N° 6, mai 2006

L’aventure du cinéma iranien depuis la Révolution jusqu’à nos jours


Massoud Ghârdâshpour


Avec la Révolution islamique d’Iran en 1979, le cinéma de l’époque monarchique s’est effondré en même temps que l’ensemble des structures politiques qui soutenaient le régime des Pahlavis. Connu sous le nom de cinéma " farsi " par les critiques, il se définissait comme cinéma de divertissement et profitait des formules et des codes utilisés dans les films indiens et égyptiens, avec pour unique objectif d’attirer un nombre croissant de spectateurs et de capitaux. Ce cinéma recourait à ce titre, à toute la panoplie des clichés sentimentaux, avec scènes de danse et chansons à la clé, sans oublier les incontournables scènes de bagarres ; les films étaient souvent d’une qualité moyenne traitant de sujets n’ayant aucun rapport avec la réalité quotidienne de la société iranienne. Avec l’avènement de la Révolution, armée de ses nouveaux principes et nouvelles exigences, certains estimèrent que le cinéma "débauché" de l’ancien système, voire le cinéma tout court, n’avait définitivement plus lieu d’être ; parmi 524 salles de cinéma en activité à l’époque, 200 salles fermèrent leurs portes, d’une part, menacées par la vindicte populaire, et la volonté chez certains de faire table rase de ce symbole de l’ancien régime ; d’autre part, en raison d’une baisse significative de la fréquentation des salles obscures.

L’affiche du film Où est la maison de mon ami ? réalisé par Abbas Kiarostami

Cependant, au lendemain du triomphe de la Révolution, l’ayatollah Khomeiny, guide spirituel de la Révolution, fit une déclaration importante concernant le cinéma, lors de son premier discours sur le sol iranien : " nous n’avons rien contre le cinéma ; nous sommes contre la corruption dans le cinéma ". Le cinéma fut réhabilité dans tout le pays. Pourtant, ce cinéma n’était pas encore apte à véhiculer les valeurs naissantes de la République islamique. L’industrie du cinéma se trouva donc confrontée à une grave crise. En 1981, les films produits atteignaient à peine le nombre de 3. Durant cette même année et à la suite de l’occupation de l’ambassade américaine par des étudiants révolutionnaires, l’importation de films américains fut clairement prohibée, tandis que l’ensemble des importations en provenance de l’étranger subissait une forte baisse. Par la suite la crise s’aggrava, conduisant en juin 1981 à la fermeture de la totalité des salles de cinéma du pays. Un cinéma venait de mourir.

L’apparition d’un cinéma nouveau

Cette disparition n’alla cependant pas au-delà de 8 longues journées. A la suite d’une lettre du ministre de la culture de l’époque au président de la République, la situation fut examinée de près, et conduisit à la réouverture des salles : le cinéma renaît en Iran, mais de manière assez paradoxale : toute une série de contraintes furent imposées au métier, sans pour autant provoquer sa régression, au contraire, le septième art accusa une avancée telle, qu’au jour d’aujourd’hui, aucun festival international ne peut se passer de la présence et de l’aura des films iraniens. Considérons les raisons probables de ce succès.

En 1984, une nouvelle législation codifie les règles à respecter dans le domaine de la création cinématographique, entre autres : " Un film doit être utile à la société ; il faut éviter de proférer des blasphèmes contre les religions officielles du pays ; éviter de propager des idéologies subversives". Ces règles, accompagnées de toute une série de règles non écrites (par exemple, le fait de ne pas provoquer la sympathie du spectateur pour un personnage de criminel, ou de créer en lui la tentation du péché ; ne pas mettre en scène des événements en rapport avec le trafic de drogue ; le respect à l’écran du hidjab de la femme, même dans les séquences tournées en intérieur ; interdiction de filmer tout contact entre homme et femme ; éviter les sujets vulgaires ou désagréables, etc. [1]), éloignent de plus en plus le cinéma iranien du cinéma dit commercial, et favorisent l’émergence d’un cinéma inédit, comme l’ont été en leur temps, le néoréalisme italien ou la nouvelle vague française (qui n’ont pas manqué d’influencer la création cinématographique iranienne). La guerre de Iran-Irak aggrave, il va sans dire, la situation économique de l’industrie de l’image. Dans ces conditions, si l’état abandonne le cinéma, il risque de périr. C’est alors que des mesures sont prises par les responsables pour éviter à cet important médium culturel de péricliter :

"Fournir des devises pour l’importation de matériel technique ;

Réduire de 20% à 5% la taxe sur la vente des films ;

Accorder 10% de la taxe obtenue sur la vente des films étrangers, à la production intérieure ;

Accroître de 10 % le coût des tickets des salles de cinéma ;

Exonération de la taxe sur les intérêts commerciaux de l’importation de matériaux techniques." [2]

Ce cinéma ainsi soutenu, devient un cinéma d’auteur qui valorise le réalisateur, réduit l’ascendant du producteur sur le film, et neutralise par avance les starifications éventuelles. Cette situation prépare le terrain pour les réalisateur dits de la "nouvelle vague" du cinéma d’avant la Révolution. Vers 1960, en Iran s’était formé un cinéma composé de cinéastes tels que Dariush Mehrjoui, Masoud Kimiayi, Naser Taghvai, Amir Naderi, et un peu plus tard, Abbas Kiarostami. Ils évoluaient à contre courant, en tournant le dos à l’habituel cinéma commercial de l’époque. Leurs films paraissaient inclassables et constituaient les seules œuvres dignes d’intérêt : (La vache (1969) de Daruis Mehrjoui, Un simple événement (1973) de Sohrab Shahid-Sales, etc.). Ce mouvement acquit sa renommée sous le nom de "nouvelle vague". Le cinéma post-révolutionnaire, différent, accueil très bien la différence de ces cinéastes nouvelle manière. Mais, à coté de ces réalisateurs, une autre génération de jeunes cinéastes tels que Mohsen Makhmalbaf, Majid Majidi, et Jafar Panahi commence déjà à concurrencer leurs proches aînés. Cette génération est née avec la Révolution. Elle a largement intériorisé les exigences et les particularités de la nouvelle culture : M. Makhmalbaf, jeune révolutionnaire fut lui-même une des têtes pensantes du cinéma de la Révolution ; M. Majidi a débuté sa carrière comme acteur dans une des fictions de Makhmalbaf, et J. Panahi fit ses première armes dans le métier en tant qu’assistant de Kiarostami. Les options parfois très différentes qui distinguent ces deux générations n’empêche cependant pas des aspirations similaires. C’est ainsi qu’en 1990 A. Kiarostami rencontre artistiquement parlant M. Makhmalbaf à l’occasion du film Close-up de Kiarostami (histoire vraie d’un homme qui se fait passer pour Makhmalbaf auprès d’une famille qui l’accueille à bras ouverts).

Spécificités du cinéma iranien des premières années de la Révolution

Deux caractéristiques en particulier permettent de spécifier ce nouveau cinéma. En l’absence, nous l’avons signalé, de star-système, et compte tenu des contraintes économiques et idéologiques existantes, le cinéma iranien de la première décennie d’après la Révolution islamique a choisi de placer l’enfant au premier plan de la fiction. Beaucoup de films importants de cette période sont des films dans lesquels l’enfant occupe une place de choix : Le coureur (1985) de Amir Naderi ; Le ballon Blanc (1995) de Jafar Panahi ; Où est la maison de mon ami ? (1986) d’Abbas Kiarostami, etc. Parfois confronté à l’impossibilité de critiquer directement la société, le cinéaste utilise l’enfant comme un moyen indirect d’aborder le monde des adultes. Dans Devoirs du soir (1990) par exemple, Abbas Kiarostami, questionne des écoliers sur le simple fait de leurs devoirs du soir. Il pose plusieurs questions à propos du système éducatif ; manière détournée d’indexer la société au sein de laquelle ces enfants grandissent. Le charme enfantin, leur innocence et leur simplicité, attirent l’attention des spectateurs, surtout étrangers, las des formules galvaudées du cinéma occidental. Les enfants continueront d’être présent à l’écran jusqu’à la deuxième décennie de l’ère révolutionnaire, avant que le cinéma iranien ne commence à progressivement s’éloigner de son enfance. C’est durant cette même période qu’émergent de nouvelles stars (Hedieh Tehrani devient la star la plus cotée au "box office" depuis la Révolution) que sont portés à l’écran des sujets ayants un rapport plus direct avec la réalité de la société iranienne.

La fusion du documentaire et de la fiction est l’autre caractéristique du cinéma iranien, et surtout, celle de la première décennie post-révolutionnaire. La situation particulière de ce cinéma oblige le cinéaste à recourir à certaines pratiques qui apparentent son film au genre documentaire. La prise directe du son, le recours à des acteurs non-professionnels, le plan séquences et les tournages en extérieur, en décor réel, constituent les plus important de ces pratiques. De cette manière il peut émaner de l’image cinématographique, de véritables "fragments de vérité". Par ailleurs, le jeu naturel des enfants, héros privilégiés de ce cinéma, offre d’intensifier la dimension déjà singulièrement réelle de ces films. Le meilleur exemple reste Close-up (déjà cité) de Kiarostami. Il est précisé au tout début du film que les acteurs jouent tous leur propre rôle. Toutes les scènes sont reconstituées, mais sans un scénario préétabli. "Le traitement s’est développé au fur et à mesure du tournage, […] parce que la réalité avait de l’avance sur nous" raconte Kiarostami. En somme, le réalisateur fait du documentaire avec de la fiction, et de la fiction avec du documentaire.

Le cinéma de la première décennie de la Révolution étant considéré comme l’enfance d’un cinéma différent, on peut dire que celui de la deuxième décennie, représente celui de l’âge adulte. L’apparition de nouvelles stars à l’écran, la présence de plus en plus marquantes et nombreuse des femmes dans les films, la réduction des subventions, la création de sociétés de production privées ; autant de facteurs qui tendent à professionnaliser toujours plus le cinéma iranien. En 1993, avec la fondation du "foyer du cinéma" (Khânéyé cinéma), les cinéastes iraniens se sont dotés d’un véritable syndicat.

Quoique structurellement modifié, le cinéma iranien reste toujours présent dans tous les festivals internationaux. Il est même parvenu à atteindre les sommets avec La palme d’or du festival de Cannes attribuée en 1997 au Goût de la cerise d’Abbas Kiarostami. Notre septième art continu sa route en gardant le même cap jusqu’à la troisième décennie de la Révolution et l’arrivée d’une nouvelle génération de cinéastes qui optent cette fois résolument pour la technique : c’est un cinéma qui va tenter de s’adapter autant que possible et de plus en plus aux standards mondiaux, et ce, dans tous les domaines, qu’il s’agisse de casting, de son, d’image, etc. Cette génération est composée de cinéastes souvent issus d’écoles spécialisées, et qui ont aisément accès, par le biais de nouveaux médias, aux produits cinématographiques qui se renouvellent quotidiennement, ce qui n’était guère le cas de leurs aînés qui avaient pris l’habitude de s’appuyer sur leurs propres acquis. Ainsi s’ouvre un nouvel horizon devant notre cinéma national : celui du cinéma professionnel.

Notes

[1Javier Martin et Nader Takmil Homayoun, "Une rétrospective exceptionnelle, paradoxes du cinéma iranien", Internet : www.monde-diplomatique.fr/2003/09/MARTIN/10453

[2Ahmad Talebi-Nejad, En présence du cinéma, Fondation cinématographique Farabi, Téhéran, 1999, p. 59.


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1 Message

  • Cher Monsieur
    Vous avez mémoire très court , c’était quoi le cinema "Motafavet" pendant l’enseigne régime et les films de Kanoun la plus part des réalisateurs reconnus aujourd’hui comme Kiarostami avait commencé par Kanoun.
    la base de cinéma oujourd’hui vien des film motafavet vous avez oublié Le GAV d’ailleur primé ou RAGBAR,

    repondre message