide
Comme le parfum de la mer
Comme le vent frais de l’été
Elle apporte le sommeil
Comme l’obscurité.
Parler avec toi
Emporte l’œil de mes rêves
Comme la chaleur de la cheminée et le souffle culminant du feu
Vers le désert des plus lointains souvenirs
- Là où les moineaux se balancent à l’extrémité des épis de blés
Où les fleurs partagent un secret avec les astres.
Ton sourire délicat
Emporte le loup de mon regard
Vers la prairie des plus promptes gazelles
Il emporte l’espérance de mes mains
Vers les plus secrets recoins de ton corps
- cet innocent et bel étendu.
Tu es comme la mer
- attristante et fière
Comme la vaste mer de Bouchehr,
Pleine de libres bateaux errants.
Tu es comme un bateau plein d’hommes
Comme la plage pleine de chants
Comme Dachtestân
Vaste et ouvert.
Tu es fragile
Comme la broderie d’une fille amoureuse
-qui coud les plus jolies fleurs
Sur le coussin de son amant.
C’est bon d’être avec toi
Tu es le phare, moi la nuit,
Lisant paisiblement à ta lumière, le livre de ton cœur
Et celui de mon cœur composé des lignes de ton corps.
Je chante joyeusement à tes côtés, la chanson des printemps
Je pleure et je chante.
C’est bon d’être avec toi
Tu es belle comme toi,
Comme toi-même
Comme quand tu parles
Comme quand tu rentres à la maison
Comme le reflet d’un arbre sur l’eau
Sur la maison
Tu pousses alors dans mes yeux en attente.
Jusqu’à la dernière alouette
Pâle
Pâle et usé est le temps
Pâle et usé est l’espace
Pâle et usée est la Terre
Et les maisons et le vent
Et les choses et la poussière
Toute mon enfance est usée et pâle
Ces petites eaux qui manquent d’onde
Ces eaux manquant de poissons
- manquant de lune-
Elles ont des sources dans le vent
Des sources dans l’illusion
- dans leur soif-
Ces champs pliés dans le passage du vent et du temps
Ces hommes pliés sur la courbe du champ
Ces serpes affamées
- avec leur dents crasseuses-
Qui fauchent le vent
Qui fauchent les vertes et sèches brassées de vie…
…….
Ces chevaux maigres et malades
Qui fixent à l’horizon
Les lointains de l’oubli
- à l’ombre de leurs tristes paupières
et de leurs cils secs et poussiéreux-
…….
(Le jeune homme tint la bride haute à son cheval
Rendit le pied ferme à l’étrier
Et par-dessus ce mur détruit
Fouilla toute cette cour vide
Du regard poussiéreux) :
" Qu’elle est vide et muette !
- quel accueil chaleurex !
On dirait un rêve de monstre de Dachtestân
Ce sanglot muet de toujours, dans le volume creux du vent
Cette plaie massive sur le cadavre pourri de l’espace ! :
Cette hutte fut longtemps
Le chanteur vif de cette région.
Cette hutte fut longtemps
La source des contes et des étonnements.
…….
- le jour où nous posâmes pied à terre
Tout près d’arrivistes chevaliers
- des villes de loi en papier
Des hommes habillés d’automne
(Crucifiés par leurs étoiles de terre)
Des jardins de sang en papier
Des chevaliers chaussés de cuir
Des champs de la vanité certaine…
………
Depuis que nous posâmes pied à terre
Le guépard du Zagros a cessé de rugir
Le vieux rempart édenté s’est brisé
- accablé de honte-
Dans la fente de la plaie sur son cou
Et les lions des tapis de Farâshband
Se transformèrent en de bons chats de compagnie
Le jour où nous posâmes pied à terre. .. "
…………
Usés et pâles
Sont l’eau et l’arbre dans le village de mon enfance
Etrangers sont restés la porte et le seuil
A la sèche haleine des pas
- les pauvres pas de la fierté-
Etrangère est restée la maison
A la chaleur des bras et de la bouche
Et les coins historiques
Ont conclu de nouveau un accord
Avec les rats historiques
" Quel retour délicieux ! "
…..
- (l’homme glisse de la vieille gaine du paysage
Dans les temps et la mémoire ;)
" À l’anniversaire de l’Evénement
Les hommes assistent aux funérailles des fusils,
- ces hommes retournés des vallées du feu et de la foi-
Les fantômes du mutisme et des désillusions
Emergeant du monde enfumé de rêves
Font passer les cercueils de la fureur mythique
Sur leur épaules éreintées
Vers les villes en papier de la loi.
Voilà !
- les hommes, habillés d’automne
Sans fureur ni reproche
- dans leurs tours de vanité-
Pliés sur le devant des selles
Dessinent leur brillante victoire
Depuis des épaules d’or
Dans les yeux du soleil et de Dieu :
[Nous Voilà ! Nous qui aplanissons
Les routes mortes de l’Histoire.]
- quel accueil coloré ! - "
….. ..
Dans le village légal
Par-dessus le mur
L’homme fixe son regard sur le lointain
Pour garder en mémoire
La dernière alouette de Dachtestân
Chantant dans le vent au moment de sa halte
Avant l’attrait vertical du " Puits de serpent".