Le Cheikh Moslehedine Abdallah Saadi Chirazi, poète, écrivain et éminent penseur (604 ou 606 -691 ou 695 de l’Hégire) est l’une des rares personnalités littéraires de l’Iran qui jouit non seulement d’une immense réputation dans les pays de langue persane, où il est connu de tous, mais aussi au delà des frontières iraniennes, dans le vaste monde des lettres.

Saadi est né à Chiraz au cours de la première décennie du 7ème siècle de l’Hégire au sein d’une famille composée pour la plupart, comme lui-même le fait remarquer, d’érudits en matière de religion.

Le Poète, Mahmoud FARSHTCHIAN

L’enfance et la jeunesse de Saadi se sont écoulées dans sa ville natale où il s’est initié aux différents savoirs de son temps. Il s’est ensuite rendu à Bagdad pour continuer ses études à l’Université Nézamieh de cette ville qui était considérée, à l’époque, comme un haut lieu d’érudition ; pendant vingt ans il s’est appliqué dans l’apprentissage des disciplines religieuses et littéraires avant d’entamer une longue pérégrination à travers l’Iraq, la Syrie, le Hidjaz et l’Afrique du Nord. D’aucuns ont avancé que Saadi avait également visité l’Inde, l’Asie Mineure et l’Azerbaïdjan. Au cours de ces voyages, tout en accumulant de précieuses expériences, Saadi rencontra des personnalités littéraires telles que Djalaledine Mohammad Mowlavi Balkhi, le Cheikh Safiedine Ardabili, Homam Tabrizi et Amir Khosrow Dehlavi. C’est enfin vers le milieu du 7ème siècle, au moment où l’Atabek Aboubakr Saad Zenghi-Atabek Solghori -gouvernait le Fars que Saadi, attiré par les charmes de sa province natale, regagna Chiraz. Là-bas, il s’appliqua à réunir dans deux ouvrages -le Boustan (655) et le Golestan, (656 de l’Hégire) la quintessence de ses études et expériences acquises au cours de ses déplacements. Saadi consacra le restant de sa vie à la religion, ainsi qu’à la rédaction de la suite de son oeuvre (poèmes lyriques, prédications, odes en persan et en arabe, oraisons et quatrains, etc..). Il continua de fréquenter, avec les honneurs qui lui étaient dus, la Cour de l’Atabek Aboubakr, et ensuite, de son fils Saad, sans compter bien d’autres célébrités de l’époque.

Saadi acquiert une telle notoriété dans l’univers des lettres que : "Partout on fait son éloge et ses écrits parcourent le monde". [1]

Il résume de la sorte ses propres prouesses littéraires :

"Aucune assemblée ne se réunit dans les sept pays sans parler des oeuvres de Saadi [2] , lesquelles se répandent, à partir de Chiraz, comme un suave parfum. [3] Ses poèmes voguent comme un navire allant du Fars au Khorassan". [4]

Les oeuvres de Saadi qui nous sont parvenues sont autant de témoignages en faveur du talent rarement égalé du poète et de l’écrivain dont l’autorité s’étend, nous y avons fait allusion, aux disciplines religieuses, mais également, à l’éthique, à la gnose, à la politique et à l’étude de la société. La maîtrise de Saadi réside dans le fait qu’il a su exposer son savoir sous forme de contes ou de maximes, en prose ou en vers, dans un langage simple et en même temps subtil, accessible au plus grand nombre.

Ses ouvrages les plus connus, et qui restent, dès le début et jusqu’à nos jours, des classiques de l’enseignement de la langue et de la littérature persane, sont le Golestan (La roseraie) et le Boustan (Le jardin des parfums et des fruits).

Le Golestan est, sans conteste, l’un des ouvrages de prose persane les plus accomplis ; une prose agrémentée de poèmes et d’anecdotes savoureuses. "Chaque chapitre de ce livre que tu sélectionnes est meilleur que le dernier ."

Comme au Paradis, chaque phrase est plus délicieuse que la précédente. [5] Le livre est composé de huit chapitres :

Chapitre l : Touchant la conduite des rois.

Chapitre 2 : Touchant la conduite des derviches.

Chapitre 3 : Touchant la modération des désirs.

Chapitre 4 : Touchant les avantages du silence.

Chapitre 5 : Touchant la jeunesse et l’amour.

Chapitre 6 : Touchant les atteintes de l’âge.

Chapitre 7 : Touchant l’influence de l’éducation.

Chapitre 8 : Touchant les bienséances en société.

Le Golestan est un fidèle reflet du monde tel qu’il se présente à notre regard. Saadi y dépeint avec maîtrise et dextérité le bien et le mal, les contradictions qui traversent les différentes couches sociales, le tout, sous forme de contes savoureux agrémentés de citations extraites du Coran ou de Hadiths accompagnés de vers en persan ou en arabe, dans un style chargé de subtilités philosophiques et gnostiques.

Il affirme lui-même à propos du Golestan :

"Les frimas d’automne n’ont pas de prise sur ses feuilles et la rotation des saisons ne changera pas sa splendeur de printemps en désolation d’automne. Aussi longtemps que durera la langue et la littérature persane, ce Golestan gardera sa fraîcheur".

Le Boustan, quant à lui, figure un monde idéal empreint de bonté, de probité, de foi et de sincérité. Dans ce jardin de rêve, l’homme est idéalisé, et le lecteur est conduit, en l’espace de dix chapitres, vers une cité idéale où l’humain est placé au plus haut sommet de la création, dégagé des vices et des bassesses. Le Boustan est composé de dix chapitres :

Chapitre 1 : Sur la justice, l’art de gérer et le jugement.

Chapitre 2 : Sur la bienfaisance.

Chapitre 3 : Sur l’amour, l’ivresse et le délire.

Chapitre 4 : Sur l’humilité.

Chapitre 5 : Sur la résignation.

Chapitre 6 : Sur la sobriété.

Chapitre 7 : Sur l’éducation.

Chapitre 8 : Sur la gratitude pour le bien-être reçu.

Chapitre 9 : Sur la repentance et la bonne action.

Chapitre 10 : Sur la psalmodie et la conclusion. [6]

Le Golestan et le Boustan constituent une somme dans laquelle Saadi expose avec pragmatisme l’ensemble de sa sapience et de ses expériences, dans un langage exquis où la pureté du style et la concision des termes font clairement ressortir la sagesse des propos. L’auteur n’hésite pas, pour échapper à la monotonie, d’émailler ses récits d’anecdotes et de traits amusants. Il précise à ce propos : "J’amalgame la potion amère de mes exhortations avec le miel de l’esprit afin de les rendre réceptives aux âmes dolentes" [7].

Le mausolée de Saadi

Il convient cependant de chercher le point culminant du talent de Saadi dans ses poèmes lyriques, colorés et pleins de mystères. L’amour y est décrit avec brio, avec une pureté rarement égalée dans l’expression. Les poèmes lyriques de Saadi expriment la douleur, l’émotion et les souffrances qui caractérisent l’amour, un amour dont l’objet principal est Dieu et l’ensemble de la création. "Ce qui fait le bonheur du monde fait également le mien. Je suis amoureux du monde entier puisque le monde entier est à Lui". [8] L’accession à un tel amour n’est possible, d’après Saadi, que par la purification de l’esprit et du corps. "Le coeur est le miroir du visage occulte ; A condition toutefois que le miroir ne soit pas terni" [9]. Et il ajoute : "Celui qui n’a point bu le vin de l’amour et le calice des peines, celui -là , dans ce monde, n’a aucune part dans la vie" [10]. Saadi place l’amour spirituel au-dessus des attachements charnels. "O Saadi, l’amour et les plaisirs des sens ne se mêlent point ensemble, près des chapelets d’un ange, il n’y a pas de place pour un démon" [11] Selon lui, la seule science qui mérite ce nom est celle qui place l’homme sur la trace de Dieu et de l’amour authentique.

" O Saadi, efface de ton coeur toute image qui n’est point de Lui ; tout savoir qui ne mène pas à Dieu n’est que pure ignorance". [12]

Bien que Saadi ait composé, conformément à la tradition chez les poètes de son temps, des odes dithyrambiques à l’adresse des puissants en place, à la différence de ceux-ci, il a évité la flagornerie ou l’exagération en adoptant le ton d’un dispensateur de bons conseils à l’endroit des détenteurs de pouvoir ou de richesse, et n’a jamais manqué une occasion de leur rappeler la précarité des biens matériels. A l’appui de sa thèse, Saadi attire l’attention de ses lecteurs sur la fin parfois triste des tyrans et les invite à faire preuve d’humilité devant Dieu, ainsi qu’à répandre le bien.

"Il n’est pas donné à tout le monde de dire crûment la vérité ; C’est un privilège qui est reconnu à Saadi seul". [13]

Ses convictions religieuses apparaîssent clairement et de manière accentuée dans ses propos relatifs à l’unicité de Dieu, et dans les louanges à l’adresse du prophète de l’Islam. Le seul amour qui puisse exister est celui qu’on éprouve pour Mohammad et sa sainte famille, nous apprend-il. [14] Le salut de chacun, réside dans la fidélité au messager de Dieu.

"Ne t’imagine pas que le chemin du salut, Est autre que le chemin tracé par Mustafa (le prophète)". Tout en respectant profondément les préceptes religieux, et c’est l’une de ses principales qualités, il prend ses distances par rapport à toutes sortes de rigorismes idéologiques.

Avec la largeur d’esprit et la philanthropie qui le caractérisent, Saadi affiche une même indulgence pour ses concitoyens et pour les étrangers, pour ses amis et pour ses ennemis ; il fulmine uniquement contre les tyrans et les tricheurs qui mettent la religion au service de leurs vues ou de leurs intérêts personnels.

Saadi fait montre d’indulgence à l’égard de l’humanité, la considérant issue d’un même créateur ; il se fait le messager de la paix et de la philanthropie. Dans son optique, "les fils d’Adam sont les membres d’un seul et même corps".

L’homme et la liberté étant, d’après Saadi, indissociables, il souhaite ardemment une meilleur entente entre les peuples et l’élimination des conflits et des hostilités au sein des sociétés humaines. Pour atteindre cet objectif, il recommande la générosité et la compassion envers les pauvres et les malheureux :

"O, toi qui es sans souci de la peine d’autrui, Tu ne mérites pas d’être appelé un homme". Poète universel par le contenu de ses vers, il ne manquera jamais d’afficher l’étendue de sa maîtrise et la beauté de son oeuvre, défaut somme toute pardonnable voire séduisant quand il s’agit d’un vrai poète.

"O Saadi, on ne peut s’imaginer comme ton langage est suave.

Le jardin de ton esprit est rempli d’oiseaux aux chants délicieux, Depuis que le jardin de ton esprit s’est couvert de fleurs,

Les rossignols y ont cessé leur chant et sont devenus comme des hérons." [15]

Notes

[1Dans ses poèmes lyriques, Saadi y fait allusion en ces termes :
1) y a bien des demeures en dehors du Fars
2) y en à Damas, Byzance, Bassorah et Bagdad, Mais ne lâchent point le pan de mes habits, La terre de Chiraz et la source de Roknabad, Saadi -Oeuvres Complètes, par Foroughi M.A. Page 468.

[2Ibid p. 594. 637.

[3Ibid p. 594. 637.

[4Ibid p. 594. 637.

[5Saadi, Ibid p. 437. .

[6Saadi, Boustan, Ibid p. 205.

[7Saadi, Golestan, Ibid p. 193.

[8Saadi, Mavaeze, Ibid p. 787.

[9Saadi, Ibid. Ghazaliate p. 453 -484.

[10Saadi, Ibid. Ghazaliate p. 453 -484.

[11Saadi, Ibid. Ghazaliate p. 453 -484.

[12Ibid p. 432 -571.

[13Ibid, Mavaez p.733.

[14Saadi, si tu veux professer l’amour et rester jeune, l’ amour de Mohammad et de sa sainte famille te suffira. Ibid. p. 714.

[15Ibid. p. 494.


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